Lorsqu'il s'agit de logement, les économistes du Conseil d'Analyse Economique sont facétieux, et n'aiment rien tant que lancer des pavés dans la mare. Une note du mois de mars préconisait la suppression pure et simple des dispositifs de défiscalisation de l'immobilier, qui ne servent qu'à faire monter les prix; en septembre, trois économistes probablement suicidaires proposaient de taxer les propriétaires de logement pour des loyers fictifs; Et hier, le conseil publie une note, par Etienne Wasmer et Alain Trannoy, qui émet de considérables doutes sur le contrôle des loyers, mesure phare du projet de loi ALUR en cours de vote au parlement.
Cela a suscité manifestement un vif énervement au ministère du logement. Un conseiller de la ministre a même qualifié ce rapport de "tentative de déstabilisation par des économistes libéraux, farfelu et sans données sérieuses". La colère l'a probablement empêché de lire le rapport lui-même, qui comporte 90 propositions et qui est surtout accompagné de 90 pages de notes et de références à son appui. Le roi n'aime jamais qu'on lui rappelle qu'il est nu.
L'analyse économique et le contrôle des loyers
Il y a des domaines ou objectivement, les économistes ne sont pas bons (prévoir l'avenir, par exemple). Mais il y en a d'autres dans lesquels ils disposent d'analyses nombreuses, étayées par énormément d'expériences concrètes, et sur lesquels ils ont un consensus raisonnable. La question du contrôle des loyers fait partie de ceux-ci. Les conclusions des économistes sur le sujet ne sont pas la lubie d'une petite clique de sectaires, bien au contraire.
Loin d'avantager les locataires, l'encadrement des loyers a le plus souvent pour effet de créer des pénuries de logement, de dégrader le parc de logements existants, réduire la mobilité des personnes et augmenter le chômage. Comme tout constat général économique, il y a des exceptions. En particulier, si le marché du logement est peu concurrentiel, marqué par de fortes pénuries, qu'on y rencontre des problèmes d'information, un encadrement des loyers peut effectivement aboutir à une meilleure situation que de laisser les propriétaires profiter d'une position préférentielle pour élever considérablement ceux-ci.
Mais cette efficacité du contrôle des loyers dépend d'une condition très forte : la capacité des pouvoirs publics à identifier ce que serait un niveau "correct" du loyer. Ce n'est pas impossible, rappellent Wasmer et Trannoy, mais très difficile. Le système allemand, souvent cité en exemple dans ce domaine, y parvient; mais le marché immobilier allemand est très spécifique, avec une surabondance de logements par rapports aux locataires potentiels, un contexte très différent du cas français (voir page 32). Mais en appliquant des modalités très différentes de la loi ALUR, qui se réfère à un loyer médian local, à la pertinence douteuse. En pratique, cet instrument en l'état risque donc de multiplier les effets pervers, sans les effets positifs attendus. L'inefficacité du dispositif d'ailleurs commence à se voir.
Propositions alternatives
Les auteurs d'ailleurs ne proposent pas de supprimer le contrôle des loyers, mais simplement de mener une expérimentation pour en mesurer sérieusement les effets avant de le généraliser. Mais c'est oublier une règle de base de la pensée à la française : l'expérimentation, c'est l'antichambre de l'enterrement. Il fut un temps où dans l'armée française, on enseignait aux jeunes recrues que "réfléchir, c'est désobéir". C'est manifestement devenu le credo des politiques aux abois.
C'est bien dommage, parce que les propositions de la note permettraient de sauver une politique du logement bien mal en point. Elles vont dans trois directions : la réglementation des relations entre locataire et bailleur, avec la constitution de régies du logement, chargées de gérer les litiges et faisant de l'Etat le garant de dernier ressort des loyers - un mécanisme à la fois plus simple et plus efficace que l'assurance obligatoire des loyers. L'Etat dispose en effet de moyens de recouvrement efficaces que ne détiennent pas de simples bailleurs.
Ils proposent aussi de modifier les règles d'attribution des HLM en mettant en place un système de points fondés sur les objectifs des politiques du logement; diversité sociale, éviter les constitutions de ghettos, éviter que les gens ne soient coincés dans une région sans emplois par leur logement. Ils recommandent aussi d'intégrer le système des aides au logement dans l'impôt sur le revenu, en rendant les loyers partiellement déductibles du revenu imposable et en versant un "impôt négatif" aux ménages les plus modestes.
Programme complet
Il est intéressant de constater qu'en mettant bout à bout les différentes notes du conseil d'analyse économique sur le logement, c'est toute une politique clairement orientée vers les objectifs affichés du gouvernement qui est proposée. Faire des économies budgétaires, faciliter l'accès au logement, en particulier pour les plus modestes, taxer la rente plutôt que le capital productif. Le conseil d'analyse économique est là dans son rôle : présenter, sur la base d'objectifs prédéfinis, ce que l'analyse et les connaissances économiques préconisent.
Les réactions épidermiques que cela suscite doivent rappeler une chose : l'objet de la politique n'est pas tant la vérité que le pouvoir. Et il est très difficile de faire admettre la vérité à des politiques dont le pouvoir dépend de ce que celle-ci n'existe pas.