« Le clan des psys » est une saga déclinée en épisodes inspirés de faits réels.
Episode 10 : les gastronomes mondains
Je ne propose désormais que des consultations aux heures des repas et dans les meilleurs restaurants parisiens. J'accepte également de me déplacer pour un déjeuner en province aux frais de mes patients, moyennant une majoration du prix des séances, et sous réserve que l'établissement réponde à mes exigences gastronomiques. C'est ainsi que j'ai pu récemment me régaler aux Terrasses de Lyon d'un excellent Risotto de Homard accompagné d'un magnum de Puligny-Montrachet 2005 de chez Leflaive.
Je garde aussi un excellent souvenir d'un dîner pris à l'Agapé avec un patient meurtri par l'angoisse. Nous avions partagé une bouteille du domaine alsacien Rangen, dont les coteaux sont si raides que les vendangeurs récoltent les raisins encordés. Les confidences de mon client me paraissaient nettement plus supportables après avoir bu quelques gorgées de ce riesling Grand Cru.
Cette pratique originale de mon métier de psychothérapeute suscite beaucoup de controverses, à tel point que je suis haï par quasiment tous les représentants de ma profession. Certains de mes confrères prétendent que je ruine l'image de notre métier déjà si fragile, tandis que d'autres crient au scandale éthique et à la discrimination. A ma décharge, je ne suis que la victime d'une époque dans laquelle les clients réclament de plus en plus de séances le week-end et après 20h. La plupart des psychologues et psychiatres s'accommodent de cette évolution de la société occidentale moderne en se rendant disponibles à des horaires inconvenants. Ce n'est pas mon cas. En voyant la tournure que prenaient les conditions de la pratique libérale, j'ai plutôt opté pour des séances à table qui arrangeaient tout le monde. Ce mode de prestation attire plus particulièrement une patientèle aisée et fine bouche. Je n'y peux rien.
Je reçois une femme et son mari qui se plaignent de difficultés de communication et qui espèrent que je vais pouvoir les aider à sauver ce qui reste de leur amour. Les Chandelles est un lieu parfaitement adapté pour conduire cette thérapie de couple. J'écoute leurs désillusions conjugales tout en profitant des bouchées fondantes d'un agneau de lait. Nos échanges sont ponctués par la rétro-olfaction de goulées d'un Richebourg 1989 arrivé à parfaite maturation.
A mes lecteurs qui me verraient comme la dernière des pourritures, je réponds que joindre l'utile à l'agréable n'est pas encore déconseillé par le code de déontologie des psychologues dont je respecte d'ailleurs scrupuleusement chacun des articles. Je me suis fait également cette promesse de n'accepter aucune demande de prise en charge de la part de patients alcooliques ou souffrant de troubles du comportement alimentaire. C'est bien la preuve que je me conforme à une certaine éthique.
Je noie dans l'alcool mon sentiment d'incompétence à résoudre les problèmes de mes patients. Ce dimanche midi d'octobre, à la Closerie des lilas, j'ai consommé plusieurs coupes d'un Laurent Perrier millésimé et un clavelin de vin jaune pour affronter l'histoire tragique de cette femme qui venait de perdre son fils dans des circonstances si abominables qu'elle se demandait quel foutu évènement de vie pouvait bien encore valoir la peine d'être expérimenté.
Les psys au contact de leurs souffrances
Les psys font un métier à risque de fatigue de compassion : à force d'accueillir les confessions existentielles et les souffrances des autres, nous finissons par nous imprégner de contenus émotionnels qui viennent nourrir nos propres anxiétés personnelles. Nous nous retrouvons alors parfois à éviter les contenus anxiogènes des discours de nos patients en fuyant les sujets épineux ou en les rassurant sur nos aptitudes à faire diminuer leurs symptômes. Pourtant, choisir d'accepter nos émotions de thérapeute est certainement le meilleur exemple que nous puissions donner à nos patients dont la problématique vient justement de leur lutte acharnée contre leurs pensées les plus aversives. En m'adonnant à ces sessions de thérapies gastronomiques, j'ai pris conscience de leur fonction d'échappement de mes propres évènements psychologiques, et qu'une telle pratique ne pouvait qu'entretenir ma souffrance et celle de mes patients.