L’Unicef a publié cette semaine un rapport sur « le bien-être des enfants dans les pays riches » (synthèse ici). L’étude porte sur 5 domaines : bien-être matériel (la France se classe 10ème sur 29), santé et sécurité (10ème), éducation (15ème), comportements et risques (13ème), logement et environnement (16ème). Le rapport n’est pas très long à lire et vaut le détour, on y apprend quelques petites choses intéressantes, mais la partie sur l’éducation m’a laissé perplexe.
Données sur l’éducation
Pour faire son classement, l’étude s’est appuyée sur 4 critères, dont le choix est plus qu’instructif.
- le taux de scolarisation en maternelle : la France est 1ère du classement avec quasiment 100 % puisque l'école dès trois ans est historiquement ancrée ; notons que la Finlande, en tête de bien des classements, figure ici en dernière position
- le taux de participation en secondaire : la France est 19ème sur 29 pays, avec 83 % des enfants inscrits en secondaire
- un truc un peu barbare appelé « taux NEET », soit le pourcentage de jeunes qui ne participent à aucun programme d’enseignement, de formation ou d’emploi : la France se classe ici 16ème
- la réussite scolaire à l’âge de 15 ans : la France se classe 15ème
Au final, en terme de bien-être éducatif, la France occupe une médiocre 15ème place, et encore, heureusement qu’elle peut faire valoir son taux de préscolarisation, sans quoi ce serait encore pire.
Bien, me direz-vous, l’école française médiocrement classée : comme d’hab, quoi !
Bien-être des enfants ou évaluation du système éducatif ?
Plusieurs remarques :
- l’étude de l’Unicef semble fortement influencée par la méthodologie de l’OCDE, elle reprend des indicateurs connus des fameux « Regards sur l’éducation » publiés par celle-ci (dernière livraison en 2012), s’appuie purement et simplement sur PISA (le programme d’évaluation internationale des systèmes scolaires) pour la partie « réussite scolaire » ; ce sont des indicateurs intéressants, mais qu’il faut prendre pour ce qu’ils sont (le classement de PISA se fait seulement sur la lecture, les maths, les sciences, rappelons-le, et se propose d’évaluer, in fine, la manière dont les élèves sont préparés à être efficients économiquement dans la société qui les attend) ; il s’agit d’une vision systémique de l’éducation, ce sont les système éducatifs qui sont ici évalués et mesurés.
- c’est précisément pour cette raison qu’on est tout de même assez surpris de ne trouver dans une étude sur le « bien-être des enfants » que ce type de critères ! En fait, par bien-être des enfants, il faut plutôt entendre « qualité du cadre d’évolution des enfants à l’école », ou encore « critères structurels de qualité de la scolarisation des enfants » ; le bien-être est une notion très difficile à mesurer et à évaluer, et on doute fort que les seuls critères retenus ici par l’Unicef suffisent…
- de fait, l’étude pointe ses propres manques en conclusion : « L’idéal serait de compter sur de meilleures données, davantage orientées sur les enfants et produites en fonction d’indicateurs déterminants, par exemple : (…) l’aspect qualitatif de l’éducation de la petite enfance, et non l’aspect purement quantitatif (…) ».
- on retiendra tout de même deux confirmations : 1. le taux de préscolarisation (100 % des enfants en maternelle, on l’oublie mais c’est une exception mondiale ou presque) est reconnu comme un facteur important de réussite scolaire, or la France fait figure de contre-exemple parfait, avec son taux de réussite moyen ! Il y a dans cette anomalie une béance du système français : entre 3 ans et 15 ans, quelque chose se passe, ou plutôt ne se passe pas… 2. Entre 15 et 19 ans, le système français laisse pas mal de gamins sur le côté ; rappelons que chaque année, environ 130 000 élèves décrochent et sortent du système sans qualification…
« A l’école des enfants heureux… »
A la lecture du rapport, je me suis souvenu qu’il y a deux ans, une étude était parue sous un titre marquant : "A l’école des enfants heureux… ou presque ". J’avais fait un post à l’époque, m’étonnant notamment de ce que les médias avaient titré exclusivement sur le harcèlement (certes central dans l'étude). Or, le rapport était globalement très positif : « Loin du catastrophisme affolé qui s’est emparé des représentations communes de l’école française, notre enquête livre un regard très positif des élèves sur leur établissement, leurs enseignants et les relations avec leurs camarades. (…) En bref notre première approche est plutôt revigorante ! Si bien sûr nous nous attarderons sur les enfants victimes il n’en faut pas moins garder en toile de fond cette donnée rassurante et qu’il est étonnant peut-être de rappeler : oui les enfants sont le plus souvent heureux dans leur école ». Et encore : « Les élèves des écoles élémentaires, dans une très forte majorité, adressent un satisfecit à ses personnels, éprouvent le sentiment d’être en sécurité, et de bien apprendre dans leur école. Bien peu de services publics et d’institutions pourraient se targuer d’un tel degré de satisfaction chez leurs usagers. »
On pouvait notamment lire dans ce rapport les chiffres suivants :
88,9% des élèves déclarent se sentir bien à l’école.
88,7% ont de bonnes ou très bonnes relations avec leur instit.
95% estiment que l’enseignement dispensé dans l’école est bon.
¾ des élèves aiment aller en classe, 93,4% en récréation.
83,5% des élèves jugent les relations entre pairs bonnes ou très bonnes.
Dans l’étude de l’Unicef parue cette semaine, la parole n’est que peu donnée aux enfants. Quand elle l’est, voici ce que ça donne : seuls 56,6% des élèves français trouvent leurs camarades de classe gentils ou serviables (trois pays seulement font moins bien).
Ah, j’oubliais une donnée intéressante : le rapport de 2011, où les mots école, enfants, heureux figurent ensemble, a été présenté par… l’Unicef. Et les deux rapports portent sur la même période (2009 – 2010). Allez comprendre.
Quelques autres données
Je ne résiste pas à l’envie de partager avec vous quelques chiffres qui figurent dans les autres parties du rapport et qui ont attiré mon attention. En vrac :
- côté santé, la France est bien classée sur le surpoids (4ème), moyennement concernant les habitudes de petit déjeuner (10ème), très mal classée concernant l’activité physique des 11-15 ans (27ème sur 29), pas mal sur la natalité précoce chez les adolescentes (7ème), pas terrible sur la consommation de tabac (18ème), plutôt bien pour la consommation d’alcool (6ème), carrément très mal sur le cannabis (26ème) ;
- le plus déprimant / alarmant ? Les relations entre les enfants (11-15 ans) et leurs parents : 71 % seulement des petits français pensent qu’il est facile de parler avec leur mère (dernier pays des 29, très loin de l’Allemagne et ses 91,7%), pire encore, 50% seulement pensent qu’il est facile de parler avec leur père (dernier pays aussi, loin des 81,4% des allemands). L’écart entre mère et père est de plus de 21 points, le plus important de toute l’étude. Je sais pas vous, mais moi j’aimerais bien avoir une étude plus précise sur ces sujets…
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