Derrière ce titre bon marché se cache une question complexe pour laquelle je vais tenter de vous donner quelques éléments de réponse…
Que les choses soient claires dès le début : on ne guérit pas de l’autisme. C’est d’autant plus vrai si l’on considère le récent point de vue d’une certaine partie de la communauté scientifique qui envisage l’autisme non plus comme un trouble, mais comme une condition caractérisée par « une autre façon de penser » (voir plus bas « Zoom sur les terminologies »).
Les interventions visent donc seulement à améliorer certains signes relevant des caractéristiques fondamentales de l’autisme, améliorer les caractéristiques associées à l’autisme et développer les compétences des personnes. Nous verrons d’ailleurs que certaines de ces cibles visées par les interventions sont sujettes à critiques et que d’autres variables (comme par exemple la qualité de vie) sont revendiquées par les familles et les personnes autistes elles-mêmes (voir « Zoom sur les bonnes cibles »).
Introduction : l’autisme c’est quoi ?
Dans l’état actuel des connaissances, voilà ce que l’on peut écrire pour résumer ce qu’est l’autisme :
Le spectre de l’autisme est une condition complexe et mal comprise actuellement considérée comme un trouble précoce du neurodéveloppement (TSA pour Trouble du Spectre de l’Autisme). Le TSA dure habituellement toute la vie. Il se manifeste premièrement par des particularités de la communication et des interactions sociales, et deuxièmement par des intérêts, comportements ou activités dits restreints et répétitifs incluant également des particularités sensorielles : il s’agit là des caractéristiques dites fondamentales de l’autisme. Certains aspects de ces caractéristiques de base ont une nature développementale (c’est à dire qu’ils sont caractérisés par un retard dans leur acquisition par rapport aux enfants « typiques »), d’autres sont beaucoup plus atypiques par nature ou intensité (par exemple une compréhension littérale du langage ou des préoccupations ou intérêt inhabituels).
Le TSA est souvent accompagné d’autres conditions neurodéveloppementales, médicales, génétiques ou psychiatriques qui ne font pas partie des critères de diagnostic, mais qui ont un impact sur le bien-être de la personne et de sa famille (exemple : trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, troubles anxieux et troubles de l’humeur pour les plus fréquents ; déficit intellectuel, épilepsie, troubles de la conduite, troubles métaboliques, problèmes gastro-intestinaux, respiratoires, dermatologiques, allergies alimentaires…). Certaines activités de la vie quotidienne des personnes autistes peuvent également être altérées, comme celles liées à l’alimentation, le sommeil, la participation sociale, la réussite scolaire et / ou professionnelle, l’autonomie, les relations amicales et sentimentales : il s’agit là des caractéristiques, comportements et conditions associés à l’autisme.
L’hétérogénéité de l’autisme, tant au niveau étiologique, clinique que de son évolution est aujourd’hui bien établie. Tous les enfants autistes ne présentent pas des difficultés dans la totalité de cette description, les manifestions et l’intensité des signes varient selon les situations et l’âge. Mais pour presque tous les individus, ces particularités de fonctionnement ont un impact important sur la vie des personnes et de leurs familles. Les causes de l’autisme sont encore mal connues, mais la recherche actuelle suggère l’implication d’interactions complexes entre des facteurs génétiques et environnementaux (il n’existe pas un gène unique de l’autisme mais très probablement plusieurs gènes qui en augmentent la susceptibilité de survenue). Le TSA est presque cinq fois plus fréquent chez les garçons que chez les filles, probablement en raison des différences génétiques liées au genre, ou parce que les critères utilisés pour diagnostiquer l'autisme sont fondés sur des caractéristiques comportementales masculines (la recherche concernant les symptômes spécifiques au genre en est à ses balbutiements).
La prévalence des TSA dans le monde est en constante augmentation depuis les années 1970 (plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer cette augmentation, notamment un meilleur dépistage). Elle est estimée actuellement à environ 1% et leur prise en charge est un enjeu majeur de santé publique.
Zoom sur les terminologies
Les termes utilisés pour parler de l’autisme varient en fonction des versions des classifications internationales : les anciennes classifications d’avant 2013 utilisaient le terme de TED pour « troubles envahissants du développement » qui incluaient notamment le trouble autistique, le trouble désintégratif de l’enfance ou encore le syndrome d’Asperger. Aujourd’hui, on emploie surtout le terme de TSA. Pour parler des personnes ayant reçu un diagnostic de TSA, on peut retrouver ces différentes terminologies : personnes autistes, personnes avec autisme, personnes avec TSA, personnes ayant un TSA, personnes atteintes d'autisme ou de TSA, aspies (pour Asperger, même si ce diagnostic est sorti des classifications). Tout le monde n’est pas d’accord sur la terminologie la plus appropriée, même parmi les personnes autistes. Néanmoins, la plupart préfèrent reconnaître l’autisme comme faisant partie intégrante de leur personnalité plutôt que de se considérer comme une personne avec autisme. Le trouble du spectre de l’autisme est également parfois détourné en différence du spectre de l’autisme (« autism spectrum difference »). Enfin, les recherches les plus récentes commencent à employer le terme de « condition » à la place de « trouble » (ASC pour « Autism Spectrum Condition »). Au Royaume-Uni, il serait même question que le terme d’ASC remplace officiellement celui de TSA dans les publications scientifiques.
I. Les recommandations de bonnes pratiques
Pour guider les professionnels et les familles vers les meilleures conduites à tenir concernant la prise en charge de l’autisme, les différentes instances sanitaires de certains pays proposent des recommandations de bonnes pratiques (RBP). Ce post s’appuie sur ces quelques RBP nationales plus ou moins récentes et tente d’en faire une synthèse :
- La Haute Autorité de Santé (HAS, France, 2012)
- Le National Institute for Health and Care Excellence (NICE, Royaume-Uni, 2013)
- Le Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE, Belgique, 2014)
- Healthcare Improvement Scotland (SIGN, Ecosse, 2016)
- New Zealand Autism Spectrum Disorder Guideline (Nouvelle-Zélande, 2016)
Ces RBP sont destinées principalement aux professionnels, mais elles s’adressent également aux parents, personnes autistes et à toute personne de l’entourage. Les recommandations peuvent concerner trois grands types de pratiques :
- dépistage, diagnostic et évaluation,
- interventions non pharmacologiques,
- interventions pharmacologiques et biomédicales.
Certaines recommandations regroupent enfants, adolescents et adultes au sein du même rapport (comme les RBP d’Ecosse et de Nouvelle-Zélande), d’autres distinguent un rapport pour enfants/adolescents et un rapport pour adultes (France, Belgique, Royaume-Uni). Une telle distinction s’explique en partie par le fait que les données concernant la population adulte sont encore moins étendues que celles concernant les jeunes, à tel point que les RBP françaises (HAS) ne donnent pas de recommandations concernant les interventions auprès des adultes, mais seulement des recommandations concernant le diagnostic et l’évaluation (2011).
Ce post ne concerne que l’enfant et l’adolescent et les interventions non pharmacologiques pour cette population (il ne sera donc pas abordé les recommandations concernant la personne adulte autiste, ni les recommandations concernant le dépistage, diagnostic, évaluation et interventions pharmacologiques et biomédicales concernant l’enfant et l’adolescent).
De la difficulté d’établir des recommandations...
Les RBP se basent sur des études scientifiques qui « testent » les effets à plus ou moins long terme d’une intervention sur certaines variables (par exemple, l’effet du modèle de Denver sur l’augmentation des comportements adaptatifs, ou l’effet du PECS sur l’augmentation du langage oral). Plus précisément, les recommandations sont proposées en fonction du niveau de preuve des effets d’une intervention montrés dans les études et de ses éventuels effets secondaires (Evidence-Based practices : les recommandations reposent sur un compromis « coûts / bénéfices »). A titre d’exemple, un médicament n’obtient pas d’autorisation de mise sur le marché sans que son efficacité à moindre risque n’ait été rigoureusement prouvée. Et c’est principalement la méthodologie de l’étude qui va déterminer la « force » de la preuve. Pour faire simple, la méthodologie qui fait référence en matière d’études scientifiques pour évaluer un traitement est l’essai dit randomisé avec groupe contrôle (RCT pour randomised controlled trial) : on identifie tout d’abord une population homogène de personnes autistes présentant des caractéristiques similaires (âge, sévérité, données démographiques, etc.) ; on réparti ensuite un échantillon de façon aléatoire en 2 groupes (un groupe d’intervention et un groupe témoin ou contrôle) ; puis on évalue les variables ciblées par l’intervention avant la mise en œuvre de celle-ci ; on applique ensuite l’intervention au groupe expérimental et un autre traitement au groupe témoin pendant une durée définie, et enfin on réévalue la variable d’intérêt. Bien que cette méthode de l’essai randomisé constitue la norme pour l’évaluation de l’efficacité d’une intervention, très peu d’études réunissent toutes ces caractéristiques.
Et c’est là la première difficulté à laquelle se confrontent les groupes d’experts qui rédigent ces recommandations (GDG pour « Guideline Development Group ») : aujourd’hui, aucun modèle d’intervention existant n’a atteint un niveau de preuve suffisant pour être reconnue comme une intervention recommandée à l’ensemble d’une population d’un pays (à titre d’exemple, il a fallu attendre 2016 et l’étude en RCT de Pickles et ses collègues qui a montré pour la première fois un effet à long terme d’un programme d’intervention précoce à médiation parentale sur certains signes de l’autisme). Pour cette raison, certains GDG proposent des recommandations classées en grades : plus le grade est « haut », plus la recommandation est soutenue par des preuves fortes (le grade le plus « bas » correspondant à une recommandation uniquement soutenue par un accord entre experts du GDG). Les recommandations françaises (HAS) et Néo-zélandaises proposent ce système de grade (respectivement 4 et 3 niveaux), alors que les recommandations belges, écossaises (SIGN) et anglaises (NICE) préfèrent employer le conditionnel pour évoquer les pratiques pouvant être envisagées. Par exemple, le NICE distingue les recommandations auxquelles vous « devez absolument » (ou « ne devez absolument pas ») avoir recours, de celles auxquelles on « devrait » (ou « ne devrait pas ») avoir recours.
La deuxième difficulté pour les GDG est de composer avec des données de recherche très hétérogènes : les variables évaluées sont nombreuses, tout comme les outils de mesure utilisés pour recueillir des preuves concernant les progrès des personnes (par exemple, l’ADOS est un des outils pouvant être utilisé pour mesurer l’évolution d’un enfant dans ses interactions sociales). Sans compter que les qualités psychométriques de ces outils sont limitées (par exemple, est-ce que l’outil utilisé pour mesurer la sévérité de l’autisme mesure bien cette variable ? Peut-on se fier aux outils de diagnostic standards de la dépression lorsqu’ils sont utilisés auprès d’une population de personnes autistes ?). De plus, les variables choisies par les études pour évaluer les effets d’une intervention ne sont pas toujours pertinentes : qu’est-ce qui devrait être mesuré lorsque l’on suit les progrès des jeunes enfants ? (voir plus bas « Zoom sur les bonnes cibles »). Certaines études vont également montrer des effets significatifs d’une intervention sur une variable, mais pas sur une autre. Et puis il existe différents cadres conceptuels concernant ce qui constitue l’altération dans l’autisme et donc ce qui devrait être « traité » en priorité (les chercheurs débattent sur la nature même des déficits sous-jacents dans les TSA). Enfin, l’expression clinique de l’autisme est très variée et il n’est pas facile de différencier les signes qui relèvent des caractéristiques fondamentales de l’autisme, de ceux attribuables aux comportements « perturbateurs » ou aux conditions ou troubles associés.
La troisième difficulté pour le GDG est de devoir définir et classer les différentes interventions disponibles. Les cibles sur lesquelles ces interventions sont sensées agir ne sont en effet pas toujours claires. Prenons l’exemple des interventions ciblant la communication : ce domaine peut recouvrir à la fois des compétences de demandes ou de commentaires, des compétences de compréhension, d’oralisation ou de prononciation, etc. Pour complexifier encore plus les choses, les interventions ciblant la communication peuvent relever à la fois d’une approche comportementale, développementale ou appartenir aux interventions médiatisées par les parents. Voilà pourquoi chaque recommandation nationale propose son propre classement arbitraire. Par exemple, le NICE et les RBP belges évoquent les « interventions psychosociales » (c’est-à-dire non pharmacologiques et non biomédicales). Celles-ci peuvent cibler les caractéristiques fondamentales de l’autisme ou les comportements « perturbateurs », ou les caractéristiques et conditions associées ou enfin l’impact de l’autisme sur la famille. La HAS a choisi quant à elle d’évoquer les programmes globaux d’interventions (interventions globales comportementales et développementales) et les interventions spécifiques plus ciblées (communication, interactions sociales, troubles du comportement alimentaire, etc.), avec un chapitre intéressant sur les facteurs prédictifs de l’efficacité des interventions. Les RBP de Nouvelle-Zélande ne classent pas les interventions, mais plutôt les domaines d’apprentissage, et intègrent une partie réservée aux troubles associés et à la gestion des difficultés émotionnelles et comportementales. Quant aux recommandations écossaises, parmi les interventions non pharmacologiques sont évoquées les interventions médiatisées par les parents, les interventions ciblant la communication, les interventions psychologiques / comportementales, les interventions en lien avec la nutrition, et les « autres » interventions. On constate également que les variables ciblées par les interventions sont plus ou moins spécifiques : soit les interventions se focalisent sur des compétences précises (comme par exemple les problèmes de sommeil), soit elles ont une visée plus générale. Enfin, l’évaluation est influencée par des considérations développementales : le profil de compétences et les difficultés de l’enfant peuvent être très différents au cours du temps.
Zoom sur les bonnes cibles
Actuellement, les variables dites pertinentes incluent l’amélioration des signes correspondants aux caractéristiques fondamentales de l’autisme (communication, ouverture sociale, particularités sensorielles et répétitivité), les compétences liées au fonctionnement social et au jeu, les variables liées à la participation telles que l’inclusion sociale, et l’impact sur les parents et la famille.
Un important travail de recherche publié récemment a analysé l’ensemble des instruments existants servant à évaluer ces variables chez les enfants autistes jusqu’à 6 ans. Plus précisément, l’objectif de cette étude a été triple : premièrement, identifier les outils utilisés par les chercheurs pour évaluer les effets des interventions précoces en autisme ; deuxièmement, examiner la validité de ces outils (ces outils mesurent-ils bien ce qu’ils sont sensés mesurés ?) ; troisièmement, identifier les domaines à évaluer considérés comme importants par les personnes autistes elle-mêmes et leurs familles. La conclusion de cette recherche est assez déroutante : sur les 132 outils identifiés dans des études publiées de 1992 à 2013, seuls 12 outils ont montré des preuves relativement solides concernant leurs propriétés de mesure (comme par exemple l’ADOS, la CARS ou la CBCL pour les plus connus). Néanmoins, même ces outils les plus « valables » ont une portée limitée qui amène les auteurs à considérer qu’il n’est pas raisonnable de recommander leur utilisation. En d’autres termes, il est peu probable que les outils identifiés soient efficaces pour détecter les changements dans les études d’intervention. Il apparaît également que la majorité des ces outils cible les caractéristiques de l'autisme (notamment les compétences de communication sociale) et les comportements problématiques. Or, si on interroge les parents, enfants et adultes autistes sur les variables qu’ils considèrent comme pertinentes, ils répondent que le bonheur, l’anxiété et la surcharge sensorielle sont les plus importantes pour eux. Les auteurs montrent donc une différence frappante entre les variables jugées importantes par les parents et les variables les plus souvent mesurées par les professionnels (ces derniers accordent plus d’importance aux déficits principaux de l’autisme et aux comportements « problèmes »). Bref, il y a actuellement un manque de vision commune entre familles et professionnels concernant les variables qui comptent le plus et qui devraient être mesurées lorsque l’on suit les progrès des jeunes enfants. D’ailleurs, la recherche fait appel de plus en plus aux personnes autistes et à leur famille : on leur demande leur avis et on compte même certaines personnes autistes parmi les chercheurs. Cette approche dite « collaborative » de la recherche nous permet de mieux cibler ce qui est vraiment important pour cette population lorsque l’on évalue les effets d’une intervention donnée. Le témoignage des personnes autistes s’invite donc de plus en plus dans la littérature scientifique, et vient compléter la littérature autobiographique déjà bien fournie (voir Temple Grandin ou Julie Dachez par exemple). Les RBP de Nouvelle-Zélande laissent d’ailleurs une large place à de nombreux témoignages de personnes autistes (« Voices »).
Voilà pourquoi la qualité de vie des personnes autistes est une thématique de recherche en plein essor (en plus de la qualité de vie des parents et des familles). Cette variable est considérée comme une mesure de plus en plus importante dans l’évaluation des interventions pour lesquelles on manque encore de données quant à leurs éventuels effets collatéraux (il n’est pas certain que la diminution de certains signes « visibles » de l’autisme amène une augmentation du bien-être).
II. Synthèse des recommandations
Il n’est donc pas simple de faire des recommandations de bonnes pratiques en matière de prise en charge de l’autisme : les preuves relatives quant à l’efficacité des interventions, l’hétérogénéité clinique et étiologique de l’autisme, la quantité de variables en jeu et la sélection des cibles nous empêchent de véritablement trancher.
Alors que faire ? Car il faut néanmoins guider les familles et les professionnels ! Voici donc une synthèse plus concrète des RBP et de ce qu’il est raisonnable de mettre en place en l’état actuel des connaissances.
Commençons par les interventions et les approches non pertinentes ou qui ne sont pas recommandées étant donné le manque de données probantes :
- approches psychanalytiques ou psychodynamiques (France, Belgique, Nouvelle-Zélande)
- psychothérapie institutionnelle (France, Belgique)
- programme Son Rise (France)
- méthode des 3i (France)
- méthode Feuerstein (France)
- méthode Padovan ou réorganisation neurofonctionnelle (France)
- méthode Floortime ou Greenspan, en tant que méthode exclusive (France)
- méthode Doman-Delacato (France)
- thérapie de rétroaction neurologique (« neurofeedback ») et thérapie d'intégration auditive (ou d'écoute intégrée) pour gérer les problèmes d'élocution et du langage (Royaume-Uni)
- packing (Belgique) (voir plus bas « Zoom sur le packing »)
- communication dite « facilitée » (Ecosse, France, Belgique, Nouvelle-Zélande)
Zoom sur le packing
Bien que le packing relève plus des interventions biomédicales, il me semblait important de détailler cette pratique qui fait polémique en France. La technique du packing consiste à empaqueter le patient dans des linges mouillés et froids, étayé par un discours afin qu’il puisse reprendre conscience de son corps. Cette pratique serait surtout indiquée pour les cas d’automutilation. La technique du packing ne bénéficie à l’heure actuelle d’aucune preuve de son efficacité sur aucune variable. Néanmoins, il faut faire une différence entre le packing et de simples pressions corporelles. Certaines personnes autistes peuvent en effet éprouver ce besoin sensoriel dit « proprioceptif », et à mon sens il n’y a éthiquement pas lieu de s’y opposer à partir du moment où la personne en fait la demande. Le problème du packing relève donc plus de son consentement, de son indication (répondre à un besoin sensoriel, mais pas pour traiter l’automutilation) et de sa théorie sous-jacente (théorie d’inspiration psychodynamique difficile à opérationnaliser et qui ne justifie pas du tout d’utiliser des linges froids et humides).
Voyons maintenant ce qui est recommandé…
Certaines RBP préconisent l’utilisation de modèles ou de programmes d’interventions : le modèle de Denver (France, Grade B), le programme TEACCH (Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped CHildren) (France, Grade C), le PECS (Picture Exchange Communication System) (Belgique, Ecosse, recommandation conditionnelle), le LEAP (Learning Experiences and Alternate Program for Preschoolers and their Parents) (Belgique, « mérite d’être envisagées et étudiées plus en profondeur »), l’EIBI (Early intensive behavioural intervention) (Nouvelle-Zélande, Grade B, concernant l’amélioration des compétences cognitives, langagières et l’amélioration des comportements adaptatifs). Néanmoins, « aucune approche éducative ou thérapeutique ne peut prétendre restaurer un fonctionnement normal ou améliorer le fonctionnement et la participation de la totalité des enfants/adolescents (France, grade B) ». « Il n'y a aucune preuve qu'un seul modèle soit efficace pour enseigner tous les objectifs à tous les enfants atteints de TSA. Les modèles doivent être choisis en fonction des caractéristiques de l'enfant et de la situation d’apprentissage (Nouvelle-Zélande, Grade B) ».
Seules deux RBP préconisent l’intensité des interventions, mais de façon très relative. Pour la France, il est ainsi recommandé « au moins 20 heures/semaine par des intervenants formés auxquelles s'ajoutent au moins 5 heures/semaine d’interventions effectuées par les parents eux-mêmes (Grade B). Les heures parentales sont effectuées dans le cours normal des activités quotidiennes avec l'enfant (moments d’éveil de l’enfant, repas, toilette, jeux, au moment du lever ou du coucher, pendant les week-ends, etc.). Ces durées, qui respectent les rythmes physiologiques du sommeil en fonction de l’âge, comprennent les temps de scolarisation avec accompagnement individuel adapté. Quel que soit l’âge de l’enfant/adolescent, l’intensité et le contenu des interventions doivent être fixés en fonction de considérations éthiques visant à limiter les risques de sous-stimulation ou au contraire de sur-stimulation de l’enfant/adolescent ». Pour la Nouvelle-Zélande « des services devraient être disponibles pour s'assurer qu'un jeune enfant est impliqué de façon appropriée dans divers milieux (maison, école, communauté) dans le cadre d'activités axées sur les objectifs, pendant 15 à 25 heures par semaine » (Grade B).
Mais globalement, les préconisations concernent seulement des cibles d’enseignement ou des conduites générales à tenir. Certaines préconisations concernent les caractéristiques fondamentales de l’autisme, d’autres les comportements et conditions associés. Voici donc les recommandations principales communes aux 5 RBP :
1. Précocité des interventions
France : « Des projets personnalisés fondés sur des interventions précoces, globales et coordonnées, débutées avant 4 ans » (grade B).
Nouvelle-Zélande : « Les interventions devraient débuter tôt, dès qu'un retard de développement important est identifié » (Grade B).
Belgique : « Les troubles du langage chez l’enfant avec autisme doivent être abordés précocement dans le contexte plus global d’un projet personnalisé ». « Prévention et intervention précoce pour les comportements perturbateurs ».
Royaume-Uni : « Il est important que les enfants et leurs familles aient accès, dans la mesure du possible, à une intervention précoce ».
2. Associer les parents et / ou privilégier les programmes de formation pour les parents
France : « L’implication des parents dans les interventions globales est recommandée pour assurer la cohérence des modes d’interactions avec l’enfant » (Grade B). Il est recommandé de mettre en œuvre les interventions axées sur la communication et le langage en étroite collaboration avec les parents et les autres professionnels au contact de l’enfant/adolescent et que les parents et l’ensemble des intervenants ayant une fonction éducative favorisent la généralisation des acquis dans les activités de la vie quotidienne, éducatives et scolaires (Grade C) ».
Belgique : « L’approche de base des difficultés de communication et d’interaction sociale est idéalement une intervention psychosociale qui fait appel au jeu interactif et qui implique les parents (…) de manière à augmenter le niveau d’attention conjointe, d’engagement et de réciprocité chez l’enfant. Cette intervention doit (notamment) contribuer à augmenter le niveau de connaissances des parents (…) vis-à-vis des schémas de communication de l’enfant pour pouvoir y réagir de façon adéquate ». « Les parents doivent idéalement être associés aux approches faisant appel à des systèmes de communication augmentative ». « Pour agir sur les facultés intellectuelles et les déficits d’apprentissage, ou sur les troubles du développement moteur, les interventions à visée éducative telles que LEAP – Learning Experiences and Alternate Program for Preschoolers and their Parents –, un programme faisant appel à une forte implication des parents, mérite d’être envisagé et étudié plus en profondeur ».
Ecosse : « Les programmes d'intervention médiatisés par les parents devraient être envisagés pour les enfants et les jeunes, car ils peuvent aider les familles à interagir avec leur enfant, accroître la satisfaction parentale, favoriser le développement de l'autonomie et la santé mentale (Recommandation basée sur l’expérience clinique du GDG). Il a été montré un avantage statistiquement significatif des interactions parent-enfant concernant l’amélioration de l'attention conjointe. De petites améliorations ont également été observées dans la compréhension et l'expression du langage et la réduction du stress parental, bien que ces résultats doivent être confirmés par d'autres essais contrôlés randomisés de plus grande envergure ».
Royaume-Uni : « Envisager une intervention spécifique de communication sociale ciblant les caractéristiques principales de l'autisme, incluant des stratégies centrées sur le jeu avec les parents (…) pour accroître l'attention, l'engagement et la communication réciproque chez l'enfant ou le jeune. Les stratégies devraient viser à accroître la compréhension des parents (…) et la sensibilité et la réactivité aux modes de communication et d'interaction de l'enfant ou du jeune ».
Rq : Selon l’expertise du GDG, le PACT (Preschool Autism Communication Trial) est jugé trop coûteux et une plus faible intensité pourrait permettre d’obtenir des effets similaires (le PACT est une intervention précoce dès l’âge de 2 ans pour aider les parents à communiquer avec leur enfant).
Nouvelle-Zélande : « Tous les services d’éducation devraient être centrés sur la famille » (Grade B). Fournir aux parents des « conseils sur la maîtrise de stratégies spécifiques qui leur permettent d'acquérir de nouvelles compétences et informations sur la façon dont les TSA influencent l’apprentissage, et des aides pour faire face au stress ».
3. Se centrer sur les forces et les intérêts de l’enfant (voir plus bas « Zoom sur les forces autistiques »)
France : « Respecter la singularité de l’enfant/adolescent et de sa famille et tenir compte de leurs priorités » (Accord d’experts). « Utilisation initiale des centres d’intérêt particuliers de l’enfant/adolescent » (pour développer les facultés cognitives). « Le développement de la fonction de communication nécessite (notamment) qu’une relation individuelle s’établisse par l’attention et la disponibilité que l’adulte témoigne à l’enfant/adolescent, à partir de ses centres d’intérêt ». Concernant l’apprentissage de comportements adaptés en vue de réduire la fréquence ou l’intensité de comportements problèmes, il est recommandé (notamment) « toute intervention qui obtient cet apprentissage par la valorisation de l’enfant/adolescent ».
Nouvelle-Zélande : « Dans la mesure du possible, les intérêts particuliers devraient être incorporés » (pour tous les domaines d’apprentissage, Grade C). « Les enfants et les jeunes devraient recevoir un enseignement soigneusement planifié et systématique adapté à leurs besoins et capacités individuels » (Grade B).
Ecosse : « Si possible, incorporer aux thérapies leurs intérêts particuliers » (à propos de la thérapie cognitive et comportementale).
Royaume-Uni : « Intégrer à la thérapie cognitive et comportementale les intérêts particuliers de l'enfant ou de l’adolescent ».
« Si les enfants et adolescents manifestent un intérêt, offrez-leur une approche collaborative au traitement et aux soins qui tienne compte de leurs préférences ».
Belgique : « Si possible, intégrer les intérêts particuliers de l'enfant ou du jeune en thérapie » (à propos de la thérapie cognitive et comportementale).
Zoom sur les forces autistiques
Selon un modèle social classique du handicap, les interventions visent principalement à améliorer les déficits et les comportements dits « adaptatifs », et à minimiser les comportements jugés inappropriés. Mais à côté de cette vision traditionnelle axée principalement sur les déficits, il existe un autre cadre conceptuel qui souligne les points forts et les potentiels des personnes autistes (on parle de neurodiversité). Pour les défenseurs de la neurodiversité, même s’il est justifié de traiter certains aspects de l'autisme limitant par exemple la compréhension de certains indices sociaux, il est préférable au contraire de s'abstenir d'intervenir sur les comportements atypiques non vécus comme des déficits, tels que les intérêts particuliers, l’attachement aux routines, ou certains comportements d’auto-stimulation. Les intérêts particuliers sont en effet présents chez 75 à 90% des personnes autistes. Même s’ils sont souvent considérés dans la littérature comme des intérêts restreints associés à un déficit fonctionnel important, d’autres travaux récents montrent que ces intérêts particuliers sont un facteur de force et de compétence qui aurait un impact positif sur la qualité de vie. Les observations cliniques et les récits de personnes autistes suggèrent également que les intérêts spéciaux revêtent une importance considérable pour cette population. Selon cette approche, le soutien des personnes autistes peut donc impliquer la mise en œuvre de stratégies pour atténuer les inconvénients tout en respectant la différence autistique. Cette perspective fait appel à un modèle social du handicap dans lequel l'accent est mis sur la manière dont l'environnement physique et social s'adapte à la différence individuelle, plutôt que de considérer ces différences comme des problèmes médicaux devant être traités.
4. Proposer des outils de communication alternative
France : « Mise en place de système de communication augmentée ou alternative cohérent dans les différents lieux de vie de l’enfant/adolescent, lorsque celui-ci ne s’exprime pas ou peu oralement » (pour aider l’enfant/adolescent à reconnaître, à vivre ses émotions et à gérer son anxiété, Grade C).
Belgique : « Des systèmes de communication augmentative par échanges de pictogrammes ou d’objets (type PECS) peuvent être utilisés » (en cas de déficit des comportements socioadaptatifs). « Les troubles du langage chez l’enfant avec autisme doivent être abordés précocement dans le contexte plus global d’un projet personnalisé, qui comprend des objectifs fonctionnels relatifs à la communication verbale et non verbale. Ce programme pourrait notamment faire appel à des systèmes de communication augmentative par échanges d’images (type PECS) ».
Ecosse : « Il devrait être envisagées les interventions visant à favoriser la compréhension et l'expression, comme le système de communication par échange d'images et l'utilisation de supports visuels ».
Royaume-Uni : « Les stratégies devraient inclure des techniques pour élargir la communication ».
Nouvelle-Zélande : « Des supports visuels devraient être disponibles pour soutenir la communication expressive et réceptive, selon les besoins individuels » (Grade B).
5. Favoriser l’inclusion sociale et l’accès à l’éducation, la culture et les loisirs
France : « Dans les établissements scolaires, en accord avec l’enfant/adolescent et ses parents, une information peut être donnée sur les caractéristiques des personnes avec TED aux pairs ou aux personnes de leur entourage social pour favoriser la compréhension des particularités de fonctionnement, leur acceptation et l'inclusion (…) dans un environnement ordinaire ». « Parmi les interventions proposées pour aider l’enfant/adolescent à développer ses facultés cognitives sont recommandées notamment les activités éducatives et pédagogiques, dont les activités ludiques, culturelles et artistiques, adaptées au niveau de développement de l’enfant/adolescent et tenant compte de son âge chronologique, etc. ».
Nouvelle-Zélande : « Tous les enfants et les adultes devraient avoir accès à des installations de loisirs et à des activités significatives adaptées à leurs besoins et intérêts (…) pour promouvoir l'inclusion sociale » (concernant la vie dans la communauté, Grade B).
Belgique : « La prise en charge doit reposer sur des interventions (…) qui visent à fournir à l’enfant des stratégies pour acquérir la plus grande autonomie possible et faire face aux exigences de la vie en société, comme l’accès aux transports, à l’emploi et aux loisirs ».
Royaume-Uni : « Permettre l'accès à des loisirs et à des activités agréables ; du soutien à l'accès aux services éducatifs ». « Offrez aux enfants et adolescents autistes un soutien pour développer des stratégies d'adaptation et d'accès aux services communautaires, y compris le développement d'habilités pour accéder au transport en commun, à l'emploi et aux installations de loisirs ».
Ecosse : « Les enfants et les jeunes peuvent bénéficier de conseils et de soutien pour adapter les environnements, les activités et les routines de la vie quotidienne » (Recommandation basée sur l’expérience clinique du GDG).
6. Cibler l’augmentation des compétences d’attention conjointe
France : « Le développement de la fonction de communication nécessite (notamment) que des techniques spécifiques soient mises en œuvre pour le développement de l’attention conjointe par la mise en situation d’interactions sociales (imitation, manipulation d’objets, d’images, jeu, etc.) » (grade C).
Royaume-Uni : « Les interventions en communication sociale devraient inclure des stratégies reposant sur le jeu pour accroître l'attention conjointe, l'engagement et l’interaction ».
Belgique : « L’approche de base des difficultés de communication et d’interaction sociale est idéalement une intervention psychosociale qui fait appel au jeu interactif (…) de manière à augmenter le niveau d’attention conjointe, d’engagement et de réciprocité chez l’enfant ».
Ecosse : « Il a été montré un avantage statistiquement significatif de l'interaction parent-enfant pour l'attention conjointe ».
Nouvelle-Zélande : « Les premiers objectifs d'interaction avec les adultes doivent inclure l'attention conjointe, la prise de contact, l'imitation, la réponse au regard, l'initiation des interactions sociales et l'engagement avec les jouets ».
7. Considérer les approches basées sur les principes de l’analyse du comportement
Zoom sur l’analyse du comportement
L’analyse du comportement est un champ de recherche et d’application qui s’intéresse aux principes et lois qui régissent nos comportements. Ses bases théoriques sont nées dans les années 30 aux Etats-Unis par le biais de « l’analyse expérimentale du comportement » (ou EAB en anglais). L’EAB étudie les mécanismes d’apprentissage et particulièrement comment les comportements apparaissent, se maintiennent ou diminuent. A travers la découverte de ces mécanismes, les psychologues ont construit une théorie qu’ils pouvaient utiliser dans leurs pratiques auprès des patients. L’application de ces principes a été alors appelée « analyse appliquée du comportement » (ou ABA en anglais) qui se situe à la frontière entre la psychologie des apprentissages et la science de l’éducation.
C’est dans ce contexte qu’est né, dans les années 50, le mouvement des « thérapies comportementales » utilisées au départ surtout en psychiatrie (notamment pour la prise en charge de la schizophrénie). Les thérapies comportementales ont ensuite été englobées dans un mouvement plus large, la « Modification du Comportement » qui, en plus des comportements pathologiques, s’est intéressé aux comportements « normaux ».
Dans les années 70, la psychologie s’est ensuite penchée sur les sciences dites « cognitives » qui concernent la compréhension des mécanismes de pensée. Les psychologues ont alors petit à petit intégré ces théories cognitives à leurs pratiques pour formaliser ce que l’on appelle les thérapies « cognitives et comportementales » (les fameuses TCC ou CBT en anglais). Récemment, les TCC se sont encore développées en s’intéressant plus particulièrement à la gestion des émotions (en intégrant par exemple des techniques issues de la méditation). Les TCC sont alors devenues « thérapie d’acceptation et d’engagement » (ACT en anglais) qui prennent appui sur la théorie des cadres relationnels (RFT en anglais). Rq : pour en savoir plus à ce propos, vous pouvez cliquer ici.
L’ABA est donc un champ de recherche et une science appliquée du comportement. L’ABA nous dit « comment » faire émerger, augmenter ou diminuer des comportements, mais ne nous dit pas « quels » comportements modifier ni « à quel moment le faire ». L’ABA n’est donc certainement pas un livre de recette et n’est d’ailleurs pas du tout réservée à l’autisme (même si elle est surtout connue pour ça : c’est le psychologue Ole Ivar Lovaas qui a été l’un des premiers à tenter d’appliquer les connaissances en analyse du comportement dans la prise en charge de l’autisme). Il existe aujourd’hui de nombreux modèles d’intervention en autisme qui s’inspirent de l’analyse du comportement et qui proposent en plus de définir l’intensité de la prise en charge, les cibles d’interventions et les moments opportuns pour les enseigner. Citons par exemple le modèle de Denver et l’ESDM (Early Start Denver Model), l’EIBI (Early Intensive Behavioural Intervention) ou l’ICI (Intervention Comportementale Intensive). Ces trois modèles ont non seulement pour inconvénients de ne pas toujours tenir compte des particularités et du développement autistique (objectif de « normalisation »), mais surtout de ne pas tenir compte de la réalité financière et pratique de la plupart des familles (en France par exemple, rares sont les familles qui peuvent s’offrir un tel modèle d’intervention, sans compter que les psychologues et intervenants formés à ces modèles sont rares). Notons aussi que le système de communication alternative par échange d’image (PECS) nécessite également une connaissance en analyse du comportement pour être mis en place efficacement. Enfin, la plupart des programmes de formation pour les parents enseignent également les principes issus de l’analyse du comportement afin que les parents puissent mettre en place certaines stratégies de modification comportementale (notamment dans la gestion des caractéristiques associées).
Ce n’est donc pas l’ABA qui décide des cibles des interventions ni des moments les plus appropriés pour les enseigner. En réalité, c’est l’éthique du professionnel, sa connaissance de l’autisme, les besoins individuels des jeunes et les souhaits des familles qui vont déterminer ces cibles. Voilà pourquoi l’ABA peut être mise en œuvre de 1000 et une façons différentes et a conduit la plupart des RBP (dont le NICE) à la considérer comme une science appliquée plutôt que comme une intervention spécifique. Honnêtement, en France, j’ai vu plus de « mauvaises » que de « bonnes » pratiques se réclamant de l’ABA (il faut dire qu’il s’agit d’une science exigeante et que peu d’Universités proposent son enseignement). Grossièrement, on pourrait comparer l’ABA à la formule E=mc2 : il s’agit d’une réalité scientifique, mais dont l’application va surtout dépendre des intentions de son utilisateur. Ainsi, cette formule peut permettre d’obtenir le pire (la bombe nucléaire) ou le meilleur (l’étude du fonctionnement des étoiles). Et pour illustrer deux façons opposées de mener une intervention basée sur l’ABA, prenons l’exemple de deux écoles : celle de la BACB (Behavior Analyst Certication Board, organisme dont la mission est de développer un programme de certification internationale pour les praticiens) et celle du UK ABA Autism Education Competence Framework (qui propose des lignes directrices pour les analystes du comportement intervenant dans le champ de l’autisme au Royaume-Uni). Alors que le BACB aurait tendance à chercher à « normaliser » les personnes autistes et à préconiser une prise en charge intensive sans vraiment tenir compte des besoins individuels, le UK ABA Autism Education Competence Framework propose au contraire des recommandations tout-à-fait respectueuses du fonctionnement autistique qui ne prétendent pas rattraper un développement normal (« You know that others argue that seeking a cure is in any case inappropriate because autism is not an “illness” and is also a valid way of being »). Leur modèle d’accompagnement, connu sous le nom de Positive Behaviour Support, propose donc une approche centrée sur la personne et son bien-être (« les professionnels de l’autisme formés à l’analyse appliquée du comportement ne devraient agir qu’en tenant compte de ces lignes directrices : l’inclusion, développer les opportunités d’apprentissage, respecter les forces et intérêts de l’entant, l’aider à mieux comprendre l’environnement dans lequel il vit, etc. »).
Mais revenons aux RBP et aux approches basées sur les principes de l’analyse du comportement…
France : « Les thérapies cognitivo-comportementales spécifiquement adaptées aux personnes avec TED peuvent être utilisées chez les enfants/adolescents ayant un bon niveau de développement du langage oral » (domaine des interactions sociales, Grade C). « L’adaptation de stratégies utilisées en thérapie cognitivo-comportementale pour les enfants avec autisme de haut niveau ou syndrome d’Asperger (concernant la gestion de l’anxiété, Grade B). « Parmi les interventions proposées pour favoriser l’apprentissage de comportements adaptés en vue de réduire la fréquence ou l’intensité de comportements problèmes sont recommandés (notamment) les techniques psycho-éducatives comportementales » (Grade C). « En cas de troubles du comportement, il est recommandé de rechercher (…) les contextes d’apparition des comportements problèmes et leur fonction, afin de déterminer, par une évaluation fonctionnelle, les facteurs qui déclenchent ces troubles ou les maintiennent, voire les renforcent (veiller d’abord à écarter les comorbidités somatiques ou les phénomènes douloureux) ».
Royaume-Uni : « Si aucun problème de santé mentale ou de comportement, trouble physique ou problème environnemental coexistant n'a été identifié comme déclenchant ou maintenant les troubles de conduite, offrez une intervention appuyée par une analyse fonctionnelle comme intervention pour la gestion des troubles de la conduite ». « Envisager la thérapie cognitive et comportementale pour les enfants et adolescents ayant reçu un diagnostic d'autisme et d'anxiété qui ont la capacité verbale et cognitive requise pour les TCC » (concernant les troubles associés).
Belgique : « Pour contrôler les troubles anxieux, les interventions de type cognitivo-comportemental sont recommandées chez les enfants qui ont un degré de développement cognitif et verbal suffisant pour y participer ». « En cas de comportement perturbateur, il est nécessaire de réaliser une évaluation fonctionnelle pour décrire le comportement en question et identifier les facteurs déclenchant, les besoins que ces comportements tendent à vouloir satisfaire et les conséquences. Cette évaluation fonctionnelle doit également s’accompagner d’une évaluation médicale pour pouvoir exclure d’éventuelles causes physiques de douleur ».
Ecosse : « Les interventions comportementales peuvent être considérées pour réduire la fréquence et la sévérité des symptômes et des comportements défis, et pour augmenter le développement de compétences adaptatives » (Recommandation basée sur l’expérience clinique du GDG).
« Envisager un soutien par du personnel formé aux principes de l'analyse du comportement appliqué (ABA) pour augmenter les compétences adaptatives, de communication et sociales » (Recommandation basée sur l’expérience clinique du GDG). « La thérapie cognitivo-comportementale peut être envisagée (…) pour traiter l'anxiété chez les enfants et les jeunes qui ont des capacités verbales et cognitives requises ». « Une thérapie comportementale devrait être envisagée pour les enfants et les jeunes qui ont des problèmes de sommeil » (Recommandation basée sur l’expérience clinique du GDG). Néanmoins, « c’est une réponse médicale qui doit être apportée en cas d'apnée du sommeil ou de respiration désordonnée (ronflement fort, suffocation ou arrêt périodique de la respiration pendant le sommeil) ».
Nouvelle-Zélande : « Les interventions éducatives doivent intégrer les principes du positive behaviour support, en mettant particulièrement l'accent sur la compréhension de la fonction du comportement » (Grade A). « Des interventions et des stratégies fondées sur les principes de l'analyse du comportement appliquée (ABA) devraient être envisagées pour tous les enfants ayant un TSA » (Grade A).
En résumé, les thérapies cognitives et comportementales (TCC), les techniques psycho-éducatives comportementales, l’évaluation et l’analyse fonctionnelles, les interventions et thérapies comportementales, ou encore le positive behaviour support ont toutes le même socle théorique qui est l’analyse du comportement. Cette approche est surtout recommandée pour la gestion des caractéristiques, comportements et conditions associées à l’autisme, plus que pour la modification des caractéristiques fondamentales de l’autisme (il existe peu d’interventions ciblant les caractéristiques de base de l’autisme, la qualité et la disponibilité de ces programmes étant variables. De plus, les preuves d’efficacité de ces interventions, même pour celles les plus largement utilisées sont faibles, les preuves les moins solides concernant la modification des intérêts dits « restreints »). A ce sujet, ce sont pour l’instant les programmes d’intervention impliquant les parents qui donnent les meilleurs résultats en terme de coût-bénéfices.
Remarque : en ce qui concerne les stratégies de diminution de comportements problématiques, il est préférable de favoriser en première intention l’apprentissage de nouvelles compétences. En effet, ces apprentissages proactifs permettent souvent de réduire indirectement la fréquence ou l’intensité de comportements problèmes (HAS, France).
III. Conclusion
Les recommandations de bonnes pratiques sont une synthèse de la recherche pour tenter d’en ressortir les meilleures pratiques, en tenant compte des preuves d’efficacité actuellement existantes. Aujourd’hui, le niveau de preuve d’efficacité des interventions est non seulement faible, mais nous manquons également de travaux évaluant leurs éventuels effets indésirables (selon le NICE, « l’absence d’effets secondaires associés aux interventions non pharmacologiques ne devrait pas être considérée comme un preuve que ces interventions sont sans danger »). Nous manquons également d’études comparatives entre les différentes interventions qui nous permettraient de les hiérarchiser (comme cela avait été fait par exemple dans le rapport INSERM en 2004). Enfin, il existe parfois un fossé énorme entre les préconisations et les ressources des différents pays pour pouvoir les mettre en pratique.
De plus, il faut avouer que la lecture de ces RBP est parfois indigeste. Par conséquent, elles ne sont pas très accessibles aux familles. Pour faciliter les choses, une initiative est justement en train de voir le jour : il s’agit du site www.myelin.ca. En cours de fabrication, cette plate-forme s’est donnée pour mission de synthétiser et de faciliter l’accès à l’information scientifiquement reconnue sur l’autisme. Mais surtout, ce site a pour ambition de donner des réponses individuelles adaptées à chaque situation, via un système d’intelligence artificielle. Un site prometteur.