On ne peut pas évacuer le débat sur l'économie du cœur de la campagne des municipales! C'est ce que dirait aujourd'hui Edward Tufte qui, en 1978 affirmait cette nécessité : « When you think economics, think elections, when you think elections, think economics. »
C'est une recommandation utile à tout responsable politique. C’est aussi l'essence même du courant des Choix publics qui, à la fin des années cinquante a révolutionné la définition académique des démocraties développées. Il s'agira de considérer l’élection et le vote comme des paramètres fondamentaux pour l’analyse des interactions, désormais reconnues, entre sphères politiques et économiques.
Les choix publics comme fil conducteur de l’analyse économique de la politique
Ce post en direct de la Caroline du Sud, où vient de s'achever la 51° Conférence annuelle de la Public Choice Society est l'occasion idéale pour présenter -à ceux qui ne le connaissent pas encore- ce courant d'analyse qui inspire la démarche de notre modèle Electionscope sur les municipales.
Montesquieu écrivait : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser, il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites » (De l’esprit des lois).
Pour l’Ecole des Choix Publics c’est un risque que l’on ne peut écarter même s’il n’est pas systématique. L’Ecole propose une relecture des principes et des acquis fondamentaux en matière d’analyse économique de la politique, à savoir :
- envisager les maux nés de l’action gouvernementale (Government failures) en lieu et place des défaillances du marché (Market failures) ,
- s’interesser explicitement au marché politique en expliquant (endogénéisant) les aspects visibles et moins visibles de l’action des responsables politiques (Tullock, G., 1978, Le marché politique),
- démontrer le rôle fondamental de la règle électorale pour l’expression des préférences et du choix des électeurs (systèmes de vote, rôle de la règle de la majorité qualifiée in The Calculus of Consent, Buchanan et Tullock, 1962),
- proposer une redéfinition de la théorie de l’action gouvernementale,
- souligner le rôle souvent déterminant des groupes de pression (Lobbying) à la recherche de rentes (Rent seeking) dans le cadre d’un marchandage politique et de la mise en place d’un processus d’échange de voix (Logrolling). (Détails in : Bruno Jérôme & Veronique Jérôme-Speziari, « Analyse économique de la politique », Economica)
Les hommes politiques choisissent des programmes pour gagner les élections, au lieu de gagner les élections pour mettre en place leurs programmes (Downs, 1957)
Pour le prix Nobel d’économie James Buchanan (1987), tout économiste adhère à la logique de l’intérêt personnel, à la maximisation de l’utilité, et à la préférence pour l’échange social plutôt que l’action isolée. Les comportements qui s’expriment en dehors d’un marché, comme ceux des hommes politiques, des bureaucrates, des juges, des membres d’une famille, … doivent être pris en considération par l'économiste.
En démocratie, les décisions de politique économique (choix collectifs, biens publics) sont prises par des gouvernements, qui à l’occasion des élections reçoivent en dépôt la souveraineté du peuple. Pour le courant des Choix Publics l’Etat prend la forme d'un conglomérat (défini par Jean Bénard, 1985), une notion proche de la vision d’Etat Leviathan (1) de Hobbes.
La théorie des choix publics propose de résoudre les problèmes de l’instabilité des choix collectifs et du paradoxe du vote (2), à l'aide du concept de contrat constitutionnel qui justifie le comportement et l’adhésion des individus.
La théorie politique en général s’interroge sur la définition de l’Etat, tandis que la philosophie politique recherche ce qu’il devrait être et que la science politique s’interroge sur la manière dont l’Etat est organisé. Ici, l'Etat n’est qu’un voile sur la décision et l’action collective. C’est-à-dire, « l’action d’individus qui ont choisi de poursuivre certains buts collectivement plutôt qu’individuellement, … le gouvernement n’est rien d’autre que l’ensemble des processus et la machine qui permettent la mise en œuvre de cette action collective. »
Le problème c'est l'Etat
Le courant du Public Choice renverse la logique de l’économie du bien-être et de Keynes : le problème n’est plus le marché mais c’est l’Etat et ses défaillances (Government failures), et la solution n’est plus l’Etat mais le marché. On redoute alors les corrections étatiques car elles peuvent s’avérer contre-productives.
La théorie des choix publics complète la théorie générale de l’économie publique par l’intégration explicite du fonctionnement des marchés politiques. Alors que les modèles traditionnels, notamment macroéconomiques et néo-classiques, les laissent en-dehors de l’analyse (facteurs exogènes).
L’avenir du Public Choice
Depuis la fin des années 50, le Public Choice a averti contre les effets pervers, à terme, de l’Etat providence (hausse des dépenses publiques et augmentation dangereuse du poids de l’Etat, explosion de la dette). Au-delà, il a servi de boîte à outils pour tous les tenants de la dérégulation, quitte à verser parfois dans le dogme et la caricature.
Aujourd’hui, le courant des choix publics se veut plus ouvert et cherche avant tout à définir le « mieux d’Etat » et les caractéristiques de la bonne gouvernance. En allant plus loin, l’analyse permet d’aborder tous les sujets qui touchent à l’action collective, mais au sein de laquelle les comportements individuels interviennent (syndicats, partis politiques, électeurs, associations, institutions internationales, gestion des biens environnementaux, ONG, collectivités locales…).
Histoire de dire que l’on ne peut plus penser les décisions publiques et l’équilibre social au niveau global sans tenir compte des comportements individuels des acteurs politico-économiques que nous sommes tous, et bien sûr, des retombées que cela implique sur le bon fonctionnement de l’économie.
Mais surtout, l’Ecole des Choix Publics rappelle que « ceux qui subissent les effets des décisions politiques sont aussi ceux qui choisissent les décideurs qui décident pour eux » (Buchanan et Tollison, 1972). A méditer pour les candidats aux municipales...
(1) Léviathan : en référence au monstre du chaos originel, l’état, dès qu’il existe, a toujours une propension à grossir tant et plus.
(2) Lorsque l’électeur compare le poids marginal de son vote et la chance que cela a d’influencer le résultat final, il devrait rationnellement s’abstenir. Et pourtant il continue à voter (par tradition, par norme sociale, par intérêt, par idéologie, etc.).