Donald Trump, le candidat républicain qui caracole en tête des sondages depuis plusieurs mois, a appelé à l'instauration d'un moratoire sur l'immigration musulmane, quelques jours après les attaques de San Bernardino, perpétrée par des Musulmans radicalisés.
La Maison blanche a condamné la proposition, qui selon son porte-parole Josh Earnest "disqualifie" Donald Trump dans la course à la présidentielle 2016. "Le genre de politique - si tant est qu'on puisse l'appeler ainsi - que défend M. Trump est absolument contradictoire avec les values qui sont inscrites dans notre constitution", a déclaré le porte-parole face à des journalistes.
S'il devient président, Donald Trump pourra-t-il interdire aux musulmans d'entrer aux Etats-Unis ? La constitution américaine prohibe-t-elle une telle mesure, comme l'affirme la Maison blanche ? Les juristes interrogés par les médias américains sont divisés. Voici quelques unes de leurs conclusions :
Bannir les Américains musulmans va à l'encontre de la constitution
Dans un communiqué ce lundi, Donald Trump appelait à "arrêt total et complet de l’entrée des musulmans aux Etats-Unis". Or la constitution américaine garantit le droit à la liberté de religion et l'égalité de traitement devant la loi aux citoyens américains. Une mesure qui empêcherait les Américains de religion musulmane d'entrer sur le territoire serait donc inconstitutionnelle.
Au lendemain de la présentation de sa proposition, Donald Trump a précisé à l'antenne d'ABC News que la mesure ne s'appliquerait pas aux citoyens américains. "Si une personne est musulmane, qu'elle va à l'étranger et revient, elle peut revenir. Ils sont des citoyens, c'est différent", a-t-il déclaré.
Sa proposition concernerait donc tous les musulmans qui ne sont pas citoyens : touristes, hommes d'affaires, étudiants ou encore immigrés et réfugiés.
Si ces derniers ne sont pas protégés par la constitution américaine, certains principes constitutionnels s'appliquent néanmoins. CNN évoque l'exemple des prisonniers de Guantanamo, qui sont protégés par une clause de la constitution., Selon une décision rendue par la Cour suprême en 2008, les détenus jouissent du droit de saisir la justice pour s'assurer qu'ils sont détenus illégalement, en vertu de la constitution.
Le gouvernement a de larges pouvoirs lorsqu'il accorde un visa
Lorsque les services de l'immigration américaine refusent d'accorder un visa, ils n'ont aucune obligation de justifier leur refus. "Les Etats-Unis pourraient donc rejeter les demandes de visa des musulmans pendant un moment, sans mot dire", écrit Vox. "Mais l'annoncer en avance [comme l'a fait Trump] serait probablement imprudent, et la politique pourrait être contestée en justice".
Par ailleurs, la justice a donné au pouvoir politique "l'équivalent judiciaire d'un chèque en blanc pour réguler l'immigration", , indique le professeur de droit de l'immigration et de droit constitutionnel Peter Spiro dans une tribune du NYT,
Le Congrès a lui aussi accordé un large pouvoir au président en ce qui concerne l'interdiction d'entrée sur le territoire à certains immigrants, a estimé Spiro, également interrogé par le Wall Street Journal. Mais si le Congrès n'était pas d'accord avec la proposition de Trump, il "pourrait toujours [la] bloquer en changeant la loi et en retirant ce pouvoir d'exclusion délégué au président", écrit le journaliste du WSJ.
Malgré ce large pouvoir, il existe d'autres limites auxquelles serait confronté Trump-président.
Les précédents de l'histoire américaine invoqués par Trump ont été désavoués
Le magnat de l'immobilier a justifié sa proposition en citant une mesure prise par le président Roosevelt pendant la Seconde guerre mondiale, et qui qualifiait les ressortissants japonais vivant sur le sol américain d' "étrangers ennemis". Trump a également fait référence à la possibilité d'interner des citoyens japonais dans les années 1940, approuvée par Roosevelt.
Techniquement, la jurisprudence qui avait avalisé l'internement des Japonais-Américains en 1944 est toujours valable, explique Peter Spiro. Mais elle a largement été condamnée par la classe politique américaine. En 1988, sous la présidence Reagan, le Congrès s'était publiquement excusé et avait offert des réparations aux victimes des camps d'internement.
D'ailleurs, la situation était bien différente, relève CNN : le Japon était une nation en guerre avec les Etats-Unis. Aujourd'hui, l'Amérique est en guerre contre les groupes terroristes comme l'Etat islamique, pas contre les musulmans.
Le droit international prohibe les discriminations religieuses
CBS News cite Khaled Abou El Fadl, un professeur de droits de l'hommes à l'Université de Californie, qui souligne que les Etats-Unis sont engagés au sein de traités ou d'organisations internationales qui interdisent la discrimination religieuse, par exemple à l'ONU.
En résumé : la justice, tout comme le Congrès, aurait le moyen d'empêcher la proposition de Trump d'être appliquée. Or des nombreux hommes politiques, démocrates comme républicains, ont publiquement condamné les propos du milliardaire.
Au fait... comment déterminer qu'une personne est musulmane ?
Donald Trump ne précise pas comment il sera possible, autrement que par auto-identification de la personne, de déterminer quelle est sa religion, souligne CNN.
Même si son moratoire sur l'immigration musulmane était légal, il se heurterait de fait à une difficulté pratique : comment élaborer un test permettant de déterminer la foi des migrants ?