Municipales : à quelles conditions la gauche pourra-t-elle limiter la casse ?

Alain Lebot/ Photo non stop

Entre 19 et 39 villes de plus de 30 000  habitants pourraient basculer à droite à l’issue des municipales. Telles sont les conclusions de notre dernière vague de simulation ElectionScope sur les potentiels électoraux des équipes sortantes. Pour éviter un tel scénario la gauche devra compter sur la présence du FN au second tour, toujours plus nuisible pour la droite, et éviter toute défection au sein de son propre camp.

Nous avons réactualisé le modèle en intégrant les données révisées de l’indice de popularité de François Hollande (décembre 2013), du taux de chômage par zone d’emploi (septembre 2013), ainsi que le nombre de candidats du FN effectivement présents au premier tour, le nombre de dissidents de droite comme de gauche et enfin, le nombre de primaires officielles ou « officialisées » par les états-majors. Les autres facteurs explicatifs du vote tels que les scores électoraux passés, la socio-démographie urbaine, la qualité de gestion, les caractéristiques d’âge de la population et les caractéristiques du patrimoine bâti sont restés inchangés par rapport à la dernière étude.

Il ressort de notre panel des 236 villes de plus de 30 000 habitants, les caractéristiques suivantes :

- Le Front National est présent au premier tour dans 157 villes (soit dans les deux tiers des villes du panel). Précisément, le FN est présent dans 89 villes de gauche et dans 68 villes de droite.
- Il y aura trois fois plus de dissidents dans les villes de gauche que dans les villes de droite. On dénombre 94 cas de dissidences (EELV, DVG ou FG) face aux listes d’union de la gauche contre 36 cas de dissidences à droite, face aux listes d’union.
- On compte par ailleurs 16 cas de primaires (8 à droite et 8 à gauche).

Nous avons dans un premier temps simulé le vote au premier tour, à partir des facteurs susmentionnés, par grands blocs (droite/gauche) dans les 236 villes du panel. Parallèlement nous avons aussi estimé le score du Front National dans chaque ville, à l’aide d’un modèle spécifique. Nous avons ainsi pu identifier les villes où le FN pourrait se maintenir. Puis, tenant compte d’un coefficient d’érosion entre les deux tours, nous avons estimé le score du FN au second tour. Nous avons ensuite simulé le score des équipes sortantes au second tour, en retenant deux hypothèses :

Hypothèse 1 : report parfait des dissidents et des perdants des primaires sur les candidats restant en lice.
Hypothèse 2 : report imparfait des dissidents et des perdants des primaires sur les candidats restant en lice. On applique alors les décotes prévues par le modèle.

Cas de reports parfaits entre les deux tours

Dans cette hypothèse, la droite l’emporte dans 19 villes, plus deux situations serrées (à 50-50) à Choisy-le-Roi et L’Hay-les-Roses. Les probabilités de basculement les plus élevées concernent Poissy, Asnières, Anglet, Pau, Périgueux et Brive.

Cas de reports imparfaits entre les deux tours

Des reports difficiles entre les dissidents et les candidats d’union pourraient entraîner jusqu’à 39 basculements à droite et 3 à gauche (Villefranche-sur-Sâone , Savigny-sur- Orge et Albi).

Dix villes seraient incertaines, parmi elles 7 sont tenues par la gauche dont Dijon, Grenoble et Cherbourg et 3 par la droite, à savoir Garges-les-Gonesse, Mantes-la-Jolie et Bourges. Les mauvais reports générant une décote en voix, ils renforcent aussi la probabilité de réalisation des basculements du tableau 1. Il faut ajouter à cette liste Reims, Chambery et Tours où les probabilités de basculements sont sérieuses. Des villes réputées solides à gauche se retrouvent aussi fragilisées -en probabilités- à l’instar de Brest, La Rochelle, Rennes et Nantes. Enfin, Dijon et Grenoble sont en zone d’incertitude. On notera enfin, que parmi les villes où la probabilité de basculement à droite est supérieure à 51%, seules 5 pourraient être concernées par une triangulaire avec le FN (Metz, Reims, Strasbourg, Noisy-le-Grand et Auxerre).

Un FN nuisible pour la droite

Notre prévision indique aussi que la gauche pourrait l’emporter dans 55 villes tout en étant minoritaire en voix au second tour. Le Front National serait donc en mesure de priver la droite républicaine d’une victoire et d’éviter le vote sanction à la gauche et au gouvernement. Ce phénomène a déjà eu lieu, c’était en 1995, en imposant 101 triangulaires (sur 236 villes), le FN avait privé la droite d’une large victoire annoncée alors que Jacques Chirac venait à peine de remporter la Présidentielle.

Pas de vague bleue sans désunion à gauche

Finalement, sauf à considérer que le FN ferait moins bien que ce qui est prévu, une vague bleue n’est envisageable qu’en cas de désunion à gauche au second tour. Dans ce cas, la droite pourrait retrouver une partie des villes perdues en 2008 et revenir autour de son score 1995 (110 villes sur 236).

Limiter la casse reste possible à gauche...mais pas sans l'aide des alliés... et du FN

Si le FN reste haut et si les reports de voix fonctionnent bien à gauche, alors l’UMP et ses alliés ne devraient pas décoller significativement du socle atteint en 2008, soit 96 villes sur 236, c'est-à-dire leur seconde plus mauvaise performance après celle de 1977 (75 villes sur 236).

Enfin, n’oublions pas que les prévisions de potentiels électoraux présentées ici sont issues d’un modèle politico-économique probabiliste. Ce qui signifie que l’on doit interpréter ces résultats à l’aune des hypothèses du modèle. Une analyse détaillée du bilan de ces prévisions à paraître dans : « Villes de gauche, villes de droite », Foucault M., Nadeau R., Jérôme B. et Jérôme-Speziari V., Presses de Science-Po (septembre 2014).