Qu'est-ce que c'est que cette histoire de fiscalité rétroactive sur l'épargne?
C'est une longue histoire. Pendant longtemps, certains produits d'épargne bénéficiant d'avantages fiscaux - plans épargne logement, plans épargne en action, assurance-vie - ont été exonérés de prélèvements sociaux sur les revenus, comme la CSG. Puis ils y ont été assujettis à partir de 1997. Puis cette imposition a augmenté, passant de 3.90% en 1997 à 15.5% en 2012. Or, ce sont des produits d'épargne longue, dans lesquelles les gens doivent bloquer leurs fonds pendant une certaine période. Dans ces conditions, à quel taux faut-il taxer un plan ouvert en 1997 et clôturé en 2007 : au taux à l'ouverture du contrat, en considérant que l'épargnant a bloqué ses fonds sur la base d'une promesse de stabilité fiscale? Ou au taux d'imposition de la clôture, comme on le fait pour les plus-values (si vous revendez aujourd'hui un appartement acheté il y a 25 ans, vous paierez l'impôt sur les plus-values au taux d'aujourd'hui, pas celui d'il y a 25 ans).
Entre ces diverses possibilités, le législateur n'écoutant que son courage avait préféré ne pas choisir, et respecté la tradition nationale en mettant en place une usine à gaz : les gains étaient taxés au taux de l'année durant laquelle ils ont été réalisés. Donc, à la clôture, on distinguait les différents gains réalisés chaque année pour leur imposer les prélèvements sociaux au taux de ladite année. C'est ce qui a été changé dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS pour les intimes) : désormais, tout était taxé à 15.5%. Y compris donc les gains réalisés lorsque le taux était plus bas.
Les salauds. On me ment, on me spolie!
Rassurez-vous, le gouvernement a changé d'avis. La mesure ne concerne plus désormais que certains contrats d'assurance vie, les PEL et PEA sont épargnés. Du moins au moment de rédaction de ce post de blog, les choses changent vite ces temps-ci.Selon une procédure désormais bien établie, le pouvoir annonce d'abord une pause fiscale et se déclare à l'écoute des français, puis les augmente quand même, avant de renoncer à les augmenter, en constatant que cela met vent debout divers lobbys et que la mesure énerve plus de gens que prévu; tout en déclarant être dans un plan mûrement réfléchi, puis annonce une pause fiscale, et se déclare à l'écoute des français. Les économistes appellent cela l'incohérence temporelle des politiques discrétionnaires; dans le langage courant, on utilise un autre vocabulaire.
Une taxe par ci, un renoncement par là... Ils sont nuls ces socialistes!
Ils sont dans une logique solidement établie, qui transcende les clivages partisans. En France, traditionnellement, lorsqu'un camp est dans l'opposition, il fustige la majorité, qui étouffe le peuple sous les impôts nouveaux, impose des coupes sauvages dans des politiques indispensables, et conduit la nation à la ruine en laissant la dette publique grimper en flèche. Lorsque ce même camp est dans la majorité, les augmentations d'impôt deviennent de courageuses mesures de justice sociale. Il est assez piquant de constater que le taux à 15.5% sur les produits d'épargne est qualifié de spoliateur par ceux-là même qui l'ont mis en place - il était dans la loi de finance 2012. La majorité précédente avait même promis à l'Union Européenne qu'elle augmenterait les impôts bien plus que ne le fait la majorité actuelle. On pourrait ajouter l'écotaxe, critiquée aujourd'hui par ceux-là même qui l'on mise en place. Dans le même temps, en pratique, les différences entre les deux camps sont minimes. Lorsqu'on regarde les rapports commandés à droite ou à gauche sur l'épargne et sa fiscalité, les différences sont moins notables que les similitudes. La tendance à faire le contraire de ce que l'on dit aussi.
Mais quand même, ces mesures rétroactives, ces impôts qui augmentent sans arrêt, c'est mauvais pour l'épargne nationale et pour l'investissement!
Pas vraiment. Le taux d'épargne français est toujours parmi les plus élevés en Europe. Et la France est ouverte aux flux de capitaux, qui sont abondants au niveau mondial. La vraie question se situe ailleurs. En France, il n'existe pas de marché des capitaux sur lequel s'échangent des besoins et des capacités de financement, tel que le décrivent les économistes. A la place, il y a un marché politique sur lequel s'échangent des offres et des demandes d'avantages fiscaux. Au lieu de s'indigner contre l'imposition des PEA, PEL et autres assurance-vie, on devrait se demander pourquoi ces dispositifs existent et canalisent (avec les autres livrets défiscalisés) l'essentiel du patrimoine financier national (les actifs non financiers étant essentiellement cette autre vache sacrée, l'immobilier).
La défiscalisation est en pratique une vaste subvention versée aux institutions financières, obligeant les français à passer par elle pour placer leur épargne; le PEA, au nom de "l'épargne longue" est surtout le résultat d'un fantasme corporatiste qui date de la seconde guerre mondiale, transcender les antagonismes sociaux entre salariés et patronat dans le nationalisme et la participation des salariés aux bénéfices des entreprises. Le seul résultat, c'est que les relations sociales françaises sont parmi les plus exécrables des pays développés. L'épargne-logement est une incitation à la propriété immobilière à l'intérêt très discutable. Le français qui veut simplement épargner de manière diversifiée, sans entretenir des intermédiaires financiers à l'utilité douteuse, est condamné à payer plein pot.De la même façon que les mesures d'économies du système de santé reviennent à subventionner en pratique des complémentaires moins efficaces que le régime général.
A vouloir réduire la dette publique, on remplace la pression des marchés sur les finances de l'Etat par celle d'un débat public médiatique de plus en plus caractérisé par l'immédiateté, le radicalisme outrancier des opinions et l'absence de recul. Il n'est pas certain qu'on gagne au change.