En Méditerranée, la ruée vers l'or rouge bat son plein. Face aux voraces bateaux de pêche maltais et espagnols, une poignée d'hommes veut donner vie à la première « route du thon rouge made in Italy » passant par la Sardaigne, la Sicile et la Campanie pour ramener le juteux poisson sur les tables italiennes - pour l'heure, 90 % s'en va au Japon, dont l'énorme appétit pour les sushis se satisfait peu de la lente disparition de l'animal dans le Pacifique.
La saison de la pêche, qui s'étend de fin avril à juillet, a ainsi rouvert en Italie, pour le plus grand bonheur des pêcheurs qui en tirent 100 millions d'euros par an. Sur la petite île de San Pietro qui borde la Sardaigne, la tradition l'emporte : on pêche les bestiaux de 300 kilos et 2 à 3 mètres de long en bateau à rames et sans GPS depuis 1738.
Le retour de thons rouges de 3 mètres de long
Et ce jour-là, un beau dimanche de mai, la pêche est extraordinaire. "Du jamais-vu depuis 10 ans ! s'étonne Luigi Biggio, le Rais (chef) de la tonnara de Carloforte. Et ils sont énormes ! Nous n'avions jamais vu de thons aussi grands !". La mise en place des quotas pourrait bien expliquer ce retour prolifique de l'animal, dont on vante ici la méthode de pêche écologique. "Nous ne pêchons que 8 à 10 % du banc de thon qui passe. Jamais plus que ce dont nous avons besoin" détaille Pier Paolo Greco, le porte-parole de la tonnara.
L'antique technique sarde impressionne : la "mattanza", comme on l'appelle, vise à piéger les gigantesques thons dans une petite chambre où ils se débattent. Aucun coup n'est porté mais le torrent de vagues en impose. Le butin sera ensuite précieusement vidé, réfrigéré et, quand il n'est pas mis en conserve ou envoyé au Japon, vendu dans les restaurants et marchés locaux.
Chaque année en mai, un défi entre chef cuisiniers propose même de rivaliser d'inventivité pour cuisiner le thon rouge. Covid oblige, le cru 2021 est repoussé, mais Luigi Pomata, chef du restaurant Da Nicolo à Carloforte, nous ouvre ses portes pour dévoiler les secrets de préparation du précieux poisson. "La ventrèche, c'est la partie la plus noble et la plus grasse, raconte-t-il. Nous, on appelle ça le Kobé du thon. Et dans ce poisson, tout se mange !" - nous l'avons vérifié plus tard en découvrant la laitance, boutargue du thon mâle (on vous laisse chercher sur internet). Le secret ? "Il faut à peine cuire le thon. Plus vous le cuisez, plus vous le détruisez". Quant au goût, proche de celui d'un ris-de-veau très fondant, il devrait bientôt vous mettre l'eau à la bouche. Reportage d'Alban Mikoczy, Manuel Chiarello, Anne Donadini et Valérie Parent.
Anne Donadini