Les petites tueries ne sortent pas toutes d’un restaurant. Dieu merci. Elles fleurissent ça et là, à la grâce des rencontres, elles attendent le larron pour faire leur apparition, comme ça, par surprise. Cette petite tuerie vient des abers bretons, de l’Aber Wrac’h. Une poignée de passionnés y élèvent des ormeaux en pleine mer. Un vrai travail de dingues, auquel ils ne renonceraient pour rien au monde.
Ce nom, quand même : Aber Wrac’h ! Il sonne comme le fracas d’une vague sur le rocher, il sent l’iode et le varech, le granit et le sel. “Aber Wrac’h…” Pfuitt, chaque fois que je l’entends, j’ai l’esprit qui fait son baluchon, qui s’envole vers le Finistère. C’est magique, ça marche à tous les coups, mon film favori, mon feelgood se met en route : je suis en Bretagne, en mer, je pêche…
Cette fois, il n’est pas question de pêcheurs, mais d’éleveurs. Depuis une dizaine d’années, Sylvain Huchette règne sur un cheptel nacré. Ce biologiste a trouvé, à force de patience, d’obstination, de passion, le moyen de recréer le cycle de reproduction naturel de l’ormeaux. Un travail de haute voltige zoologique, car on ne le sait que trop peu, mais ce petit coquillage de la famille des gastéropodes, est un grand timide, un fragile facilement stressé, il défaille quand on le regarde de trop près. Et en plus, il est hémophile…
L’entreprise de Sylvain Huchette, Haliotis (c’est le nom savant de l’animal), est la seule en France à produire le naissain du petit mollusque à coquille unique.
Déjà, ça compte. Mais, mieux encore, une fois que ses petits protégés atteignent l’âge de batifoler dans le grand bain (six mois, parfois un an), Sylvain et ses équipiers, Xavier Lesage, Lain MacKenzie, Frédéric Laurens pour ne citer qu’eux, les conduisent au milieu de l’Aber Wrac’h, à l’abri des prédateurs, dans de grandes cages, où ils grandissent pendant près de quatre années. 120 unités reposent ainsi sur le fond de l’Aber. Bien sûr, il faut nourrir tout ce petit monde : 10 kilos d’algues fraîches par cage, tous les quinze jours au printemps, une fois par mois en hiver. Il est donc nécessaire de repêcher les cages immergées, grâce à un bras de levage piloté depuis une barge. Quand la mer est formée, l’opération est un chouya compliquée, vous le préssentiez, je pense…
Mais, quand vient l’heure de la récolte, on oublie tout. Et c’est là, qu’au détour, arrive la petite tuerie. A terre, Frédéric Laurens est l’homme qui cuisine. Dans le hangar d’Haliotis, où sont conditionnées les commandes, il installe une plaque chauffante à induction. Pendant que le beurre fond dans la poêle, à l’aide d’un maillet de bois, il tapote fermement les noix d’ormeaux décortiquées, histoire d’assouplir la bête. Puis, quand la texture idéale lui paraît atteinte, il abandonne le gastéropode dans la pétillance du beurre noisette. Quelques instants plus tard, un tour de moulin de sel, de poivre, et la dégustation commence : petite tuerie, grand bonheur !
Il est possible de commander en ligne les ormeaux d’Haliotis : www.francehaliotis.com
La recette
Ormeaux poêlés au beure noisette
Pour 4 à 5 personnes prévoir 1 kg d’ormeaux
Préparation
Décortiquer l’ormeau en insérant la lame du couteau du côté coupant de la coquille. Trancher l’attache du muscle en raclant la coquille.
Puis, tirer délicatement sur l’arrière du pied (le muscle plat qui fait ventouse, comme pour une bernique), le corail restera dans la coquille. Trancher, ensuite, la tête.
Mettre les pieds d’ormeaux dans un sac plastique transparent ou dans un torchon et taper à l’aide d’un maillet pour assouplir le muscle.
Cuisson
Dans une poêle chaude, faire fondre un peu de beurre, il est bon d’utiliser un beurre clarifié, c’est-à-dire un beurre dont vous aurez eu soin de retirer le petit lait, la substance blanche qui mousse à la surface quand le beurre fond, il est ainsi possible de monter en température sans que la matière grasse ne brûle. Ajouter les pieds d’ormeaux, cuire 1 à 2 minutes, l’extérieur se colore, l’intérieur reste quasiment cru, saler, poivrer. Servir avec des pommes de terre nouvelles rôties dans le beurre salé. Il est possible d’ajouter de l’ail et du persil, de la crème fraiche, ou tout autre fantaisie, mais la nudité sied bien à l’ormeau.