Tristes tropiques en Méditerranée

En surface, rien ne laisse deviner l'invasion...et pourtant la Grande Bleue voit rouge. Victime du réchauffement climatique, elle perd lentement les espèces marines qui la composent, au fur et à mesure que sa température monte. Cet été, la Méditerranée affichait 26 à 28 degrés, une chaleur suffisante pour causer l'extinction progressive des hippocampes, du grand requin blanc ou encore de la superbe grande Nacre (Pinna nobilis) qui jonchait de ses coquilles – désormais vides – les fonds italiens ou grecs.

À la place de la faune autochtone, d'autres espèces s'installent. On les dit "lessepsiennes" - comprendre "tropicales". Le réchauffement des eaux n'est pas le seul en cause ! Transfuges de la mer Rouge, depuis l'ouverture du Canal de Suez en 1869, plus de 400 espèces marines, dont 165 espèces de poissons, ont transité vers la Méditerranée. D'autres sont transportées par les navires, souvent en grande quantité ; un seul litre d'eau de ballast peut contenir 800 millions de bactéries ou encore 50 spécimens de zoo-plancton. Or, les ports français, dont Marseille-Fos en première ligne, accueillent chaque année 22 millions de m³ d'eaux de ballast... De quoi ouvrir les vannes à de nombreux poissons exotiques !

Leurs noms sont intrigants : poisson-pierre, crabe bleu américain, poisson-lapin, poisson-trompette, barracuda, raie venimeuse... Pourtant, certains spécimens comme le poisson-ballon, cousin du mortel fugu du Japon, ou la rascasse volante (en tête de cet article) sont toxiques ou dangereux pour l’homme. Et tous bouleversent l'écosystème.

L'info en + : Tandis que certaines espèces tropicales dévorent les forêts d’algues ou les poissons méditerranéens (comme le poisson-lapin avec la Saupe de nos côtes), les hommes tentent de s'accoutumer à d'autres poissons exotiques dont l'invasion est irréversible. Une fois morte, la rascasse volante (ou poisson-lion, en tête d'article) est ainsi transformée en objets et en bijoux grâce à ses épines insolites. Des chefs apprennent également à la cuisiner... en évitant ces mêmes épines venimeuses !

Anne Donadini