L'ABA est l'une des composantes d'intervention en autisme les plus répandues.1,2 Cependant, l'ABA reste mal comprise des professionnels et suscite beaucoup de controverses.3 L'autisme étant déjà un domaine complexe en soi, il n'est pas étonnant que les acteurs en perdent leur latin lorsqu'ils doivent en même temps considérer l'ABA, un champ tout aussi raffiné.
L'objectif de ce post est de définir ce que sont l'autisme et l'ABA, avant de présenter les preuves de l'efficacité de l'ABA rapportées par la littérature scientifique dans le champ de l'intervention en autisme. Nous finirons en citant quelques travaux prometteurs en ABA "moderne"…
L'AUTISME C'EST QUOI ?
Cette partie s'appuie principalement sur un article d'Ingrid Robeyns (2016).4
L'autisme est actuellement considéré comme un trouble précoce du neurodéveloppement et concerne environ une naissance sur 100. Les dernières versions des classifications internationales utilisent le sigle TSA pour désigner l'autisme (TSA pour Trouble du Spectre de l’Autisme, dans le DSM 5 et la CIM 11). C'est ce terme qui est le plus utilisé dans les publications scientifiques. Cependant, les acteurs de la recherche ne sont plus tous d'accord avec l'idée que l'autisme soit appréhendé comme un trouble. Pour certains, il serait en effet préférable de comprendre l'autisme comme une identité "neurodivergente". Certaines personnes autistes parviennent en effet à réussir professionnellement ou à fonder une famille les menant à une vie pleinement épanouie ; elles refusent d'être perçues comme des personnes ayant un handicap, et se réclament plutôt de la neurodiversité. Néanmoins, il est difficile de considérer les personnes autistes nécessitant un niveau d'accompagnement soutenu comme des personnes sans handicap. A ce sujet, le débat reste donc ouvert : il est possible de mettre autant l'accent sur la notion de trouble handicapant, que sur celui d'une différence non pathologique. Le choix d'insister sur un aspect plutôt que sur un autre dépend dans une certaine mesure de la façon dont l'autisme se manifeste, mais également de la façon dont les sociétés accueillent ces particularités et aménagent l'environnement pour répondre aux besoins que celles-ci exigent.
A. LES CARACTERISTIQUES FONDAMENTALES DE L'AUTISME
Même s'il est aujourd'hui bien établi que l'autisme a une base génétique, il n'existe cependant aucun marqueur causal.5 Le diagnostic ne peut donc se faire que d'après une observation clinique. Deux critères principaux sont actuellement retenus pour poser un diagnostic de TSA : premièrement, un déficit persistant de la communication et des interactions sociales ; deuxièmement, des intérêts, comportements ou activités restreints et répétitifs. Il s’agit là des caractéristiques fondamentales de l’autisme (le DSM 5 et la CIM 11 sont globalement en phase sur ces critères). Mais cette catégorisation suscite des critiques. Certains chercheurs estiment par exemple que les classifications devraient inclure d'autres caractéristiques essentielles à l'autisme, comme les particularités sensorielles (le DSM 5 met tout de même l'accent sur l'hyper ou l'hyposensibilité, sans toutefois les considérer comme un critère déterminant).
Les modes de communication et d'interaction sociales peuvent se manifester de différentes manières selon les personnes autistes. Certaines ne parlent pas du tout, et expriment uniquement leurs besoins élémentaires à l'aide de moyens de communication alternatifs ; tandis que d'autres maitrisent parfaitement la parole d'un point de vue formel, tout en ayant des difficultés dans la pragmatique du langage. Il est généralement difficile pour les personnes autistes de comprendre la communication corporelle (comme les expressions faciales) et de capter les signaux sociaux. Elles peuvent ne pas regarder les autres dans les yeux ou continuer à fixer les gens alors que les normes sociales indiquent que nous ne devrions pas le faire. Les personnes autistes ont souvent de la difficulté à comprendre l'ironie, mais cela ne veut pas dire qu'elles n'ont pas d'humour ; au contraire, elles peuvent développer leurs propres formes d'humour, que les personnes neurotypiques auront de la difficulté à comprendre. Plus généralement, il leur est compliqué de tenir compte du contexte social et de saisir les attentes et les normes sociales.
De même, les comportements des personnes autistes et les défis auxquels elles sont confrontées peuvent varier considérablement. Certaines évitent les relations sociales, tandis que d'autres apprécient la compagnie des autres, même si elles ne comprennent pas toujours certains codes sociaux qu'elles doivent apprendre explicitement. Certaines personnes autistes peuvent devenir très anxieuses lorsqu'elles sont confrontées à des imprévus, des changements soudains ou des interruptions d'activités ; d'autres peuvent plus facilement faire face à ces transitions. La plupart des personnes autistes ont de forts intérêts pour des objets, thématiques ou passe-temps particuliers qui retiennent beaucoup leur attention. Cette importante motivation ciblée sur des intérêts est d'ailleurs l'une des sources de leurs talents et de leurs forces. Leurs compétences peuvent également s'expliquer par des capacités de mémorisation souvent remarquables et par la manière particulière dont leur cerveau traite l'information visuelle. La variabilité de ces comportements et des défis face auxquelles les personnes autistes doivent faire face s'appliquent également à leurs particularités sensorielles, telles que la lumière, le bruit, les sensations tactiles, ou le goût. Ainsi, de nombreuses personnes autistes sont très sensibles aux goûts et textures alimentaires, limitant grandement ce qu'elles peuvent manger. Certaines peuvent même ne pas percevoir la sensation de faim et ont alors besoin d'artifices pour non seulement leur rappeler qu'il est temps de passer à table, mais aussi pour leur indiquer les quantités de nourriture qu'elles devraient consommer.
B. LES TROUBLES ASSOCIES A L'AUTISME
L'autisme est donc un terme utilisé pour décrire une large palette de manifestations cliniques au sein des caractéristiques fondamentales. En plus de cette description, une grande proportion des personnes autistes souffrent également de conditions associées : trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), troubles anxieux et troubles de l’humeur, déficience intellectuel, épilepsie, troubles du sommeil, troubles de la conduite, troubles métaboliques, problèmes gastro-intestinaux, respiratoires, dermatologiques, allergies alimentaires, etc. Sans compter les autismes auxquels s'ajoute une anomalie génétique connue, comme le syndrome de l'X fragile (autismes dit "syndromiques"), ou les autismes s'exprimant plus tardivement, après une période de développement typique (trouble désintégratif). En définitive, les conditions concomitantes, couplées à l'hétérogénéité du développement et de l'expression des caractéristiques fondamentales, accentuent la variété du phénotype de l'autisme et rendent difficile sa bonne compréhension (la récente CIM 11 propose d'ailleurs une classification en sous-groupes).
La dysrégulation émotionnelle : une hypothèse explicative des troubles associés
Une mauvaise régulation de l'émotion chez les personnes autistes pourrait être un facteur clé dans le déclenchement de certains comportements "défis" (colères, accès incontrôlés, agressivité ou automutilation). Cette difficulté à réguler ses émotions (ou dysrégulation émotionnelle) serait même un processus qui expliquerait mieux ces comportements que les diagnostics psychiatriques associés.6,7,8,9,10 Prenons l'exemple des comportements d'automutilations souvent observés chez les personnes autistes : quel lien peut-on faire entre ces comportements et la dysrégulation émotionnelle ? Une des hypothèses soulevée pour expliquer cette relation est de dire que les comportements d'automutilation auraient une fonction de régulation d'états affectifs jugés désagréables.11 En d'autres termes, ces comportements permettraient d'échapper à certains états émotionnels.12
L'ABA, C'EST QUOI ?
L'ABA est le sigle pour Applied Behavior Analysis (analyse appliquée du comportement en français). C'est un champ de connaissance issu de recherches scientifiques en psychologie comportementale qu'il est difficile de comprendre sans le resituer dans son contexte d'apparition…
A. AUX ORIGINES DE L'ABA13
Inspirés par l'apprentissage répondant découvert par Pavlov, les 1ères générations de psychologues comportementalistes se sont exclusivement intéressés aux antécédents externes qui auraient pu expliquer les comportements. Ces psychologues résumaient donc la psychologie de l'individu à la notion de stimulus-réponse, sans s'intéresser aux faits de conscience qu'ils refusaient d'étudier scientifiquement (la fameuse "boîte noire" de Watson). Par la suite, un psychologue américain nommé B. F. Skinner va faire l'une des découvertes scientifiques les plus importantes du 20ème siècle : l'apprentissage opérant. A partir d'expérimentations réalisées sur des rats et des pigeons, Skinner observe en effet que le comportement ce ces animaux opère une transformation sur l'environnement qui modifie en retour leurs comportements : ces animaux apprennent des conséquences de leurs comportements. Contrairement au comportementalisme de Watson qui considérait l'individu comme étant essentiellement passif, ici l'organisme est actif, il agit sur son milieu. En étendant l'étude des comportements aux évènements qui le succèdent, Skinner est donc passé d'un modèle explicatif du comportement stimulus-réponse à un modèle stimulus-réponse-stimulus (antécédent-comportement-conséquence) et a ouvert la voie à une 2ème génération de psychologues comportementalistes.
L'apprentissage opérant et ses différents principes constituent une science du comportement, ou analyse du comportement, qui se divise en 3 branches :
1. L'analyse expérimentale du comportement : elle correspond aux travaux menés pour confirmer les découvertes princeps de Skinner. La partie expérimentale de l'analyse du comportement débute en 1938 avec la sortie du livre « Behavior of organisms » qui résume les travaux conduits par Skinner entre 1930 à 1937. Durant les années 1950 et au début des années 1960, les chercheurs ont ensuite cherché à déterminer si les principes du comportement démontrés en laboratoire sur des animaux pouvaient aussi être vérifiés chez l'être humain (l'une des premières études à ce sujet date de 1949).14 Ces premières recherches ont pu démontrer que ces principes étaient bel et bien transférables aux comportements humains : ces derniers sont façonnés par leurs conséquences, tout comme les conséquences affectent le comportement des rats et des pigeons.
2. L'analyse appliquée du comportement (ABA) : elle consiste à appliquer les principes issus de l'analyse expérimentale du comportement dans le but d'améliorer les conduites humaines. L'ABA débute officiellement dans une publication de 195915 décrivant comment le personnel soignant d'un hôpital psychiatrique a pu améliorer le fonctionnement de ses usagers en utilisant des techniques de modification du comportement issues de l'analyse expérimentale. A partir des années 1960, les études en ABA n'ont ensuite jamais cessé d'être publiées dans des domaines aussi variés que la psychiatrie, l'éducation, le handicap, la médecine, le monde du travail, etc. (à la fin des années 2000, on comptait près de 20 000 articles publiés).16 Au départ, l'ABA n'a donc aucun lien avec l'autisme. C'est néanmoins dans ce domaine que les analystes du comportement travaillent le plus souvent.17
3. Le comportementalisme : c'est la philosophie de l'analyse du comportement. L'une des questions à laquelle tente de répondre le comportementalisme est la suivante : l'analyse du comportement peut-elle rendre compte de tous les aspects du comportement humain ? Pour Skinner, les faits de conscience internes, ou évènements privés (pensées, émotions, images mentales) peuvent non seulement être étudiés, mais surtout ils ont le même statut que les comportements objectifs. Ainsi, l'activité de "penser" est aussi un comportement. Il peut donc être expliqué à partir des mêmes principes d'apprentissage qui permettent d'expliquer une activité physique observable. Cette vision est qualifiée de comportementalisme radical. Nous verrons plus loin que cette vision est importante pour comprendre le travail des psychologues comportementalistes de la 3ème génération.
L'analyse expérimentale a permis de découvrir certains principes fondamentaux, comme le renforcement, la punition, ou encore le contrôle du stimulus. Ces principes constituent en quelque sorte des lois de l'apprentissage qui nous permettent de comprendre comment nos comportements apparaissent, se maintiennent ou diminuent. C'est à partir de ces lois que l'ABA a développé de nombreuses procédures de modification comportementale, comme le façonnement, le chaînage, l'extinction, le renforcement différentiel ou les interventions sur les antécédents. La façon de mettre en œuvre ces procédures peut varier considérablement, notamment en fonction des formats d'enseignement.18
B. LE DEVELOPPEMENT DES THERAPIES COGNITIVES ET COMPORTEMENTALES (TCC)
La découverte des apprentissages répondants et opérants a permis le développement des thérapies comportementales à la fin des années 1950. Mais à cette époque, il manquait à ces thérapies une analyse efficace des évènements privés. Ce que les gens pensent et ce qu'ils ressentent n'est en effet guère entré dans les premières recherches qui portaient presque toutes sur des comportements directement observables. Or il est indéniable que ce que les gens pensent et ce qu'ils ressentent ont une influence sur ce qu'ils font ! C'est dans ce contexte qu'est apparue la psychologie cognitive, qui fait l'hypothèse que les comportements de l'homme sont aussi causés par leur monde interne. Les thérapies cognitives se sont alors données pour objectif de modifier les évènements privés pour changer les comportements. Elles sont venues compléter les thérapies comportementales initiales pour constituer les fameuses thérapies comportementales et cognitives (TCC), dont on situe l'essor dans les années 1970. Les TCC sont donc un prolongement des thérapies comportementales. Ce sont des interventions répandues auprès des enfants autistes sans déficience intellectuelle et ayant de "bonnes" compétences langagières.19
C. L'ABA "MODERNE" : LA THERAPIE D'ACCEPTATION ET D'ENGAGEMENT (ACT)
Depuis quelques années, la théorie cognitive est remise en question. Des travaux ont en effet cherché à déterminer quelle composante des TCC avait le plus d'effet : la composante cognitive ou la composante comportementale ? Même s'il est encore délicat de trancher, il semblerait que les seules techniques issues de la psychologie comportementale donnent des résultats thérapeutiques semblables à ceux obtenus lorsqu'est employé l'ensemble du "package" TCC.20 En d'autres termes, il ne serait pas utile d'essayer de modifier les évènements privés des gens pour modifier leurs comportements. L'histoire semble donc donner raison au comportementalisme radical de Skinner : les évènements privés ne seraient pas les véritables causes de nos comportements, ils ne seraient qu'une partie des comportements qui répondent aux mêmes lois que n'importe quelle autre conduite "visible" de l'être humain. Pour comprendre cette position, prenons en exemple la dépression : pour beaucoup de psychologues, ce sont les pensées dépressives qui sont à l'origine de la dépression. La thérapie consiste alors à aider le patient en corrigeant ses pensées dysfonctionnelles. Mais dans l'approche comportementale radicale, les pensées dépressives ne sont qu'un des comportements symptomatiques de la dépression, tout comme les autres manifestations de ce trouble (la tristesse, le manque d'intérêt pour les activités, etc.). La dépression est en fait vue comme un "tout", composé à la fois d'éléments visibles par un observateur extérieur et des sensations internes décrites par le patient lui-même. Quel que soit son niveau d'expression (interne ou externe), la cause de la dépression doit être recherchée dans son contexte environnemental et peut donc être influencée de "l'extérieur".
Skinner n'avait pas pu démontrer scientifiquement cette position à propos des évènements privés. Il avait simplement fait une proposition théorique sur le langage dans son ouvrage Verbal Behavior ("comportement verbal" en français). Il faudra attendre les années 1980 pour que des chercheurs en analyse du comportement viennent étayer son intuition. Ces analystes "post-Skinneriens" constituent la 3ème génération des psychologues comportementalistes. Leurs travaux ont permis de formuler une théorie (la théorie des cadres relationnels)21 à la base d'un nouveau type d'apprentissage, l'apprentissage relationnel, et d'une philosophie qu'ils nomment "contextualisme fonctionnel".22 Cette analyse moderne du comportement a permis non seulement de comprendre pourquoi les procédures en ABA classique pouvaient être inefficaces, voire contre-productives.23,24,25,26 Mais surtout, elle a donné naissance à différentes thérapies, dont la plus connue est certainement la thérapie d'acceptation et d'engagement (ou ACT).27 L'utilisation de l'ACT auprès des personnes autistes25 et de leurs parents28 donne des résultats intéressants, notamment en ce qui concerne la gestion leur monde interne (leurs pensées, émotions ou sensations).
D. EN RESUME
L'analyse expérimentale du comportement a donné naissance à une importante théorie de l'apprentissage : nos comportements sont sélectionnés et contrôlés par leurs conséquences. Il s'agit en quelque sorte d'une science des conséquences29 qui nous aide à saisir pourquoi nous agissons tel que nous le faisons. Cette science est à l'origine de trois formes d'applications cliniques : l'ABA, les TCC et l'ACT. Ces applications utilisent un large éventail de techniques utilisées pour aider les individus présentant une variété de comportements et de diagnostics, dont l'autisme. Les TCC incluent les théories cognitives de l'apprentissage et excluent la doctrine du comportementalisme radical. Puis avec l'ACT, je pense que nous sommes revenus aux fondamentaux philosophiques de l'ABA, puisque l'on a pu montrer que la cognition et les événements privés avaient bel et bien un statut identique aux autres comportements : ils sont également affectés par leurs conséquences (mais il ne s'agit ici que de mon point de vue personnel !).
AUTISME ET ANALYSE DU COMPORTEMENT : QUELLES PREUVES ?
La majorité des études d'intervention issues de la psychologie comportementale dans le champ de l'autisme concernent l'ABA. Il y a eu beaucoup moins de recherches sur les TCC et sur l'ACT. Dans cette partie, nous ferons le point sur les preuves d'efficacité de ces trois interventions.
A. LES PREUVES DE L'ABA
Les interventions en ABA devraient-elles ou ne devraient-elles pas être recommandées auprès des personnes autistes ? Pour répondre à cette question, les autorités de santé des différents pays épluchent la littérature scientifique afin de trouver des preuves d'effets de ces interventions. Or on constate qu'il n'y a pas de véritable consensus parmi les différents organismes gouvernementaux.3,30 Autisme et ABA est donc sujet à discussion au sein de la communauté scientifique. Voici à la fois les raisons de ces divergences et les preuves que nous pouvons en dégager :
1. Des données à analyser nombreuses et variées
Les études d'intervention en ABA abondent. L'ABA est d'ailleurs l'une des composantes d'intervention les plus étudiées par les chercheurs dans le domaine de l'autisme.31 On attribue la première étude d'intervention en ABA auprès de personnes autistes à Ferster et DeMyer, en 1961.32 Près de 50 ans plus tard, en 2008, on recensait pas moins de 1000 articles de journaux scientifiques à comité de lecture documentant les effets de l'ABA auprès des personnes autistes, ce chiffre ayant depuis continué à augmenter de façon exponentielle.24 De plus, les façons d'utiliser l'ABA dans les interventions peuvent être très différentes d'une étude à l'autre, à tel point que certaines organisations ont renoncé à en faire une synthèse (voir par ex. The National Autistic Society).
2. Le problème des biais de publication
Lorsque les groupes d'experts examinent la littérature scientifique à la recherche de preuves, ils ne peuvent se référer qu'à des études publiées. Or, il existe probablement des études d'intervention en ABA qui n'ont pas montré d'effets significatifs et qui ont peu de chance d'être acceptées par les journaux scientifiques. Par conséquent, les effets d'une intervention peuvent être exagérés. On appelle cela un biais de publication.33
3. Le manque d'éthique et de souplesse des interventions en ABA
Il a été reproché aux interventions en ABA, surtout à leurs débuts, d'utiliser des procédures dites aversives.34 Mais ces procédures ont été rapidement abandonnées35 au profit de stratégies de renforcement positif ou de modification des antécédents.3,16 Une autre critique moins classique et plus récente concerne les difficultés qu'ont certains praticiens en ABA à proposer des protocoles adaptés à la réalité des familles. Ceux-là s'accrochent en effet à une rigueur technique (sur-abondance de la récolte de données par ex.), au détriment de la relation thérapeutique et des besoins concrets des personnes.24 Les attentes et le stress liés à cet attachement aux protocoles peut même dans certains cas engendrer des effets comportementaux indésirables. L'efficacité d'une intervention en ABA relèverait donc autant de variables humaines et interpersonnelles que de variables techniques24. On dit d'ailleurs des études dont les techniques ne sont pas approuvées par les acteurs de la prise en charge qu'elles manquent de validité sociale.
4. Des méthodologies de recherche critiquables
Les recommandations de bonnes pratiques sont classées par grades : plus la recommandation est soutenue par des preuves fortes, plus le grade est élevé. La force des preuves dépend en grande partie de la méthodologie de recherche des études analysées.
Les plans d'études
La méthodologie scientifique qui fait référence pour évaluer une intervention est l’essai dit "randomisé avec groupe contrôle" (RCT pour randomised controlled trial). Les groupes d'experts privilégient donc les recherches qui utilisent ce type de méthodologie pour faire des synthèses de la littérature ou des recommandations de bonnes pratiques. Or la plupart des études qui évaluent les effets des interventions en ABA utilisent une méthodologie de recherche dite du "cas unique".16 Il s'agit d'études faisant appel à un petit nombre de participants avec des plans expérimentaux "intra-sujet" (ce qui veut dire que les participants de l'étude sont leur propre groupe contrôle).36 Par conséquent ces études sont peu prises en compte pour l'élaboration des recommandations.2 Reste à savoir si les résultats de recherches fondées sur des plans expérimentaux à cas unique peuvent aussi être considérés comme des données probantes. A ce sujet le débat reste ouvert.37,38,39 D'autant plus que des critiques peuvent également être émises sur la pertinence des RCT pour évaluer des interventions psychothérapeutiques.40,41
Pour la petite histoire, les plans expérimentaux à cas unique sont une tradition dans la recherche en analyse du comportement qui a contribué à leur développement.13,18 On a d'ailleurs fini par reconnaitre l'utilité de cette méthodologie pour confirmer la validité empirique des interventions.42 Par définition, l'ABA est plus une intervention ciblant la fonction que la forme des comportements. Une intervention en ABA ne peut donc s'appliquer de façon homogène à un groupe donné, mais est plutôt une réponse à des besoins particuliers selon chaque personne.43 C'est peut-être pour cela que les études de groupes lui sont mal adaptées.
Les cadres d'études
On reproche à certaines études d'intervention en ABA d'utiliser des procédures trop contrôlées44,45 : les interventions ont souvent été testées dans des lieux peu inclusifs et restreints, encadrées par de nombreux professionnels formés, ce qui correspond rarement à la réalité du terrain (on dit de ces études qu'elles manquent de validité externe). C'est le cas par exemple des interventions ciblant les difficultés liées à l'alimentation.46
Les cibles d'intervention
Les études évaluant les effets des interventions en ABA peuvent cibler des domaines, des compétences et des comportements très variés.31 Il est reproché à certaines interventions en ABA de cibler les "mauvaises" variables. C'est le cas par exemple des modèles d'intervention ayant un objectif de réhabilitation globale, ciblant tous les secteurs déficitaires du développement. En d'autres termes, si un enfant autiste ne présente pas une compétence qu'un enfant typique du même âge est sensé maitriser, alors cette compétence devra lui être enseignée.18 Cet agenda de "normalisation", voire de cure de l'autisme34 est aujourd'hui critiqué pour au moins deux raisons : d'une part, des chercheurs considèrent que certains aspects de l'autisme relèvent d'une différence non pathologique qui n'impliquerait donc pas une rééducation systématique47 (voir à ce sujet la notion de neurodiversité) ; d'autre part, il existe des arguments en faveur de l'existence d'un développement qui serait propre à l'autisme, certes atypique, mais pas nécessairement prédictif d'une mauvaise adaptation au long cours.48,49,50
Toute la question est donc de savoir qu'elles devraient être les variables d'intervention en ABA les plus pertinentes : les caractéristiques fondamentales de l'autisme ? Les troubles associés ? Les compétences d'imitation, de jeu, les pré-requis à la communication sociale ?51,52 L'inclusion et la participation sociales ? L'impact de l'autisme sur les familles ?53 Et puis, les cibles pertinentes devraient-elles être les mêmes pour les personnes autistes quelle que soit l'expression de leur autisme, leur âge, leur environnement ? Toutes ces questions sont cruciales et complexes, sans compter les difficultés liées à la mesure des toutes ces variables.54
Les interventions ont longtemps ciblé les caractéristiques fondamentales de l’autisme, mais il faut bien avouer notre relative impuissance à modifier ces signes.55,56 Actuellement, la variable d'intérêt sur laquelle la communauté scientifique met l'accent est la qualité de vie des personnes autistes, de leurs familles et des aidants.57,58,59 Reste à savoir quels sont les critères d'une bonne qualité de vie ! La recherche à ce sujet en est à ses débuts,60-68 mais l'accès aux intérêts particuliers ou la gestion de l'anxiété pourraient bien faire parti de ces critères.8,69-74
Parmi les interventions en ABA les plus étudiées, aucune n'a pu démontrer à ce jour qu'elle pouvait améliorer la qualité de vie des personnes autistes ou de leurs parents.75 Pire, nous ne connaissons pas leurs éventuels effets délétères.58,76 Néanmoins, certaines organisations en ABA (comme le UK ABA Autism Education Competence Framework) recommandent un accompagnement centré sur l'amélioration de la qualité de vie des personnes autistes (voir le Positive Behaviour Support).77 Les interventions en ABA ne sont donc pas toutes guidées par une volonté de normalisation !
L'hétérogénéité et l'âge des participants
Une autre difficulté à établir l'efficacité des interventions en ABA tient au fait que l'autisme est extrêmement hétérogène. L'étude de ces interventions devrait donc prendre en compte les différences de profils des participants pour évaluer leurs effets.36 Sans compter que les critères diagnostics de l'autisme ont évolué depuis sa première description en 1943 : parle-t-on du même autisme dans les études récentes et dans celles publiées dans les années 1980 ?78 Cette critique concerne toutes les études d'interventions psychosociales, et pas uniquement les études d'intervention en ABA. Cependant, ces dernières sont peut-être encore plus compliquées à analyser, dans la mesure où elles peuvent être mises place de mille et une façons différentes. Même s'il est difficile d'établir des sous-groupes de participants homogènes, la recherche a pu identifier quelques caractéristiques des participants qui "répondent" le mieux à certaines interventions en ABA (comme le niveau cognitif ou les compétences langagières par exemple).79
Une autre limite des interventions en ABA est qu'elles ont surtout été étudiées auprès des jeunes enfants.80, Les études d'interventions en ABA auprès des personnes autistes plus âgées se focalisent principalement sur des objectifs spécifiques à court terme, comme la diminution des conduites agressives, ou l'enseignement de compétences liées à l'autonomie quotidienne.36,55
5. L'ABA est mal définie
Enfin, l'ABA est difficile à saisir. Même les chercheurs qui publient pourtant leurs travaux dans des revues internationales ne sont pas toujours au clair avec l'objet de leur étude3. Il est par exemple fréquent que l'on confonde l'ABA et le modèle EIBI (Early Intensive Behavioral Intervention - "Intervention comportementale intensive précoce").75 Avant tout, nous devons donc préciser ce que l'on entend par "intervention en ABA". Dans les études scientifiques on distingue deux niveaux d'intervention45,81 :
- Les modèles "complets" d'intervention. Ceux-ci proposent une prise en charge globale en suivant un programme (ou curriculum) plus ou moins développemental. Le but de ces modèles est d'enseigner toutes les aptitudes attendues d'un enfant typique. Le modèle complet qui a été le plus étudié est l'EIBI, développée par Lovaas et ses collègues. C'est également l'une des interventions les plus couramment utilisées en autisme.75 Mais, il existe d'autres modèles complets (par ex. ESDM, LEAP, PRT ou JASPER, voir plus bas).
- Les pratiques d'intervention ciblées. Il s'agit de pratiques spécifiques mises en place pour cibler des objectifs précis en tenant compte des caractéristiques de la personne et de son environnement. Leur mise en place nécessite le respect d'une méthodologie scientifique bien précise3. En ABA, il existe de nombreuses pratiques d'intervention ciblées, comme le renforcement différentiel ou l'évaluation fonctionnelle par exemple.
6. Les preuves d'efficacité des modèles complets d'intervention
Si l'on examine le modèle complet le plus étudié (l'EIBI), on trouve des études montrant des effets de ce modèle (de l'augmentation du QI à une "sortie" des signes de l'autisme).44 Mais ces résultats doivent être relativisés pour des raisons d'ordre méthodologique, notamment le manque de fidélité de l'implantation du modèle justement "trop" complet pour pouvoir être standardisé et répliqué.17,45
Une récente revue de littérature75 a tenté d'établir les preuves de l'efficacité de l'EIBI chez les enfants autistes âgés de moins de 6 ans. Les auteurs ont montré que l'EIBI permettait d'améliorer les comportements adaptatifs, le QI et certaines compétences de langage expressif et réceptif. Mais les niveaux de preuve restent faibles, notamment à long terme. De plus, même si l'EIBI semble efficace au niveau du groupe, les gains restent très variables au niveau individuel.82 Enfin, il est aujourd'hui difficile de connaître précisément les ingrédients actifs de l'EIBI.
Les modèles complets d'intervention ont évolué depuis le modèle princeps de Lovaas. Ainsi, nous sommes passés de modèles au format d'enseignement très structuré, dit "par essais distincts" ("DTT" pour Discrete Trial Training) à des modèles incluant des formules d'apprentissage plus adaptées à l'environnement naturel ("NET" pour Natural Environment Training).18 Le DTT est une des procédures mises en oeuvre auprès des personnes autistes les plus courantes.17 Cependant, ce format d'enseignement présente des inconvénients : il ne favorise pas la généralisation des compétences à des environnements moins structurés, et il engendre des réactions d'opposition18 du fait de son inadaptation au profil cognitif et au style d'apprentissage des personnes autistes.48 Le NET a quant à lui donné naissance à des modèles incluant par exemple "l'enseignement des réponses pivots" ("PRT" pour Pivotal Response Training), ou d'autres modèles comme l'ESDM (Early Start Denver Model), le JASPER (Joint Attention, Symbolic Play, Engagement & Regulation) ou le LEAP (Learning Experiences - An Alternative Program for Preschoolers and Parents). Le PRT et l'ESDM sont les modèles "naturalistes" qui ont pour l'instant été les plus étudiés.36 D'autres interventions combinent DTT et NET, comme par exemple le système PECS (Picture Exchange Communication System - "Système de communication par échange d'images") ou l'approche Verbal Behavior ("comportement verbal") qui se focalisent sur l'enseignement de la communication. L'approche Verbal Behavior se base sur l'enseignement de la communication telle que Skinner l'envisageait : le comportement de communication peut être décortiqué en différents "opérants verbaux" appris par leurs conséquences sur l'environnement social. Pour plus de détails concernant les preuves d'efficacité de ces modèles post-EIBI, voir Roane et al (2016).36
Enfin, soulignons la création récente d'un programme basé sur les théories post-Skinneriennes : le PEAK (Promoting the Emergence of Advanced Knowledge). Il s'agit en quelque sorte d'une approche Verbal Behavior améliorée dont l'objectif est d'évaluer et de développer les compétences langagières et cognitives des personnes autistes.83 Par rapport au Verbal Behavior, il inclue de nouveaux éléments d'apprentissage intéressants, comme l'enseignement de la prise de perspective.84,85 Néanmoins, il s'agit une nouvelle fois de se caler sur le développement typique de la communication sans forcément tenir compte des particularités cognitives des personnes autistes. De plus, le programme démarre par du DTT dont on connaît les limites. Enfin, les premières études d'effet de ce programme datent de 2014, il est donc difficile d'en tirer des recommandations.
7. Les preuves d'efficacité des pratiques d'intervention ciblées
Les preuves d'efficacité des pratiques ciblées viennent principalement des études à cas unique dont nous avons parlées plus haut.36 Du fait des preuves empiriques de leur efficacité, la plupart de ces pratiques sont considérées comme "evidence-based" (pratiques fondées sur les preuves).45 L'une des mieux documentées est l'évaluation fonctionnelle.17,36 Cette pratique est surtout utilisée pour la gestion des comportements "défis" comme les auto-mutilations, les agressions, les troubles de l'opposition, les troubles du sommeil, etc.36 L'évaluation fonctionnelle consiste à analyser pourquoi ces comportements se maintiennent, en identifiant leurs sources de renforcement, c'est-à-dire leurs fonctions.18 Il s'agit d'une des pratiques d'intervention ciblée les plus recommandées et sur laquelle nous retrouvons le plus de consensus (voir par ex. cette synthèse de 5 recommandations de bonnes pratiques internationales, ou encore ces recommandations de la Haute Autorité de Santé concernant la prévention et la gestion des "comportements-problèmes" chez l'adulte).
B. LES PREUVES DES TCC19,86,87
Tout comme pour les interventions en ABA dans le champ de l'autisme, les effets des TCC ont surtout été étudiés auprès des enfants. L'une des plus importantes limites de ces études est qu'elles se focalisent principalement sur les jeunes autistes sans déficience intellectuelle et ayant de "bonnes" compétences langagières. Pour ces profils, les meilleures preuves d'efficacité concernent les difficultés associées à l'autisme, notamment les troubles anxieux. L'anxiété est en effet une variable d'étude pertinente étant donné sa prévalence chez les personnes autistes.88,89 La plupart des recommandations de bonnes pratiques circonscrivent donc l'utilisation des TCC pour la gestion de ces troubles associés, auprès de ce sous-groupe d'enfants et d'adolescents autistes.
C. LES PREUVES DE L'ACT
1. Les objectifs de l'ACT27
L'être humain a tendance à fuir tout stimulus qu'il juge désagréable. Cette réaction vaut aussi pour les évènements internes. Ainsi, nos pensées, souvenirs, sensations ou émotions déplaisantes peuvent évoquer des comportements d'évitement. Or l'ACT part du postulat que nous ne pouvons pas échapper à nos stimuli internes. Par conséquent, l'évitement d'évènements internes n'est pas efficace sur la durée (échapper à des stimuli anxiogènes nous soulage uniquement à court terme). L'évitement peut même amplifier les évènements internes contre lesquels nous luttons : lorsque nous échappons provisoirement à un stimulus anxiogène, nous renforçons la lutte et devenons alors plus "compétent" pour anticiper le moindre élément déclencheur de l'anxiété. En d'autres termes, plus nous cherchons à échapper à ces stimuli, plus ces derniers prennent de l'ampleur (techniquement, c'est un effet du renforcement négatif). On peut ainsi tomber dans un cercle vicieux où l'évitement va constituer une part importante de notre répertoire comportemental. Les comportements d'évitement ont également pour inconvénients d'être parfois nuisibles pour la personne (les automutilations sévères par exemple), et ils sont autant d'opportunités perdues pour s'engager dans des expériences plus positives (ce que l'ACT appelle les valeurs). Pour l'ACT, le véritable problème n'est donc pas l'évènement interne en lui-même, mais les comportements que nous mettons en place pour les éviter. L'ACT propose alors une intervention en deux temps :
- Accepter les évènements internes. L'acceptation consiste à s'exposer aux stimuli internes (les regarder "en face" en quelque sorte), et s'entrainer à y réagir autrement que par de l'évitement (techniquement, il s'agit de mettre les comportements d'échappement des évènements privés sous extinction). L'effet recherché sera la diminution de l'influence des évènements privés sur les comportements (techniquement, on cible la diminution du pouvoir de contrôle du stimulus).
- Les évènements internes perdant leur pouvoir d'influence, il devient plus facile de s'engager dans des comportements qui font sens pour la personne et qui ont donc toutes les chances d'améliorer sa qualité de vie (techniquement, il s'agit de renforcement différentiel).90
Prenons pour illustration le cas d'une personne autiste Asperger pour qui les interactions sociales en groupe peuvent être épuisantes : l'exposition ne consisterait pas à "se forcer" à interagir, mais plutôt à accepter les pensées à propos du jugement des autres quant à ses particularités sociales, ces pensées pouvant l'amener à s'engager dans des comportements d'évitement délétères consistant justement à "forcer" les interactions. Une autre façon d'aider cette personne serait bien-sûr de rendre nos sociétés plus inclusives et tolérantes, mais nous sommes encore loin de cet idéal.91
L'ACT utilise plusieurs processus pour aider les personnes à gérer leurs évènements privés, comme la défusion, ou la pleine conscience*. Mais cette thérapie nécessite une reconnaissance par le patient de l'existence de ses évènements internes, ce qui est un challenge pour les personnes autistes. Une manière d'y parvenir pourrait être d'utiliser des techniques d'interoception. Un autre challenge pour les personnes autistes présentant des conditions associées et des difficultés langagières est qu'ils ne peuvent que difficilement consentir à essayer de s'exposer à leurs émotions. Ces problématiques restent pour l'instant non résolues.
* Même si la pleine conscience n'est pas un outil créé par les analystes du comportement, ses effets peuvent être expliqués d'un point de vue comportemental.26
2. Les preuves de l'ACT auprès des personnes autistes
Plusieurs travaux ont montré que l'ACT ou certains de ses processus pouvaient avoir un impact positif sur les comportements d'agressivité,26 les ruminations,92 le stress perçu et les comportements prosociaux,93 les troubles anxio-dépressifs sévères,94,95 le fonctionnement émotionnel,96 l'anxiété générée par les situations d'entretiens professionnels,97 ou la qualité de vie des personnes autistes.98 Comparativement aux stratégies ABA classiques basées sur l'aménagement de l'environnement par un tiers, ces interventions présentent l'avantage de favoriser l'auto-détermination des personnes autistes,26 un facteur déterminant de qualité de vie.99 Néanmoins, tous ces travaux sont récents, et il encore difficile d'en tirer des recommandations.100-103 De plus, ces études ne concernent pour l'instant que des personnes autistes sans déficience intellectuelle. Néanmoins, des recherches commencent à s'intéresser aux effets d'interventions basées sur la pleine conscience auprès de personnes autistes quel que soit leur niveau de sévérité (voir par exemple l'intervention MindfulTEA, présentée par une équipe espagnole lors du dernier congrès Autisme Europe).
3. Les preuves de l'ACT auprès des parents d'enfants autistes
Les stratégies d'ajustement parental
Les parents d’enfants autistes ont un risque élevé de présenter des niveaux de stress supérieurs à ceux des parents d’enfants au développement typique.104 Pour les parents, l'élément le plus stressant ne serait pas tant les caractéristiques fondamentales de l'autisme que les comportements "défis" de leur enfant.105 Face au stress, les parents peuvent mettre en place différents type de stratégies, comme par exemple les stratégies centrées sur le problème (agir sur la source du stress) et celles centrées sur l’émotion (détourner son attention de la source du stress).106 Il a été montré que ces dernières étaient les plus délétères pour les parents.107,108 Bien que contre-intuitive, l'acceptation des émotions pourrait être une stratégie alternative.109-112
L'intérêt des programmes de formation pour les parents
Les programmes d’intervention impliquant les parents sont actuellement les plus recommandés*. Parmi ces programmes, ceux qui semblent les plus efficaces pour améliorer le bien-être parental comportent des stratégies de gestion émotionnelle inspirées des processus de l'ACT.113 De nombreux travaux soutiennent en effet le recours aux processus de l'ACT pour aider les parents à mieux s’adapter aux difficultés liées à l’éducation de leur enfant.114-118 Les processus de l'ACT entrainés chez les parents pourraient même avoir des effets positifs sur l'enfant lui-même.119-120 Des chercheurs ont montré par exemple que des parents à qui l'on enseignait la pleine conscience rapportaient une diminution des comportements d'agression de leur enfant, ainsi qu'une amélioration de leur coopération.121
* A ce jour, il existe 4 programmes bénéficiant d'une évaluation scientifique française,122-125 dont un basé sur l'ABA.124
4. Les preuves de l'ACT auprès des professionnels
Les professionnels travaillant auprès des personnes autistes sont également susceptibles de présenter des niveaux de stress relativement importants.126,127 A ce jour, aucune intervention inspirée des processus de l'ACT n'a fait l'objet d'une évaluation scientifique auprès des professionnels pour les aider à mieux gérer les émotions liées à l'exercice de leur métier. L'intervention MindfulTEA citée plus haut tente de répondre à ces besoins.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Les interventions issues de la psychologie comportementale mises en place auprès des personnes autistes sont variées et en constante évolution. Même si les critiques adressées à l'ABA dans l'accompagnement des personnes autistes sont parfois pertinentes, ces critiques ne devraient néanmoins pas viser la théorie en elle-même (car les comportements de tous les êtres humains sont sensibles à leurs conséquences), mais plutôt la façon dont les chercheurs et les professionnels peuvent l'utiliser auprès des personnes autistes (avec plus ou moins de respect de leurs particularités). Voici donc quelques recommandations :
Recommandations de recherche :
- S'assurer de la "bonne" validité des études (validité sociale et externe, notamment lorsque les interventions se déroulent dans un cadre institutionnel).
- Encourager les études impliquant à la fois des analystes du comportement et des chercheurs ayant une connaissance actualisée de l'autisme,36 voire aussi des chercheurs autistes.128
- Mieux identifier les facteurs individuels, familiaux et environnementaux pouvant impacter l'efficacité des interventions (nécessité de créer des sous-groupes mieux définis).
- Interroger l'efficacité des interventions en ABA comparativement aux interventions faisant appel à d'autres disciplines.2,129,130 L'idée étant de développer des interventions ayant les meilleurs rapports coûts-bénéfices.55,131
- Entretenir l'esprit critique de la recherche appliquée83 et fondamentale22 en analyse du comportement.
Recommandations cliniques :
- Préférer les pratiques d'interventions ciblées aux modèles complets d'intervention. Les premières permettre de répondre de façon plus individualisée aux besoins des personnes.
- Cibler en priorité les conditions associées à l'autisme et les variables liées à l'augmentation de la qualité de vie*.
- Cibler l'augmentation de comportements qui aident la personne selon le contexte et ses caractéristiques, et non pas chercher à réduire en première intention les comportements qui n'aident pas.
- Privilégier les interventions impliquant les parents.
- Privilégier le renforcement intrinsèque, en développant par exemple les apprentissages autour des intérêts particuliers (l'utilisation des renforçateurs extrinsèques comporte en effet des limites).23,132,133
- Tenir compte des particularités de fonctionnement des personnes autistes, notamment leurs profils cognitifs et sensoriels.
* Ne pas perdre de vue certains fondamentaux de l'ABA : les interventions ne devraient cibler que des compétences qui ont un sens et qui fonctionnent pour la personne, et faire en sorte que ces compétences puissent être généralisées à l'environnement naturel et durer dans le temps.134
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