Le 15 juillet dernier, le tribunal correctionnel de Cayenne a condamné Mme Anne Sophie Leclère, une ex-candidate FN aux élections municipales, à une peine d’emprisonnement de neuf mois de prison ferme pour des faits d’injure raciale et de provocation à la haine raciale. Par le biais d’un photomontage, Mme Leclère avait comparé Mme Christiane Taubira, Garde des Sceaux, à un singe et publié la photo sur son compte Facebook.
Le Front National a également été reconnu coupable des mêmes faits et condamné à une peine d’amende de 30.000 €.
Cette décision est surprenante, non pas en ce qui concerne la culpabilité de Mme Leclère (qui ne fait aucun doute au regard de la photo publiée) mais relativement au quantum de la peine prononcée, ainsi qu’à la reconnaissance de la responsabilité pénale du parti politique.
En effet, concernant la peine prononcée, il faut bien avoir à l’esprit que la peine maximale qui pouvait être infligée à Mme Leclère était d’un an d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende, l’injure à caractère racial prévu par l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 étant punie de six mois d’emprisonnement et 22.500 € d’amende tandis que la provocation à la haine raciale, définie par l’article 24 de cette même loi, est pour sa part réprimée d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende.
La peine prononcée est donc très proche du maximum prévu par la loi, alors qu’il est habituel qu’en ce genre de matière et concernant un prévenu sans antécédents judiciaires, le tribunal prononce une peine d’amende ou d’emprisonnement avec sursis.
Si de nombreux commentateurs ont pu expliquer que la sévérité des tribunaux était accrue lorsque le prévenu était absent (ce qui n’est nullement, et ne devrait au demeurant pas être à mon sens une règle absolue), force est de constater que cet élément n’a manifestement pas été pris en compte par le Tribunal au vu de la motivation de sa décision.
Ainsi le tribunal justifie la sévérité de la sanction prononcée en précisant notamment que « l’outrage à l’égard des personnes de race noire, mais au-delà à toutes les races, et donc à toute l’humanité est particulièrement violent », ce qui en soi n’est pas contestable.
Il est toutefois fait référence de manière détaillée à la situation particulière de la Guyane et à son histoire liée à l’esclavage, les infractions poursuivies y ayant dès lors causé un préjudice important justifiant une sévérité accrue de la juridiction cayennaise.
Cette motivation signifierait donc que la peine prononcée doive être différente selon le lieu où est commise l’infraction, étant précisée en l’occurrence que s’agissant d’une infraction perpétrée par le biais d’Internet (consultable dans tout département de France et d’outre mer), Mme Leclère aurait pu être poursuivie devant n’importe quel tribunal français, de Paris à Strasbourg en passant par Saint Pierre et Miquelon, avec une motivation de condamnation nécessairement autre que celle qui a été retenue par le tribunal correctionnel de Cayenne.
La motivation extrêmement spécifique adoptée par le tribunal porte ainsi à mon sens atteinte au principe de l’égalité des citoyens devant la justice.
Mon propos n’est nullement de justifier les agissements de Mme Leclère ni de les atténuer, mais si une peine d’emprisonnement de neuf mois ferme pouvait juridiquement être prononcée à son égard, il eût été nécessaire de la motiver en fonction de l’infraction commise, des circonstances de sa commission et de la personnalité de l’auteur (notamment de son casier judiciaire). Force est de constater que le jugement tel que publié fait nulle mentions du moindre élément relatif à la personnalité de Mme Leclère.
Concernant la condamnation du Front National, il convient préalablement de rappeler que les infractions reprochées n’ont pas été commises dans le cadre de la campagne officielle du parti, mais dans celui d’une publication personnelle sur la page Facebook de Madame Leclère, le parti ayant en outre ultérieurement condamné les agissements de son adhérente et prononcé son exclusion.
Le procureur de la République, lors de l’audience correctionnelle, n’a pas demandé de condamnation du Front National, considérant que les infractions reprochées au parti n’étaient pas caractérisées à son encontre.
Le Tribunal est pourtant allé à l’encontre des réquisitions du parquet, retenant la culpabilité du Front National et prononçant une amende de 30.000 € (le maximum encouru étant fixé à 45.000 €), négligeant au passage l'exclusion légale de toute responsabilité pénale d'une personne morale en matière de délit de presse.
La motivation de cette décision sur ce point est particulièrement détaillée, retenant comme éléments à charge les idées véhiculées par le FN et les prises de positions de son dirigeant historique, M. Jean-Marie Le Pen, pour conclure que l’élément matériel de l’infraction résidait en « la fourniture d’une investiture, d’un programme, d’affiches reproduites sur le site incriminé », l’élément moral étant quant à lui constitué « d’une volonté exprimée de s’en prendre aux étrangers et plus généralement aux hommes de race ou d’origines différentes ».
J’avoue ne pas comprendre cette motivation dans la mesure où l’infraction est constituée par le photomontage publié sur internet, et non par le programme et les affiches du parti tels qu’ils y ont été reproduits par Mme Leclère, étant précisé que la fourniture de ces éléments à cette candidate n’avait pas pour objet de les voir inclure dans un photomontage quelconque mais bien de soutenir sa candidature au mandat brigué. On se doute bien que si la volonté de s’en prendre aux étrangers du Front National apparaissait de façon condamnable dans les tracts officiels publiés lors de la campagne municipale, il n’aurait pas manqué d’être poursuivi devant les juridictions compétentes, ce qui n’a pas été le cas dans le cadre de ces élections municipales.
Dans ces conditions, malgré l’absence de sympathie que m’inspirent les idées véhiculées par le Front National, sa condamnation en tant qu’auteur principal d’infractions commises par une de ses adhérentes sans que soit démontrée la réelle implication du parti dans les faits poursuivis me paraît constituer une interprétation plutôt extensive de la loi pénale, alors même que la Constitution française et la loi font obligation aux magistrats de ne l’appliquer que de façon stricte.
Mme Leclère comme le Front National ayant fait part de leur intention de relever appel de cette décision, il est vraisemblable que la Cour adopte une position plus orthodoxe, tant en ce qui concerne le prononcé de la peine que l’application de la loi pénale.