Le Conseil d'Etat d'urgence

Depuis le 14 novembre dernier, le Président de la République a mis en application la loi relative à l’état d’urgence, texte qui a fait l’objet d’une modification législative le 20 novembre suivant, notamment en ce qui concerne l’assignation à résidence.

La façade du Conseil d'Etat à Paris le 9 janvier 2014.

Suite à cette modification législative, les possibilités et modalités de l’assignation à résidence ont été assouplies.

Ainsi, tandis qu’aux termes de l’ancienne rédaction l’assignation à résidence concernait « toute personne […] dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics », elle peut désormais être mise en œuvre pour « toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ».

La personne assignée à résidence peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'Intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures.

Le ministre de l'Intérieur peut enfin imposer à la personne assignée à résidence l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés.

Depuis lors plusieurs arrêtés d’assignation à résidence ont été pris, qui ne concernent pas uniquement des personnes soupçonnées d’être proches d’activités terroristes mais aussi des militants écologistes suspectés de pouvoir participer à des mouvements de protestation au cours de la COP 21, avec obligation de « pointer » trois fois par jour au commissariat.

Cette contrainte s’avère parfois particulièrement pesante puisque pour certaines personnes, l’obligation de « pointer » doit s’effectuer relativement loin de leur domicile (cas d’une personne résidant à Montrouge forcée de pointer dans le 18e arrondissement parisien), ce qui entraîne plusieurs heures de transports par jour et semble compromettre, voire interdire de fait la poursuite d’une activité professionnelle.

Certaines des personnes concernées ont saisi le Tribunal administratif en référé, sollicitant la suspension des effets des arrêtés d’assignation à résidence pris à leur égard.

Saisi de diverses ordonnances rendues par les tribunaux administratifs compétents, le Conseil d’Etat a rendu plusieurs décisions, le 11 décembre 2015.

Comme il le précise lui-même, le Conseil d’Etat devait s’assurer « que l’autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public, n’a[vait] pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (en l’espèce la liberté d’aller et venir), que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le comportement de l’intéressé, compte tenu du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence, ou dans la détermination des modalités de l’assignation à résidence ».

En l’occurrence, le Conseil d’Etat a considéré que le prononcé d’une assignation à résidence jusqu’à la fin de la COP 21 au motif qu’il existait de sérieuses raisons de menace pour la sécurité et l’ordre publics ne portait pas d’atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir - du moins, pas de façon suffisamment criante pour en ordonner la suspension.

La question qui se pose est donc de savoir ce qu’on entend par « raisons sérieuses de menaces pour la sécurité et l’ordre public ». Ainsi, s’il n’est pas contestable que des personnes qui participent à l’acheminement en Syrie de membres d’une cellule d’Al Qaida et recrutent des combattants en milieu carcéral soient susceptibles d’entrer dans le champ de cette définition, on ne peut qu’être plus réticent s’agissant de militants écologistes qui ont auparavant pu avoir un comportement jugé « violent », mais non attentatoire à la vie ou à l’intégrité d’autrui.

Il semble donc que le Conseil d’Etat ait adopté une appréciation plutôt « souple » de la notion de menace pour la sécurité et l’ordre public, permettant des restrictions importantes de la liberté d’aller et venir.

On peut relever que le Conseil d’Etat, dans le cadre d’une de ses décisions du 11 décembre, a tout à la fois adopté cette motivation et ordonné le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Cette question concerne l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 modifié par la loi du 20 novembre 2015 relative à l’assignation en résidence, dans la mesure où ses dispositions porteraient une atteinte injustifiée  à la liberté d’aller et venir, au droit de mener une vie familiale normale, à la liberté de réunion et de manifestation, outre l’incompétence éventuelle du juge administratif en la matière (le juge judiciaire étant garant des libertés individuelles).

Le Conseil constitutionnel a précisé qu’il rendrait sa décision dans le courant de la semaine prochaine.

En clair, le Conseil d’Etat affirme la légalité des décisions ordonnant les assignations à résidence (ou du moins, ne les considère pas comme manifestement illégales) tout en envisageant sérieusement que la loi qui les autorise soit contraire à la Constitution.

Les juridictions administratives annuleront peut être les arrêtés d'assignation à résidence dans le cadre de procédures au fond engagées parallèlement aux procédures de référé.

Mais compte tenu de la durée de la procédure administrative, une éventuelle annulation ne sera prononcée que dans plusieurs années. Bien après la fin des assignations à résidence, vraisemblablement.

 

NB : un grand merci à l'indispensable @bismatoj, qui s'y connaît bien mieux que moi en droit administratif et me corrige... en référé.