Arnaud Montebourg voudrait favoriser l'accession à la propriété de leur logement par les ménages locataires en logement social. Le président de l'ORPI voudrait un dispositif spécial pour permettre aux ménages en CDD qui le souhaitent de devenir propriétaires. Favoriser la propriété immobilière est un classique des politiques publiques en France, concordant avec l'idée généralement partagée des loyers comme dépense en pure perte. Mais ce n'est pas une bonne idée. Le dispositif dont ont le plus besoin les ménages modestes, ou les personnes en CDD, qui souhaitent devenir propriétaires, c'est une chaise confortable pour s'asseoir dessus et attendre que ça leur passe. Faut-il louer ou être propriétaire de son logement? La réponse est "ça dépend". Pour les CDD, les ménages modestes, la réponse est "probablement pas".
Le logement, un actif coûteux
Pourquoi acheter plutôt que louer? Si vous posez la question, la réponse que vous entendrez le plus souvent est "louer, c'est jeter de l'argent par les fenêtres. Emprunter pour acheter, c'est se constituer un patrimoine". C'est vrai, c'est d'ailleurs pour cela que si vous achetez un bien immobilier qui serait loué 500€ par mois, vous paierez une mensualité d'emprunt d'environ le double de ce montant, correspondant au fait que vous achetez un service (le logement) et que vous constituez un patrimoine en même temps. Ce qui veut dire que vous devez vous demander ce qui est le mieux : louer et mettre de l'argent de côté, ou acheter votre résidence principale et constituer un patrimoine? Tout dépend de l'intérêt du patrimoine en question. Quelle est la valeur d'une résidence principale, par rapport à d'autres actifs?
On vous dira que l'immobilier, cela ne fait que monter. C'est inexact: il arrive que cela baisse, également. En moyenne, sur le long terme, la valeur des logements tend à suivre l'inflation. On pourrait dire que ce n'est pas si mal; Le problème est que votre maison, contrairement à un livret A, est un actif physique qui se dégrade, et qui nécessite des dépenses permanentes pour maintenir sa valeur : refaire les peintures, la plomberie, renouveler l'électroménager, etc. On ne pense pas à ces dépenses, que l'on n'associe pas au côté "placement" de son achat, jusqu'au jour ou il faut vendre et que les acheteurs potentiels tordent le nez devant votre moquette usée ou vos peintures défraîchies. Si vous y ajoutez la fiscalité (la taxe foncière) l'immobilier propriétaire est un actif à rentabilité négative.
L'immobilier a un gros avantage, de nature psychologique. La personne qui paie 1000€ de mensualité constitue un capital, comme celle qui paie un loyer de 600€ et met 400€ par mois de côté. Mais même quand vous avez décidé d'épargner, la tentation est grande de faire une exception pendant un mois, histoire de se faire un petit plaisir pendant les vacances ou de faire face à une dépense imprévue. L'argent que vous mettez dans votre maison est pratiquement inaccessible (enfin, en l'état actuel de la législation) même si vous êtes incapable de résister à la tentation; ce qui fait de l'achat immobilier une forme d'épargne forcée. C'est un avantage indéniable, mais il y a d'autres formes d'épargnes bloquées, bien plus rémunératrices et fiscalement plus avantageuses que l'achat immobilier.
Une règle de base en matière patrimoniale est en effet d'être diversifié, ce qui n'est pas le cas si tous votre patrimoine est constitué de votre résidence principale. Par ailleurs la résidence principale est corrélée à d'autres risques: si vous habitez dans une ville en difficultés économiques, vous risquez de voir votre salaire et la valeur de votre patrimoine diminuer en même temps.
La propriété, obstacle à la mobilité
Le capital représenté par une résidence principale présente aussi des inconvénients en cas de changements, positifs ou négatifs, intervenant dans votre vie. Une perte d'emploi, ou au contraire la perspective d'un emploi plus rémunérateur dans une autre région; une séparation, ou une installation en ménage; tout cela peut vous amener à devoir revendre votre bien immobilier à brève échéance.
Et cela peut se faire dans de mauvaises conditions, si vous devez vendre à un moment où le marché est déprimé. Ou tout simplement trop tôt. La vente de biens immobiliers est taxée (droits de mutation, frais de notaire) ce qui fait que si la valeur de revente de votre logement n'a pas augmenté de 8% minimum depuis l'achat (et sans même prendre en compte les coûts liés au maintien en l'état dont on vient de parler), vous serez perdant.
On peut ajouter d'autres problèmes pour la vie courante liés à la propriété immobilière. Comme les centre-ville sont chers, acheter impose souvent de s'éloigner en périphérie. Cela impose des coûts de transports importants: peu de transport en commun, donc obligation d'avoir une voiture, le plus souvent deux, pour la famille, et frais kilométriques importants. Au passage, ce problème de coût d'achat élevé fait que vous risquez, pour "accomplir votre rêve de devenir propriétaire" comme on dit, fait que vous risquez d'acheter un bien de qualité de construction médiocre, ajoutant aux coûts d'entretien de votre bien si vous souhaitez le revendre ensuite.
Il y a de bonnes raisons de penser qu'en limitant la mobilité, la propriété immobilière augmente le chômage ou oblige à avoir un emploi moins rémunérateur; on constate que plus la proportion de propriétaires est élevée, plus le taux de chômage est élevé. Que le crédit immobilier accapare les banques, empêchant les entreprises d'investir.
Que faire alors?
En matière de politique du logement, plutôt que d'encourager à toute force la propriété immobilière à coups de dispositifs fiscaux ruineux, il faudrait favoriser la location pour les ménages en CDD ou en situation difficile; l'assurance obligatoire des loyers a des inconvénients mais a le mérite de traiter le problème. De manière générale on ne manque pas de recommandations (ici, ou là) pour améliorer la situation du logement. Mais il y a une malédiction française des mauvaises politiques du logement. On peut hélas penser que la campagne électorale à venir va maintenir cette tendance.
A titre personnel, si vous vous interrogez sur l'opportunité d'acheter votre résidence principale, réfléchissez bien. Une règle simple consiste à se demander si vous êtes certain que vous serez encore au même endroit, dans les mêmes conditions, dans 10 ans. Si c'est le cas, vous pouvez envisager d'acheter; sinon, vous êtes dans la situation d'un individu qui s'achète une Mercedes de 50 000 euros avec un revenu de 20 000 euros par an. Vous vous faites peut-être plaisir, mais ce n'est pas raisonnable. Si vous avez un CDD, franchement, laissez tomber. Vous n'êtes pas obligé de tomber dans le piège que vous tendent régulièrement ceux qui vous dirigent.
Restez locataire, et mettez de l'argent de côté selon la méthode indiquée ici. Vous vous en porterez bien mieux.