« Atypical » : une série TV sur la vie d’un jeune autiste  

Atypical

Une nouvelle série télévisée débarque sur vos écrans : « Atypical », ou l’histoire d’un jeune autiste de 18 ans qui expérimente les problématiques du passage à l’âge adulte1. La série aborde avec humour les relations sentimentales, amicales et sexuelles du personnage, son parcours scolaire, mais aussi l’impact de l’autisme sur sa famille, l’inclusion et les particularités du fonctionnement autistique. La première saison a commencé à être diffusée cette année et est composée de 8 épisodes. Voici la bande-annonce :

Ce teaser prédit une production cinématographiquement croustillante. Mais n’ayant pas encore vu la série, je ne sais pas si elle respecte au moins en partie la réalité de la condition autistique. Néanmoins, c’est l’occasion de faire le point sur la qualité de vie des vrais adultes autistes…

Le point sur la qualité de vie des adultes autistes

Depuis une dizaine d’années, les chercheurs se penchent sérieusement sur cette question : « quels sont les critères pertinents à retenir lorsque l’on évalue les effets d’une prise en charge sur les personnes adultes autistes ? ». Cette problématique répond à une triple demande : celle des parents défenseurs des droits de leurs enfants devenus adultes, celle des personnes autistes elles-mêmes qui sont nombreuses à prendre la parole pour exprimer leurs besoins, et celle des professionnels qui ne réussissent pas toujours à identifier ces besoins et donc à y répondre de façon appropriée.

Quasiment toutes les études montrent que les adultes autistes rencontrent des difficultés dans leur vie quotidienne, qu’il leur est difficile d’accéder à l’autonomie, aux services de soin et de santé, qu’ils sont nombreux à être sans emploi, et à présenter des problèmes de santé physique et mentale. Malgré ce constat, nous savons encore peu de choses sur la façon d’aider ces personnes à optimiser leurs potentiels. Et pour cause : il n’existe actuellement pas de consensus sur ce que devraient être les bons critères pour évaluer les effets d’une intervention. Par exemple : est-il important pour une personne autiste d’avoir beaucoup d’amis ? Est-il préférable pour elle de décrocher un travail bien rémunéré ou que son activité professionnelle soit en lien avec ses intérêts ? Il est d’autant plus difficile de répondre à ces questions que l’hétérogénéité du spectre de l’autisme est importante. Néanmoins, pour définir des variables plus pertinentes, il est suggéré un mélange entre :

  • Une évaluation personnalisée répondant aux besoins hétérogènes et une approche plus standardisée pour des raisons de commodités inhérentes à la recherche.
  • Une évaluation figée à un « temps t » (qui a tendance à fixer un seuil arbitraire de bon niveau) et une évaluation longitudinale tenant compte des progrès de la personne au long cours.
  • Une évaluation d’indicateurs objectifs tels que l’emploi et l’autonomie, et une évaluation de variables subjectives comme la qualité de vie ou le bonheur.

Justement, la qualité de vie des personnes autistes est une thématique de recherche en plein essor, ce domaine étant considéré comme particulièrement important par les personnes autistes elles-mêmes et leurs familles. Pourtant, même si l’on commence à reconnaitre le concept de qualité de vie comme une variable importante, son étude se confronte à au moins 3 obstacles :

1. Il n’existe pas de fondement théorique unifié du concept de qualité de vie. Le seul consensus sur lequel les chercheurs s’accordent à peu près est que ce concept est multidimensionnel, tel qu’il est décrit dans cette définition donnée par l’OMS : la qualité de vie est la « perception des individus de leur position dans la vie, dans le contexte d’une culture et d’un système de valeurs au sein duquel ils vivent, et ce en relation avec les buts, les espérances, les standards et les préoccupations. C'est un concept très large influencé de manière complexe par la santé physique du sujet, son état psychologique, son niveau d'indépendance, ses relations sociales ainsi que sa relation aux éléments essentiels de son environnement. »

2. Admettons que l’on réussisse à se mettre d’accord sur une définition acceptable de ce que peut être la qualité de vie. Se pose ensuite la question de son évaluation : comment mesurer la qualité de vie chez un individu ? Ce concept ne relève en effet pas d’un phénomène précis, spécifique et observable : on dit alors que la qualité de vie n’est pas opérante, ce qui est pourtant un pré-requis indispensable si l’on veut adopter une démarche scientifique pour élaborer un outil de mesure dit « valide ».

3. La qualité de vie des adultes autistes a tendance à être plus faible que celle des adultes au développement typique. Néanmoins, ces résultats sont obtenus à l’aide d’échelles de mesure génériques (c’est-à-dire validées auprès d’une population générale). Ainsi, peu d’adultes autistes atteignent de bons niveaux de qualité de vie sur des critères standards comme l’indépendance financière, l’autonomie quotidienne ou le développement d’un réseau social. Or, comparées aux personnes neurotypiques, les personnes autistes peuvent attribuer moins de valeur à certains domaines, notamment ceux relevant des activités sociales. Les échelles génériques ont donc toutes les chances d’être peu appropriées lorsqu’elles sont utilisées auprès d’adultes autistes. Il n’est donc pas sûr que ceux qui obtiennent de mauvais résultats sur des marqueurs « normatifs » aient nécessairement un mauvais niveau de qualité de vie. D’ailleurs, il a déjà été tenté de construire un outil de mesure de la qualité de vie spécifique aux adultes autistes et qui montre que celle-ci ne serait peut-être pas si mauvaise qu’on pourrait le penser. Il existerait par conséquent de nombreuses autres façons pour les personnes autistes d’avoir une bonne qualité de vie…

Le problème, c’est que nous n’avons pas encore une compréhension claire des aspects spécifiques importants à mesurer et qui soient en lien avec la qualité de vie des personnes autistes. La première démarche consiste donc à mieux identifier les aspects de la vie qui comptent pour ces personnes et qui affectent leur quotidien. Une fois atteint un consensus sur ce qui constitue cette « bonne » qualité de vie, on pourra alors développer plus sérieusement des outils spécifiques dédiés à sa mesure. Et cette recherche de consensus ne pourra être réalisée sans une implication active des personnes autistes…

Zoom sur l’approche collaborative

Peu d’études donnent la parole directement aux personnes autistes. Or, il est important que ces personnes se reconnaissent dans les discours et les représentations issus des travaux de recherche qui sont publiés à leur propos. Pour cela, nous devons augmenter leur participation dans les études, en les considérant comme des contributeurs importants au développement des connaissances. Car c’est en ayant une meilleure compréhension des perspectives et des expériences des personnes avec autisme que l’on pourra déterminer les critères qui font sens à la condition autistique et ainsi développer des solutions pertinentes visant à améliorer leur qualité de vie. Concrètement, cela implique d’en passer par une récolte de données auprès des personnes autistes elles-mêmes, en plus des données recueillies auprès de leurs familles et de l’ensemble de la communauté concernée (notamment les praticiens).

Cette tendance collaborative se retrouve de plus en plus dans les travaux de recherche qui visent à identifier les critères des interventions perçus comme significatifs et importants pour les personnes autistes et leurs familles tout au long de leur vie (voir par exemple ce grand projet d’une équipe de recherche en Angleterre : Adult Autism Spectrum Cohort). En France, on commence également à prendre conscience qu’il est crucial que les voix des personnes autistes puissent être entendues : il est prévu en effet que l’on tienne compte de leurs opinions dans l’élaboration du 4ème Plan Autisme (2018-2022).

« Si les neurologues sont en mesure de voir les dysfonctionnements dans le cerveau, seuls les autistes peuvent témoigner des effets physiques et psychologiques que provoquent les particularités des connexions mesurées par les appareils » (Harrisson et St-Charles, 2017, p. 25).

  1. C’est, à ma connaissance, la première fois qu’une série TV a pour héros une personne autiste (même si l’on pouvait déjà rencontrer des personnages secondaires aux traits autistiques comme Sheldon Cooper dans la série « Big Bang Theory »).

Principales références :

Ayres, M., Parr, J. R., Rodgers, J., Mason, D., Avery, L. et Flynn, D. (2017). A systematic review of quality of life of adults on the autism spectrum. Autism : 1-10.

Billstedt, E., Gillberg, I. C. et Gillberg, C. (2011). Aspects of quality of life in adults diagnosed with autism in childhood a population-based study. Autism, 15: 7-20.

Bishop-Fitzpatrick, L., Hong, J., Smith, L. E., Makuch, R. A., Greenberg, J. S. et Mailick, M. R. (2016). Characterizing Objective Quality of Life and Normative Outcomes in Adults with Autism Spectrum Disorder: An Exploratory Latent Class Analysis. J Autism Dev Disord, 46(8): 2707–2719.

Falissard, B. (2001). Mesurer la subjectivité en santé : perspective méthodologique et statistique. Paris : Masson.

Feldhaus, C. et von Ossietzky, C. (2015). Quality of Life - Development of an Assessment for People With Autism. Psychology Research, 5 (5) : 327-337.

Tavernor, L., Barron, E., Rogers, J. et McConachie (2013). Finding out what matters: validity of quality of life measurement in young people with ASD. Child: care,health and development, 39(4): 592-601.

Harrisson, B. et St-Charles, L. (2017). L’autisme expliqué aux non-autistes. Montréal: Trécarré.

Taylor, J. L. When is a good outcome actually good? Autism, Prepublished August, 23, 2017, DOI: 10.1177/1362361317728821.

Pfeiffer, B., Piller, A. Giazzoni-Fialko, T. et Chainani, A. (2016). Meaningful outcomes for enhancing quality of life for individuals with autism spectrum disorder. Journal of Intellectual & Developmental Disability, 42 (1) : 90-100.

Robertson, S. M. (2010). Neurodiversity, Quality of Life, and Autistic Adults : Shifting Research and Professional Focuses onto Real-Life Challenges. Disability Studies Quarterly, 30(1).

Turnbull, A. P. (2008). La qualité de vie des familles. Dans B. Rogé, C. Barthélémy et G. Magerotte (dir.), Améliorer la qualité de vie des personnes autistes (p. 213-236). Paris : Dunod.