Vous donneriez le Bon Dieu sans confession à Nicolas Conraux. Et vous auriez raison… Le jeune chef finistérien, nouvellement étoilé, offre toute sa générosité, son sens du partage, son envie de régaler, dans une cuisine merveilleusement limpide et gourmande. Revue de détails…
Le 24 février, Solène et Nicolas Conraux apprennent la nouvelle : ils viennent d’être honorés d’une première étoile au Guide Michelin. Or, le 24 février est une date qui compte dans l’agenda de la famille Conraux : la grand-mère de Solène, Jeanne-Yvonne Bécam, aurait eu 103 ans ce jour-là.
Dès les années cinquante, Jeann-Yvonne ouvre un café à Plouider, dans le centre du village. Puis, en 1968, elle fait construire un vaste bâtiment sur un promontoire proche du bourg, une colline qui domine la baie de Goulven, avec vue sur la mer. Le nom est tout trouvé : ce sera “La Butte”. Si le restaurant de Solène et Nicolas existe aujourd’hui, c’est grâce à l’incroyable caractère de cette maîtresse femme
Après Jeanne-Yvonne, son fils Hervé prend en main les fourneaux. Il finira d’assoir la réputation gastronomique du lieu. Vient, alors, le tour de Solène.
La jeune femme entend bien perpétuer la tradition familiale. Elle ira donc poursuivre des études hôtelières en Alsace, à Strasbourg. C’est là qu’elle rencontre Nicolas, et si sa famille n’est pas dans le métier, il a lui aussi l’hôtellerie dans le sang : « A l’âge de sept ans, je voulais déjà être directeur d’hôtel. » Ils étaient faits pour se rencontrer…
En mai 1997, ils décident de venir travailler une saison à La Butte. Depuis, ils ne sont jamais repartis, la saison n’en finit pas…
De la salle aux cuisines
En 2007, Hervé Bécam confie les rennes de l’affaire familiale à Solène et Nicolas qui en deviennent propriétaires. Ils feront de gros investissements pour moderniser l’établissement, notamment avec la création d’un espace bien-être, où une piscine intérieure à débordement offre une vue à tomber sur la baie de Goulven, la mer, les vagues… Le rêve.
Nicolas, à l’origine, se destinait aux métiers de la salle, il n’envisageait pas de devenir cuisinier. Pourtant, quand il prend la direction de La Butte, c’est en cuisine qu’il voit sa place, au cœur névralgique de l’établissement. « J’ai d’abord fait tous les postes, pour apprendre, explique-t-il. » La brigade est dirigé par un chef déjà présent du temps d’Hervé Becam. Au bout de quatre années, les circonstances ont amené Nicolas à prendre les commandes : « Au début, je ne m’en sentais pas capable, avoue-t-il. Je n’ai pas un parcours classique, émaillé de grandes maisons. Mais, au fil des jours et des semaines, ma satisfaction a été de voir que l’hôtel et le restaurant continuaient de faire le plein. »
L’originalité de la tradition…
Effectivement, le cursus de Nicolas n’est pas habituel ; quand ses confrères affichent des CV longs comme le bras, où s’échelonnent les noms de grands chefs, comme autant de médailles accrochées sur un uniforme militaire, lui ne connaît que La Butte… aussi est-ce dans le répertoire familial qu’il commence par puiser un style. « Je me dis seulement depuis peu de temps que j’ai un style, s’empresse-t-il de corriger. Je pense plutôt que j’ai un goût pour certaines choses. Des choses simples, c’est certain. J’aime que l’on retrouve deux ou trois saveurs, pas plus. Je veux de la clarté, de la lisibilité. La technique, en cuisine, me paraît créer une distance entre le plaisir et le produit.»
Pas de fioritures, pas de gadgets, tout est à sa place dans une recette de Nicolas Conraux. Alors que l’on voit les assiettes se couvrir de fleurs, d’herbes, de gri-gri épicés en tout genre, à La Butte le produit est l’objet même du dressage, pas de masque, pas de maquillage. Et bizarrement, aujourd’hui, cela devient rare. Pourtant, on ne parlera pas de dépouillement, non la générosité est bien au rendez-vous, on mange vraiment !
Et, là encore, ce n’est pas toujours le cas par les temps “diététiques” qui courent. Nicolas Conraux n’hésite pas un instant à mettre du beurre là où il faut et quand il le faut. Idem pour la crème qui vient nourrir de magnifiques Saint-Jacques dans leur coque, seulement caressées par une vapeur de gingembre, un plat fétiche de la maison. Quand celui-ci arrive sur la table, un mini pichet contient un surplus de cette sauce merveilleusement équilibrée entre l’onctuosité de la crème et l’aiguillon acidulé d’un trait de vinaigre blanc. On se dit que non, que cette sauce restera dans son pichet, que franchement c’est une provocation à l’ordre établi de la tendance “santé/légèreté”, et puis on y vient sans retenue, on verse, on lèche, on pourlèche, on n’en laisse pas une goutte ! Au feu les grimoires de régime, il y a dans les environs toutes les balades possibles pour perdre ces quelques pauvres calories superfétatoires. Sinon, on plongera dans la piscine, une seconde fois après dîner !
Et pourtant, un sens du contemporain...
Ce goût de la simplicité fait mouche. Nicolas aligne les recettes et toutes sont dans le vrai d’une gourmandise accessible, évidente, immédiate. Si l’originalité de cette cuisine est d’emprunter à un registre dans lequel beaucoup de chefs hésitent aujourd’hui à puiser par peur d’être passéistes, elle n’en est pas moins contemporaine. En témoigne cette belle variation sur une “Galette complète revisitée”, les saveurs de cet emblème régional sont là, mais dans l’assiette point de crêpe au blé noir, tout est déstructuré, cependant nul besoin de boussole pour retrouver son chemin, nous sommes bien en Bretagne.
Les ormeaux sont également des moments de bonheur quelles que soient les inspirations de Nicolas, voici l’une d’elles pour notre tuerie du dimanche.
La recette
Ormeaux et cheveux d’ange au jus de volaille
Ingrédients pour six personnes
6 ormeaux
1/2 gousse d’ail
2 échalotes
6 cl de chablis
100 g de beurre fin ½ sel
Sel / poivre
Farine
Persil haché
Cheveux d’ange
50 g de cheveux d’ange
2 échalotes
4 cl jus de volaille
12 cl bouillon de légume
10 gr de beurre
Progression :
Les cheveux d’ange :
Torréfier les cheveux d’ange à la poêle. Ciseler les échalotes, les faire revenir au beurre, ajouter les cheveux d’ange torréfiés et le bouillon de légume petit à petit pour cuire comme un risotto, finir en ajoutant le jus de volaille, laisser réduire.
Les ormeaux
Nettoyer puis vider les ormeaux. Les battre pour les rendre plats. Inciser les ormeaux sur le côté .Les fariner légèrement puis les cuire dans un beurre noisette 2 minutes de chaque côté
Les débarrasser de la casserole puis faire suer les échalotes et l’ail ciselé. Déglacer au vin blanc et monter au beurre. Rajouter les ormeaux puis le persil haché au dernier moment. Vérifier l’assaisonnement
Adresse : La Butte, 10 rue de la Mer, 29260 Plouider – Tél. 02 98 25 40 54
Menus : 25 (midi), 29, 48, 64 et 89 €