Standard & Poor's et l'erreur d'attribution fondamentale

"pathétiques"

Les efforts du Premier ministre pour minimiser la dégradation du AAA de la France sont pathétiques. L’honneur d’un gouvernement est d’assumer ses échecs et d’en tirer les conséquences. (...) Le plus accablant pour les Français est d’entendre le Premier ministre leur dire que tout va continuer comme si de rien n’était. Qu’on va aller encore plus loin, encore plus fort dans cette politique de gribouille qui nous a jetés dans la récession, le surendettement et la dégradation.(...) N’est pas de Gaulle qui veut. Non seulement le pouvoir se fait désormais dicter sa politique dans les agences de notation, mais il n’a plus la crédibilité pour parler d’égal à égal avec l’Allemagne (...) Quand un pouvoir faillit à ce point, quand il est impuissant à rassurer son peuple, ses partenaires et les investisseurs, l’intérêt national est d’en changer maintenant"

Devinette : qui est l'auteur de cette condamnation sans équivoque de la politique du gouvernement, suite à la dégradation par Standard & Poor's de la note de la dette publique française? Ce n'est autre que Jean-Marc Ayrault. Le contexte était un peu différent; c'était en janvier 2012, et le premier ministre de l'époque était François Fillon. Il est de manière générale assez amusant de comparer les commentaires consécutifs à la dégradation de vendredi dernier et ceux de janvier 2012. Les mots employés sont les mêmes, ceux qui les emploient sont à rôle renversé.

On pourrait voir là une énième expression de la duplicité des politiques, d'une capacité jamais démentie à tenir des propos incohérents au gré des circonstances. Mais est-ce vraiment le cas?

L'erreur d'attribution fondamentale

Vous êtes en train de rouler, quand soudain, un conducteur vous double de manière dangereuse, vous faisant une queue de poisson. Votre opinion est instantanément faite sur cet individu : c'est un chauffard, incapable de conduire correctement. Un peu plus loin, vous doublez dangereusement un autre automobiliste. Votre analyse sera très différente. "dans les circonstances, je n'avais pas le choix" allez-vous certainement penser. Vous deviez prendre la sortie suivante. L'automobiliste qui vous précédait arrivait à toute vitesse, vous obligeant à vous rabattre précipitamment. En somme, face aux erreurs des autres, vous blâmez leur nature; face aux vôtres, le contexte vous semble un facteur bien plus important.

Les psychologues appellent "erreur d'attribution fondamentale" le fait de surévaluer le rôle du caractère, et de sous-évaluer le poids des circonstances, pour expliquer le comportement d'une personne. On l'appelle parfois "effet Julien Lepers" suite à l'une des expériences qui permet de le mettre en évidence, qui consiste à montrer à un public des gens jouer à un jeu type "question pour un champion" pour demander ensuite "qui est le plus cultivé, de l'interrogateur ou des candidats". La majorité du public répond "l'interrogateur" oubliant que ce sont les circonstances du jeu (et des petites fiches) qui font que ce dernier connaît plus de réponses que les candidats.

Fascination de la note

C'est sans doute la conséquence d'un système éducatif qui accorde trop de crédit aux notes et aux humiliations qu'elles entraînent; on aime beaucoup dans notre pays commenter les notes et les classements qui nous sont donnés. On oublie que les compétences des agences de notation pour évaluer les dettes publiques sont médiocres, que les notes sont largement gouvernées par l'idéologie, l'air du temps et le désir de publicité des agences; que de toute façon ces notes n'ont aucune conséquence.

Mais on commet surtout l'erreur d'attribution fondamentale. Les performances de l'économie française sont déterminées par les circonstances, le contexte, bien plus que par la compétence de ses dirigeants politiques, quels qu'ils soient (heureusement sans doute). Nous avons tendance à surestimer le poids des politiques suivies, alors que leur influence est en pratique impossible à distinguer. C'est parce que l'erreur d'attribution fondamentale est si partagée que les politiques peuvent tenir des propos opposés selon qu'ils sont au pouvoir ou dans l'opposition. Les partisans de l'actuel gouvernement sont probablement intimement persuadés que le récent abaissement de note est dû aux circonstances, les opposants sincèrement persuadés que le gouvernement en est responsable. Les mêmes avaient probablement l'avis exactement opposé en janvier 2012.

Pour expliquer les revirements de sa carrière politique, Edgar Faure rappelait que "ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent". D'un certain point de vue, c'est de la sagesse que de savoir suivre les circonstances plutôt que de prétendre avoir de l'influence sur elles.