Aujourd'hui s’est ouvert le procès de l’ancien ministre du budget, M. Jérôme Cahuzac et de son épouse, poursuivis devant le tribunal correctionnel pour fraude fiscale et blanchiment. Ce premier jour d'audience a été consacré à des questions juridiques que bon nombre de commentateurs ont pu qualifier d’arides. Les défenseurs de l’ancien ministre et de son épouse ont ainsi soutenu devant le Tribunal une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) selon laquelle la dualité de poursuites pénales et fiscales serait contraire à la Constitution.
La fraude fiscale présente la particularité de l’existence d’une dualité de répression : d’une part, le droit fiscal permet de rétablir l’impôt par le biais du redressement, tout en admettant également l’existence de pénalités fiscales (majorations d’impôt, amendes fiscales) qui présentent un caractère répressif.
Il existe d'autre part en la matière une répression pénale, l’article 1741 du code général des impôts prévoyant une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 € d’amende pour le délit de fraude fiscale simple, pouvant s'élever jusqu’à 1 000 000 € d’amende dans certains cas, notamment lorsqu'un compte ouvert dans un Etat étranger a été utilisé sous certaines conditions.
En l’occurrence, selon ce qu’ont indiqué les avocats des prévenus, M. Cahuzac et son épouse ont d’ores et déjà subi des sanctions fiscales, ses avocats précisant que l’ancien ministre avait "accepté un redressement fiscal et une majoration de 80%" et que, compte tenu de cette sanction, il ne pouvait être sanctionné une seconde fois.
Cet argument s’appuie notamment sur la Convention européenne des droits de l’homme et sur le pacte international relatif aux droits civils et politiques qui prévoient le principe non bis in idem (qui prohibe qu'un même fait soit doublement sanctionné). Sur le plan constitutionnel, les avocats se fondent sur le principe de proportionnalité des peines issu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui précise que « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».
En application de ce texte, le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de retenir que « le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ; que, si l'éventualité que soient engagées deux procédures peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ».
Le Conseil constitutionnel admet donc le principe d’une dualité de répression, sous certaines conditions très précises. Dans une espèce concernant le cumul de sanctions pénales et de sanctions administratives relatives au délit d’initié, le Conseil constitutionnel a écarté la possibilité de cumul compte tenu de la proximité des deux types de répression (similitude de l’intérêt social protégé, sanctions qui n'étaient pas de nature différente, compétence des juridictions judiciaires).
En l’occurrence, il appartient au tribunal correctionnel de déterminer si la QPC présentée par M. Cahuzac est susceptible de faire l’objet d’un renvoi à la Cour de cassation, seule juridiction apte à saisir le Conseil constitutionnel d’une éventuelle difficulté.
Si le tribunal se prononce mercredi en faveur de cette dernière hypothèse, l’épilogue de cette procédure risque de n’intervenir que dans de nombreux mois.