Deux rapports très critiques pour la politique d’Education française


Cette semaine l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) et le HCE (Haut Conseil de l’Education) ont publié deux études très sévères avec la politique publique française en matière d’Education depuis 10 ans. Les orientations, les impasses et les mesures successives n’ont fait qu’empirer les choses quand elles s’améliorent ailleurs. Par ailleurs les indicateurs choisis par le gouvernement sont vivement critiqués : peu fiables, ils masquent la réalité.

Cette fois-ci, Luc Tout Va Bien Madame La Marquise Chatel et son ministère de communicants vont devoir s’échiner pour trouver un contre-feu. Il ne suffit plus de taxer les enseignants de corporatisme sourd, les syndicats d’archaïsme aveugle, et d’ignorer la gronde qui court partout en France depuis un an : les critiques ne viennent pas du sérail, mais de la très officielle et peu soupçonnable de gauchisme OCDE.

Que retenir des 533 pages de ses « Regards sur l’Education 2011 », concernant la France ?

1. La France, championne de l'inéquité est l’un des pays où le déterminisme social est le plus important dans les résultats scolaires. C’est une confirmation, la France ne sait plus former que des élites, elle ne sait plus accompagner les moins aisés dans la quête éducative, c’est la fin du fameux ascenseur social et l’écart se creuse. Autre révélateur : si le taux de scolarisation des 15-19 ans a augmenté de 9,5 % dans les pays de l’OCDE, il est passé de 89 à 84 % en France depuis 1995. Conséquence, 130 000 élèves quittent le système éducatif sans diplôme, et la moitié sera sans emploi ni activité.

2. La France a globalement cessé ses efforts en termes d’investissements dans l’Education. « Alors que la part de l'éducation dans les budgets publics est passée de 11,8% en 1995 à 12,9% en 2009, en moyenne dans l'OCDE, en France, la part dans l'éducation dans ces mêmes budgets a diminué, passant de 11,5% en 1995 à 10,6% en 2008 ». Quand Chatel dit qu’on n’a jamais autant dépensé pour l’Education, il joue donc avec les chiffres, comme souvent. A titre indicatif, le rapport de l’OCDE rappelle qu’un diplômé rapporte à son pays trois fois le coût de sa formation. Investir rapporte donc.

3. Les enseignants français figurent parmi les moins bien payés. Et pas qu’un peu : 15 % de moins que la moyenne des pays de l’OCDE pour un enseignant ayant 15 ans d’ancienneté ! Normal, depuis 1995, le salaire a augmenté dans les deux tiers des pays de l’OCDE, mais pas en France où il a même reculé, accusant une perte de 12 à 14 points en euros constants… Il faut toutefois noter que l’étude ne prend pas en compte les heures supplémentaires (inexistantes à l’école primaire) et la revalorisation en 2010 des jeunes enseignants (+ 4 % environ). Enfin, c’est en France que le pourcentage du PIB consacré au salaire des enseignants a le plus baissé sur cette période.

Suite à la publication de ce rapport de l’OCDE, François Jarraud parlait cette semaine dans un édito du Café Pédagogique de « décennie des abandons »: abandon de la priorité à l’Education, abandon de la lutte contre l’échec scolaire, abandon de la réussite pour tous au profit de filières d’excellence, abandon de la scolarisation avant trois ans, abandon de la revalorisation et des conditions du métier d’enseignant, abandon de toute formation professionnelle des enseignants... Jarraud termine son édito en citant Lincoln : « C’est vrai, l’éducation coûte cher, essayez donc l’ignorance ! ».

df

Les mauvaises nouvelles arrivant souvent par paire, Luc Chatel a été invité à tendre l’autre joue en milieu de semaine, avec la publication  par le Haut Conseil de l’Education d’un rapport sur « Les indicateurs relatifs aux acquis des élèves ». Sont ici visés les systèmes d’évaluations mis en place et utilisés par le gouvernement. Le seul sommaire du rapport en est une condamnation définitive : « Les indicateurs annuels fournis au Parlement ne sont pas satisfaisants ». « Les indicateurs concernant les compétences de base en français et en mathématiques sont partiels, peu exigeants et donc trompeurs ». « Les indicateurs tirés des évaluations nationales ne sont pas fiables pour des raisons de méthode ». « La confusion entre deux types d’évaluations prive les indicateurs de la rigueur nécessaire ». « La fiabilité des indicateurs n’est pas assurée ». « Le champ des indicateurs existants ne permet pas d’évaluer avec précision la maîtrise du socle commun ».

N’en jetez plus, la coupe est pleine.

Que dit le rapport (44 pages, c’est abordable), notamment pour l’école primaire ? Il dit ce que l’on a déjà écrit ici même il y a quelques mois. Les évaluations nationales de CE1 et de CM2, principaux outils d’analyse utilisés par le gouvernement, ne sont absolument pas fiables, particulièrement pour le CE1. Citons pour exemple :

- la forme de l’évaluation, par QCM, « ne permet pas de prendre en compte des capacités essentielles » telle l’expression écrite ou orale ;

- la diversité des pratiques dans les classes invalide de fait ce type d’évaluation : certains enseignants, en laissant plus de temps que prévu à leurs élèves, ou préparant les élèves avec les exercices des années précédentes faussent les résultats ; les écarts de notation (subjectivité de l’enseignant) sont aussi pointés comme source d’inéquité, de même que le « flou de certaines consignes de l’institution (…) qui se traduit sur le terrain par des pratiques variables » ;

- la confusion est entretenue par le ministère entre les évaluations nationales et les évaluations faites par l’enseignant pour adapter son enseignement aux élèves : « cette confusion tend à déformer la perception que les différents acteurs ont de l’évaluation ». Soit l’exact contraire du but recherché.

- etc.

Pour les évaluations de CE1, la conclusion du HCE est très claire : « Etant donné son caractère très partiel et son niveau d’exigence très insuffisant, cet indicateur devrait être rapidement supprimé ».

Dans une deuxième partie, le HCE invite à utiliser une autre méthode fondée sur la prise en compte d’échantillons sur l’ensemble du territoire à la fin de moments-clés de la scolarité : la fin du primaire et la fin du collège.

Le rapport s’achève sur une incitation à utiliser les indicateurs internationaux « devenus un outil de pilotage indispensable aux politiques éducatives » (suivez mon regard vers l’OCDE) et sur une préconisation : « renoncer aux indicateurs actuels (…) et créer un dispositif nouveau ».

Les dernières phrases du rapport sont lourdes de sens concernant la méthode du gouvernement : « Le moment est venu de confier à une agence d’évaluation indépendante la mise en œuvre d’un tel programme (…). Il est essentiel en effet que, dans notre démocratie, les données concernant les résultats de notre système éducatif soient objectives, donc incontestables ».

Si on m’avait demandé de dire avec diplomatie que le ministère manipule les chiffres à son avantage, j’aurais probablement écrit une phrase comme celle-ci.

df

Résumons-nous.

OCDE et HCE ont démontré cette semaine ce que les enseignants et le monde de l’éducation savent déjà, parce qu’ils en subissent les conséquences au quotidien sur le terrain : la politique des derniers gouvernements est non seulement inefficace, mais, inadaptée et contre-productive, n’a fait qu’aggraver les problèmes. Principalement préoccupés par la RGPP (non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, qui devrait ne pas pouvoir s’appliquer partout en termes équivalents), la communication / désinformation à outrance (indispensables pour discréditer les discours contestataires) pouvant aller jusqu’à la manipulation des chiffres, les ministères successifs ont totalement négligé l’Education dans ce pays depuis 10 ans.

Accessoirement, l’OCDE et le HCE enlèvent un peu de pression des épaules des enseignants : non, ils ne sont pas les seuls responsables du fiasco terrible dont on commence à percevoir les contours.

Le réveil est difficile et cruel. Pourtant nombreux sont ceux qui crient dans la nuit depuis des mois, des années. Dérangés par le bruit de ces gêneurs, les bonnes gens n’ouvraient leurs volets que pour dénoncer le corporatisme, pour moquer des « fonctionnaires » éternellement insatisfaits, pour vilipender, pour railler, pour gueuler inconsidérément et disons-le, connement.

Nous continuerons à crier, pourtant.

Et lundi matin, nous serons dans nos classes à travailler d’arrache-pied, vent de face, pour et avec nos élèves.

df

P.S : sur le salaire des enseignants, intéressante interview sur le Monde.fr de Luc Rouban, chercheur au CNRS

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