Municipales 2014: Vote, abstention, ou sanction par procuration ?

 

En démocratie, le vote constitue l’expression rationnelle des volontés individuelles, en vue de former une décision collective. Cependant, voter n’apparaît pas –a priori- naturel aux yeux du citoyen qui souvent se dit : à quoi bon ? Que pèse ma voix ? Alors pourquoi vote-t-on ? Pourquoi continue-t-on à voter si l’on estime que sa voix ne compte pas ? Eh bien c’est parce qu’il y a un paradoxe du vote.

Certes, Condorcet (1785) ne reconnaît pas au vote la vertu de conduire à une décision collective rationnelle et cohérente. Idée reprise par le Nobel d’économie Kenneth Arrow et son théorème dit de l’impossibilité. Mais le vote peut néanmoins constituer un processus de décision collective acceptable si l’on observe qu’une règle électorale efficace est en œuvre, comme la règle de la majorité qualifiée par exemple.

Le coût du vote

On sait que voter représente un coût, voire un coût d’opportunité. Lorsque je prends le temps d’aller voter, je néglige une activité alternative (jouer avec mes enfants, aller à la pêche…).
Pour voter, il faut aussi se renseigner un minimum sur les candidats en lice et leurs intentions ou réalisations (s’il s’agit du sortant). Il y a donc aussi un coût d’information lié à l’évaluation de la meilleure politique possible. Mais il y a aussi un avantage personnel potentiel, en cas de victoire de son candidat préféré. Cependant cet avantage n’est pas garanti, il ne peut être qu’aléatoire. Ceci plaiderait plutôt en faveur de l’abstention. Enfin, l’électeur peut aussi considérer qu’il y a peu de chances que sa voix change –à elle seule- l’issue du scrutin. Dans ce cas on dit qu’en s’abstenant il choisit un comportement d’ignorance rationnelle (au sens d’Aranson, 1989).

Le paradoxe du vote expliqué

Cependant, sans nier qu’en moyenne l’abstention gagne du terrain dans les démocraties, les individus continuent à voter. Les électeurs seraient-ils irrationnels ? Gordon Tullock (1976) lève le paradoxe du vote à l’aide d’arguments réalistes. Le vote apporte des avantages subjectifs  tels que la satisfaction de remplir son devoir civique, de sortir, d’être reconnu dans le bureau de vote, d’exprimer son attachement à un homme ou à un parti et il permet aussi de lutter contre la crainte de laisser la décision à un autre individu. Le seul inconvénient ici c’est l’instabilité du comportement d’une élection à l’autre, qui le rend très difficile à prévoir. En effet, pour l’heure il semble impossible au modèle de donner une prévision réaliste et très probable de ce phénomène.
On ajoute, qu’il y a aussi une certaine rationalité à sanctionner les gouvernements inefficaces et à les remplacer par d’autres. Il peut être aussi rationnel de récompenser les bons gouvernements et ainsi de les inciter à être efficaces.
Mais attention, en la matière, force est de constater qu’il y a une asymétrie du blâme. On est plus rapide et plus déterminé à voter contre (on est prompt à critiquer les trains qui arrivent en retard) qu’on ne l’est à voter pour (on ne dit que rarement que l’on est content de voir que les trains arrivent à l’heure).

 Free rider et abstention

Enfin, ce qui peut « tuer » l’abstention, c’est bien la pression de la norme sociale qui fera passer l’abstentionniste pour un « affreux free rider (littéralement un passager clandestin) » . Entendez, un individu qui fait « cavalier seul » et qui est un pur opportuniste, laissant aux autres les contraintes liées à une situation ou  une décision collective car il sait que les bénéfices ne pourront pas lui être refusés. C’est le salarié qui laisse les autres faire grève en sachant que les avantages qui pourraient être obtenus s’appliqueront à tous – grévistes et non grévistes- .
Dans les petits villages, les électeurs –sans le savoir- font la chasse aux free riders. Si la participation est forte, c’est aussi pour éviter d’être montré du doigt. Et surtout, c’est un atout quand on va voir son maire pour lui soumettre des doléances. En signant les registres électoraux on atteste de sa participation, il devient alors plus facile de dire (ou faire croire) au maire que l’on a voté pour lui (l’urne conserve ses secrets) et que l’on réclame son soutien en retour (logrolling).

Ainsi, le citoyen vote par devoir, mais aussi parce qu’il a le souci de sa réputation.

Mais ici, il ne s’agit que de la participation. Or pour les candidats cela ne suffit pas !

La participation, mais pour qui ? Pourquoi ?

Les 23 et 30 mars prochains, un nouveau paradoxe pourrait apparaître. Si certains électeurs prenaient conscience de la mauvaise image véhiculée par l’abstentionniste, il pourraient alors finalement voter, ou plus précisément participer au vote, mais sans choisir de candidat ! L’électeur de gauche et de la gauche de la gauche –en particulier- que l’on dit tenté par l’abstention pourrait  voter blanc ou nul et laisser aux électeurs de droite le soin de sanctionner les maires sortants PS et d'envoyer un avertissement au gouvernement Ayrault. Mais dans l'autre camp, et notamment dans les seconds tours UMP-PS, certains électeurs sympathisants de la droite ou du Front National pourraient - aussi - opter pour le vote blanc (comme en 2012) afin d'envoyer un signal à l'UMP...en laissant l'outil de la sanction à la  gauche.

Reste à savoir qui du PS ou de l'UMP pourraient pâtir de cette nouvelle forme de sanction : la sanction électorale par procuration.