Urgence immobilière
Pour Stéphane Soumier, il y a urgence à réduire les prix de l'immobilier, en particulier en région parisienne. Les prix ont monté considérablement: 6% en moyenne par an en France depuis 1996, 19% de hausse en Ile de France depuis 2008. Dans le même temps, les prix sont restés stables en Allemagne. Cette évolution, et la pénurie de logements qu'elle traduit, a toute une série de conséquences négatives. Les coûts trop élevés de l'immobilier dégradent la compétitivité des entreprises en augmentant leurs coûts; limitent la mobilité des salariés, empêchent d'attirer les employés dans les régions les plus productives; pénalisent les nouveaux accédants, les jeunes, les ménages modestes, et amplifient de ce fait les inégalités; et encouragent le placement dans la pierre au détriment de l'investissement productif.
En somme, s'il y a un domaine dans lequel il y aurait énormément d'avantages à intervenir, c'est l'immobilier. Soumier suggère d'une part de généraliser la garantie des loyers, un sujet qui a déjà été abordé sur ce blog; pour le reste, on ne peut que recommander la lecture de la dernière note du Conseil d'Analyse Economique sur le sujet.
Réforme radicale
Supposez qu'il soit possible de modérer les prix de l'immobilier, dans le même temps, d'économiser 4 milliards d'euros par an dans le budget de l'Etat; d'accroître l'efficacité de l'économie et des entreprises françaises, et d'améliorer l'emploi et la situation économique des ménages modestes et des classes moyennes. Tout cela est possible, à en croire Etienne Wasmer et Alain Trannoy, pour le Conseil d'Analyse Economique, qui proposent 11 mesures pour réformer radicalement le marché immobilier. Ces mesures se regroupent en trois catégories:
- Améliorer la gestion de l'offre foncière, en transférant les plans locaux d'urbanisme et les permis de construire aux intercommunalités pour une logique plus cohérente; en région parisienne, confier l'urbanisme à une entité comprenant Paris et les trois départements limitrophes; couvrir le boulevard périphérique pour atténuer la séparation entre Paris intramuros et l'extérieur (actuellement, le prix du m2 baisse de 3000 euros lorsqu'on franchit le périphérique). Se rapprocher d'une fusion de Paris et de sa proche banlieue, d'un Paris à 30 arrondissements; et augmenter les densités (en autorisant par exemple la construction d'immeubles de plus grande hauteur) là ou c'est possible. En somme, s'inspirer des politiques d'Haussmann, qui ont fait le Paris actuel.
- Cesser totalement de soutenir la demande de logements par des dispositifs fiscaux. Supprimer donc toutes les défiscalisations liées à l'achat immobilier, qui d'après de nombreuses analyses n'ont aucun autre effet que d'augmenter les prix. Ces dispositifs, sans effet positif et qui entretiennent les hausses, coûtent plus de 4 milliards d'euros par an :
- modifier la fiscalité en supprimant les droits de mutations (taxes de plus de 5% supportées lors des reventes de logements) et reporter le manque à gagner pour les finances publiques sur la taxe foncière. Permettre aux collectivités locales de taxer les plus-values latentes lorsque le plan local d'urbanisme change et rend constructibles des terrains qui ne l'étaient pas, élevant ainsi leur valeur. La première mesure encourage les reventes de logements en réduisant les coûts de transaction et en les remplaçant par des coûts de détention; la seconde encourage les communes à libérer du foncier, puisqu'elles en retirent un gain immédiat.
Des obstacles nombreux
Sur le papier, cet ensemble de mesures a de quoi séduire un gouvernement socialiste désireux de faire des économies budgétaires tout en améliorant la situation du marché immobilier. Mais plusieurs raisons, certaines bonnes, d'autres mauvaises, rendent peu probable la mise en oeuvre de ce programme.
- Il y a premièrement la question du calendrier. Au cas ou vous ne l'auriez pas remarqué, la conjoncture économique est très mauvaise. Dans ces conditions, provoquer une forte baisse des prix immobiliers génère un effet de richesse négatif : les ménages propriétaires de logements constatent que la valeur de ceux-ci, donc de leur patrimoine, se réduit. Cette perte de richesse perçue les encourage à épargner et à réduire leur consommation, avec à la clé un effet récessif immédiat. Ce n'est pas vraiment le moment. A cela, Wasmer et Trannoy répondent que l'impact de cet effet de richesse serait probablement réduit; c'est possible, mais pas certain.
- Il y a aussi toute une série de bombes politiques dans ces mesures. Les politiques en France n'aiment rien tant que créer un dispositif immobilier fiscal portant leur nom, et détestent le supprimer. Peut-on sérieusement envisager que le dispositif Duflot, implicitement visé par les auteurs, disparaisse un an après avoir été créé? Si on ajoute les changements dans la détermination des plans d'urbanisme et des permis de construire, on peut s'attendre à une levée de boucliers des élus locaux. Ne parlons pas des changements de réglementation fiscale, qui auraient des effets redistributifs considérables. Quand on voit la difficulté qu'il y a à modifier les barèmes des taxes d'habitation et foncières, il y a de quoi s'inquiéter. Dans le monde rural enfin, la perspective de taxer les plus values latentes lors de la conversion de terrains agricoles en terrains constructibles a largement de quoi énerver les agriculteurs et multiplier les lâchers de cochons dans les préfectures.
Il est donc probable que le gouvernement, après avoir manifesté un intérêt poli pour les travaux de nos chercheurs, oubliera vite leurs recommandations, et préférera combler les finances publiques avec un peu d'austérité supplémentaire, tout en maintenant les dispositifs les plus absurdes qui maintiennent les prix immobiliers à un niveau démentiel. C'est dommage : dans le contexte actuel, c'est de ce genre de mesure structurelle dont on a besoin.