L'assurance obligatoire des loyers est-elle une bonne idée?

Si l'on en croit le Journal du dimanche du 27 janvier, le ministère du logement envisagerait la mise en place, selon un dispositif à définir, d'une assurance obligatoire contre les loyers impayés. L'idée serait d'inciter les propriétaires effrayés par les impayés à mettre les logements inoccupés sur le marché en les protégeant contre ce risque.

Il y a néanmoins un problème dans ce raisonnement : de telles assurances existent déjà mais n'ont que peu de succès : à peine 15% des bailleurs y souscrivent. Si vraiment les impayés étaient le facteur qui dissuade les propriétaires de louer, pourquoi ces assurances ne sont-elles pas plus répandues? Il peut y avoir une explication, qui touche aux spécificités du marché de l'assurance, bien étudiées par les économistes.

Le paradoxe de l'assurance

Il y a un paradoxe de l'assurance : il est possible de s'assurer contre des risques triviaux, aux conséquences très limitées (casser l'écran de son téléphone portable); par contre, il est pratiquement impossible de s'assurer correctement contre les risques importants de l'existence (divorce, perte d'emploi, accident grave). Cela s'explique par les asymétries d'information entre assureur et assuré.

Lorsque des gens se marient, ils estiment que leur probabilité de divorcer est très faible (qui se marierait en pensant qu'il a une chance sur deux de divorcer?). Donc le prix que leur proposerait un assureur leur semblerait bien trop élevé par rapport à leur perception du risque. Par contre, lorsqu'un couple marié a des problèmes, et se dit que les chances de divorce deviennent importantes, l'assurance peut leur sembler attrayante : mais c'est alors l'assureur qui refusera de les protéger, considérant (à juste titre) que des gens qui veulent prendre une assurance divorce sont les mêmes que ceux qui rendent visite aux conseillers matrimoniaux : des gens à fort risque de divorce. L'assureur sera donc amené à augmenter les primes; mais si le prix augmente, seuls les gens ayant un risque très élevé de divorce prendront une assurance, ce qui fera encore augmenter les primes, etc: au bout du compte, il n'existe aucune prime pour une assurance-divorce qui puisse satisfaire un acheteur et un vendeur et cette assurance n'existe pas.

L'intérêt de l'assurance obligatoire

Il est fort possible que ce genre de phénomène explique pourquoi l'assurance des loyers a tant de mal à se développer naturellement. Les impayés sont très rares et sont causés pour l'essentiel par ces accidents de la vie pour lesquels on ne peut que difficilement s'assurer : 80% des impayés sont dûs à des baisses de ressources consécutives à un divorce, une perte d'emploi, un accident grave etc.

Un propriétaire qui prend un locataire "à risque" et qui cherche à se protéger contre ce risque va se voir proposer une prime d'assurance prohibitive, qui réduira tellement son revenu locatif que le jeu n'en vaudra pas la chandelle. Au bout du compte, les gens qui bénéficieraient vraiment d'une assurance des loyers (revenus fluctuants, personnes en difficulté temporaire) sont précisément ceux qui ne peuvent pas être assurés. Les assurances de loyers ne sont proposées qu'à des conditions drastiques : locataire en CDI et disposant d'un revenu suffisant pour payer son loyer, franchises élevées, coût important par rapport au risque réel. L'assurance protège ceux qui n'en ont pas besoin et n'a aucun effet pour ceux qui en ont réellement besoin.

Face à ce problème appelé sélection adverse par les économistes, l'assurance universelle et obligatoire peut constituer une solution. Si tous les loyers sont assurés, les bons payeurs comme les mauvais payeurs, le risque est réellement mutualisé. Les compagnies d'assurances peuvent proposer des tarifs assis sur le risque global d'impayé, puisque toute la population est assurée; il n'y a plus de prime différente par type de risque, et il devient intéressant pour un propriétaire, obligé de toute façon de s'assurer, de louer son logement à des locataires auxquels il aurait renoncé sans cela.

Le problème de l'aléa moral

On peut imaginer que ce raisonnement est à la base de la réflexion du ministère du logement sur l'assurance obligatoire. Mais une telle assurance ferait apparaître l'autre problème de l'assurance : celui de l'aléa moral.

On appelle aléa moral (le terme est assez inadapté, laissant croire qu'il y a là une affaire de morale...) le fait que des gens changent de comportement et accroissent leur niveau de risque lorsqu'ils sont assurés. Si un commerçant est assuré contre le vol de marchandises, il fera moins attention à verrouiller son entrepôt; S'il ne parvient pas à vendre ses produits, il sera ravi qu'un incendie se déclare dans son magasin, conduisant son assureur à racheter son stock et à payer les travaux de rénovation.

Dans le cas de l'assurance des loyers, cela ferait que l'assurance obligatoire conduirait à une augmentation vertigineuse des impayés. En tant que propriétaire d'un grand appartement, j'ai intérêt à le louer à des gens n'ayant pas de ressources suffisantes pour payer le loyer : l'assurance paiera en cas de problème. En tant que locataire, 6 mois avant de quitter les lieux, j'ai intérêt à cesser de payer mon loyer : il se repaiera grâce à son assurance. On se retrouverait donc avec une forte hausse des risques, donc des primes d'assurance, à cause de la mise en place de cette assurance obligatoire augmentant le nombre d'impayés.

Qui paie l'assurance?

Ce problème se conjugue avec une autre question: qui paiera l'assurance? Ce n'est pas parce qu'on oblige les propriétaires à prendre l'assurance (ou qu'on leur impose une taxe pour ne pas s'assurer) que ce coût sera supporté par eux. Ils chercheront à le répercuter sur les loyers. Et dans la situation de pénurie de logements actuelle, ils n'auront pas grande difficulté à le faire. La hausse des loyers qui en résulterait pénaliserait les locataires en difficulté financière - précisément ceux qui sont visés par le dispositif!

Aucun de ces problèmes n'est insoluble, mais la solution a à chaque fois la même conséquence : complexifier le dispositif, à l'encontre de l'objectif initial. Pour éviter qu'un propriétaire ne loue son logement à quelqu'un qui ne peut pas se l'offrir, et se paie sur l'assurance, il faudra imposer des conditions de ressources qui rendront les logements moins accessibles pour les personnes à faibles revenu, alors que ce sont eux que l'on cherche à aider. Pour éviter que propriétaires et locataires ne résolvent leurs litiges sur le dos des assurances, on devra définir les conditions dans lesquelles celles-ci se déclenchent, réduisant la protection au passage.

Le résultat final risque donc d'être le suivant : un dispositif coûteux et complexe, bardé d'exceptions, qui ne favorisera pas particulièrement les gens qui pourraient en avoir besoin; et un renchérissement des loyers, ou un coût supplémentaire pour les propriétaires qui, en réduisant le rendement des placements locatifs, les dissuadera encore un peu plus de louer.

Solutions alternatives

C'est malheureusement fréquent en matière de politique du logement : les solutions publiques aux incendies reviennent le plus souvent à rajouter quelques bûches dans le foyer. De multiples exemples étrangers montrent pourtant qu'il y a des solutions assez simples aux problèmes de logement. Comme l'indiquait l'économiste Etienne Wasmer il y a déjà quelques années, l'exemple du Québec montre que la solution au problème repose sur une simplification de la réglementation. A plus long terme, la solution réside dans l'accroissement conséquent du nombre de logements aux endroits où ceux-ci sont nécessaires.

Mais en France la question du logement, depuis l'abbé Pierre dans les années 50, a toujours été traitée de la même façon, et avec la même absence de résultat. L'assurance obligatoire n'est que le nouvel avatar de cette tendance à privilégier le volontarisme inefficace au détriment de ce qui fonctionne.