Les sondages nous annoncent une abstention plus forte qu’en 2008. Qu’en penser ? Quel crédit accorder à cette information ? Comment ne pas être « affecté » par cette annonce, affecté jusqu’à revoir ses propres intentions électorales ?
Toutes ces questions appellent des réponses sous peine de laisser se développer une insidieuse manipulation.
Mais, soyons plus clairs.
Sur quoi se fonde l’information d’une abstention « record » ? Sur les résultats de sondages qui mesurent d’après les révélations des sondés, le poids des indécis et des électeurs qui se disent bien décidés à bouder le scrutin.
Bien décidés à s’abstenir ?
Dans une ambiance agitée, ou l’image du politique est abîmée par des affaires -petites ou grandes- ou le « tous pourris » résonne en boucle, on peut être tenté d’afficher un désintérêt réprobateur. Le sondé dit refuser de choisir entre des "clones." C’est l’image ancienne du blanc bonnet et bonnet blanc (Duclos évincé de peu du second tour de 1973 opposant Pompidou et Poher). Dans ce cas, il s’agissait simplement de souligner la proximité idéologique.
Aujourd’hui c’est plus grave. Ceux qui disent vouloir s’abstenir, disent ne plus croire aux discours. Ils s’appuient sur le constat de bilans négatifs pour justifier des promesses non tenues. Ils ajoutent parfois que l’offre électorale n’est pas assez large pour accueillir leurs préférences.
Tous ces éléments peuvent se justifier, le désamour qui peut aller jusqu’au rejet du politique a des causes réelles. Mais doit-on pour autant imaginer qu’il y aura passage à l’acte ?
Pourquoi ne pas envisager, que cette déception n’ira pas à son terme ? De nombreux éléments peuvent intervenir et inciter à se re-mobiliser. Quand on est déçu c’est que l’on a des convictions. Si le camp d’en face est annoncé vainqueur : soit vous accusez le coup et cela vous démoralise un peu plus, soit cela vous incite à relever le défi avec la force du désespoir. (Voir le poste sur les effets de mobilisation / démobilisation Bandwagon Effect et Underdog Effect).
Un autre phénomène est envisageable et tient dans la difficulté qu’ont les sondages à pousser les sondés à produire une révélation sincère de leur intention. On peut trouver différentes causes, en dehors du fait que le sondé serait incapable d’exprimer un choix, il y a aussi de sa part la volonté de faire une réponse conforme à la tendance moyenne. Il répond qu'il n'ira pas voter, car il constate que l’ambiance est au rejet du politique. Un sentiment très fort chez les jeunes que l’on dit –un peu trop vite- les moins intéressés par le sujet. Pourtant, il y a aussi des jeunes qui s’investissent socialement, politiquement, on a de nombreux exemples de jeunes candidats aux municipales. Accéder au droit de vote c’est important, on se souvient toujours du premier bulletin glissé dans l’urne, l’acte est solennel. Alors pourquoi, ceux qui sont finalement les plus concernés par l’avenir, seraient-ils les moins prompts à exprimer un choix ?
La spirale du silence
Evoquer l’idée d’une opinion publique, reviendrait à constater une altération des préférences individuelles, c'est ce que la politologue Elisabeth Noëlle-Neumann appelle la sprale du silence. On fait référence à la possibilité d’un silence volontairement entretenu. « l’opinion publique …exige le consentement …elle contraint au silence, ou à éviter de soutenir la contradiction. » Tönnies (1922). D’autres auteurs voient dans le silence un manque de courage, on ne se bat pas pour défendre ses opinions lorsqu’elles sont marginales. La pression sociale, la peur du jugement « des autres » nous réduirait au silence ( http://www.electionscope.fr/).
Ainsi, pour ne pas se sentir isolé, (ou parce qu’il doute du bien-fondé de son opinion) un individu peut renoncer à son propre jugement. Ceci est à mettre en relation avec la notion de point focal (Schelling, Nobel d’économie) qui énonce que les individus se comportent en intégrant ce qu’ils pensent que les autres feraient à leur place, cette spécularité mêlée à une certaine circularité du jugement, conduit à des décisions et à des comportements coordonnés.
Ajoutons, à propos de la circularité, que Stoetzel –fondateur de l’IFOP- évoque aussi cet aspect, observant - test à l’appui - que chacun détermine ses choix en orientant le regard ou la pensée vers l’attitude de ses voisins, affirmant finalement que « l’opinion publique s’engendre elle-même. »
L'abstention pourrait faire mal ... surtout à gauche
Attention, dimanche prochain, l’abstention pourrait ne pas être également distribuée selon les camps. Si le mécontentement est plus intense côté gauche de gouvernement, alors c’est là que l’on risque de trouver les plus forts taux d’abstention, et dans ce cas les prévisions seraient en partie bousculées, la gauche serait moins forte qu’attendue. Mais, les électeurs vont-ils tout dire aux sondeurs?