Les années passent et Roméo et Juliette continuent de faire couler de l’encre. « Chère Juliette, Liebe Julia, Dear Juliet, Дорогая Julieta »… Il y a tout de l’amour et du hasard dans le jeu auquel se prêtent les secrétaires de Juliette, réunies autour d’une table, quelque part dans le lacis de ruelles de Vérone. Lorsque ces bénévoles décachettent les milliers d’enveloppes qu’on leur envoie chaque année des quatre coins du globe, c’est la surprise. Toutes sont adressées à « Juliette, Vérone », l’héroïne de roman imaginée par Shakespeare, mais les lettres d’amour varient, de la déclaration passionnée aux demandes de conseils les plus intimes. La plupart des auteurs sont des filles ; certaines écrivent tout de même à Roméo.
« C’est fabuleux de découvrir les sentiments des gens du monde entier, la vision de l’amour de chaque culture » sourit Marinella, qui répond aux expéditeurs depuis près de 30 ans. Au Club des Juliette, on répond patiemment à chacun dans toutes les langues – en russe, en français, en japonais… C’est dans les années 1930 que démarre ce courrier du cœur, lorsque le gardien du tombeau de Juliette répond aux premières lettres de soupirants déposées là.
« Roméo et Juliette », côté cour
Désormais, qu’elles soient adressées au club ou à « Juliette, Italie », les missives amoureuses sont déposées par le facteur dans une boite aux lettres accrochée sous le balcon de Juliette. Ce décor iconique des amants de Shakespeare attire les curieux en masse ; les touristes fourmillent déjà dans la cour, ce jour de février embrumé par une pluie fine où nous nous y rendons.
Le gérant du musée nous confiera plus tard la supercherie anachronique que dissimule le lieu : le roman date de 1597, le balcon est rajouté dans les années 1930. Il est en revanche bel et bien construit sur la maison du 13ème siècle de feu la famille Del Cappello, devenu « Capulet » sous la plume de Shakespeare, historiquement opposée à la famille véronaise des Montecchi – devenus les « Montaigu ».
L’adresse précise où envoyer ses émois amoureux : Club di Giulietta, via Galilée, 37133 Vérone, Italie.
L’adresse qui suffira : Juliette, Vérone, Italie
L’info en + : Les Montaigu et les Capulet ont été deux familles aristocratiques importantes de Vérone, et Dante les a mentionnées... avant William Shakespeare ! Dans sa Divine Comédie (Purgatorio, Canto VI) publiée au 14ème siècle, il évoque la rivalité entre les deux maisons, dans le cadre du conflit entre guelfes et gibelins (deux factions médiévales ennemies). Mais Dante n'associe aucune histoire d'amour à cette rivalité...
Anne Donadini