Désolée, je ne suis pas une féministe "glamour"

Chère Céline Perruche,
 
17021418_1790718927915723_5326277100736622037_nJe viens de lire ton édito dans Glamour (on me l'a envoyé, rassure-toi, je n'achète pas ton journal).

 

Tu vas sans doute me trouver trop brune, pas assez Badinter-Veil-Giroud, trop pleine de dents, trop en rage, trop misandre, trop castratrice, trop violente, trop impolie (pardon de te "mettre mal à l'aise" quand je dénonce le sexisme, c'est vrai, quoi, ça gâche l'ambiance une pétasse qui refuse les mains aux fesses et dénonce les insultes misogynes), trop blogueuse (tu as écrit "en mal de sujet", tu aurais pu ajouter "en mal de buzz" pour aller au bout du mépris), trop frustrée, trop "petite semaine", trop "agressive", trop dominatrice, trop revancharde, trop poilue, pas assez "trentenaire, souriante, douce et déterminée" pour qu'on "aime lui ressembler"...

 

Avec ce billet, je vais t'offrir ton petit "CQFD" (ce sera mon cadeau de 8 mars) : je suis (presque) bel et bien tout ce que tu décris en creux des féministes que tu peux pas blairer.

 

Celles qui critiquent Badinter, crime de lèse-majesté j'en conviens.

 

Celles qui pensent que la doctrine Veil en matière d'IVG est largement dépassée et qu'en 2017, il serait temps qu'on arrête d'associer avortement avec détresse et culpabilité.

 

Celles qui délibérément, parfois, oui, jettent un froid ou foutent la merde dans une assemblée parce que y en a ras la fouf' de supporter des blabateries sur "Mars & Vénus" toussa toussa, des délires sur la complémentarité femmes/hommes, des conneries sur les "femmes de pouvoir pires que les mecs", des avis aussi tranchés que peu documentés sur le ridicule de la féminisation des noms de métier, des requalifications d'agressions sexuelles en "drague potache" et j'en passe.

 

Happy businesswoman at office working on laptop computerPour aggraver mon cas, je suis de la "pire" engeance : les blogueuses. Je suis un peu experte de l'égalité professionnelle aussi, mais tu as bien raison de me rappeler au fait que si Internet n'existait pas, je n'existerais pas beaucoup non plus dans les médias. D'ailleurs, quand on veut me rabaisser, moi qui dirige une entreprise (que j'ai créée), écrit des livres, participe à des mouvements et actions féministes, bâtit et conduit des politiques d'égalité et des programmes d'innovation sociale, donne des conférences sur l'invisibilisation des femmes dans le récit de l'histoire des sciences et progrès (entre autres sujets) on me donne le simple et réducteur titre de blogueuse. Sous la plume d'une vraie journaliste qui noircit du vrai papier, c'est un peu à l'écrivain.e publié.e chez Gallimard ce qu'est le/la scribouillard.e auto-édité.e, un.e moins-que-rien qui achève de s'humilier en s'aveuglant sur son absence totale de talent et en cavalant coûte que coûte après la reconnaissance.

 

C5vVRezXQAAYqJGEn revanche, je ne suis pas en "mal de sujets", parce que malheureusement l'actualité me donne tous les jours des raisons d'écrire ici, sur mon petit blog de rien du tout. Tiens, juste pour ces derniers jours, les propos d'un député européen sur la moindre intelligence des femmes qui justifie selon lui leur moindre rémunération, l'édito abscons — et dans abscons, y a "abs" — d'un de tes confrères sur la parité, la mise sous le tapis de faits d'agressions sexuelles par les dirigeant.es d'Uber, les horreurs écrites dans le dossier "jusqu'où peut-on être féministe?" de tes camarades de Phosphore, les chiffres désespérants du financement des start-ups fondées par des femmes... Je continue (j'ai de quoi), ou t'as compris ? Je suis en mal de temps, cependant, mais je ne sais pas si la question de l'agenda au cordeau des femmes t'intéresse, au-delà du temps qu'elles peuvent dégager pour lire ton canard et "shoper" les it-machins-chouettes que vendent à prix d'or tes annonceurs. Non, parce qu'en fait, je ne sais pas si tu es au courant, mais parmi les nombreuses inégalités entre femmes et hommes, il y a le fait qu'elles ont 18% de temps de loisir en moins (INSEE, 2010), ce qui a peut-être quelque chose à voir avec le fait qu'elles se cognent encore 70% du temps de travail domestique. Mais je ne voudrais pas, en disant cela, passer pour une féministe "des plumeaux" comme ta collègue Elisabeth Levy nomme si aimablement les personnes qui rappellent que la vaisselle, le linge et la gastro-entérite de la progéniture ne relèvent pas de compétences féminines innées. Je sais, c'est pas "glamour" de parler torchons, lessive et vomi d'enfant. 

 

Désolée, Céline, je n'ai jamais été très "douce" et il se trouve que je fais moins l'effort de le cacher depuis que je n'ai plus 30 ans (merde, je ne suis plus "trentenaire", qui va vouloir me "ressembler" à présent que je suis une vieille peau?). Pour moi, ne plus m'obliger à jouer la tendre melliflue alors que je ne suis pas bien faite pour, c'est une bonne nouvelle, je suis un peu plus moi-même, un peu mieux dans mes baskets et je me sens mieux acceptée par celles et ceux qui sont et restent à mes côtés, avec bienveillance et amour, même si je suis un peu peau de vache sur les bords.

 

Redneck Woman With Hairy ArmpitOui, Céline, il m'arrive d'avoir du poil aux jambes et sous les bras, parce que parfois, c'est plus urgent et plus important pour moi d'écrire, lire, rire, faire la fête, dormir,  que d'aller chez l'esthéticien.ne et j'ai envie de croire que pour les personnes qui m'entourent et y compris avec qui je couche, c'est plus important que j'aie l'esprit vif que la gambette soyeuse.

 

Oui, Céline, tu as raison, je ne suis pas toujours souriante. Tu as vu l'excellente vidéo sur l'injonction au sourire faite aux femmes qu'a réalisée Jen McCartney? Tu devrais. Tiens, je te la remets là, cadeau bonus, pour ton 8 mars.

 

Oui, Céline, je suis une vilaine féministe. Je ne rentre pas dans tes cases. C'est peut-être moi qui suis trop grosse et pas assez gracieuse pour m'y glisser, ou c'est peut-être qu'elles sont trop étroites. Parce qu'en fait, la féministe à laquelle tu voudrais qu'on "aime ressembler", elle n'existe que dans tes projections. Un peu comme "la" femme qui s'étale, photoshopée, sur les pages du catalogue de pubs stéréotypées au milieu duquel des journalistes de qualité tendent tant bien que mal de glisser quelques papiers intéressants comme celui-là, celui-là ou celui-là. Tu vois, moi, même quand j'ai des a priori sur ton business, je m'intéresse quand même un peu à ce que tu fais et je te reconnais des bons points. Bonne Journée Internationale des Droits des Femmes à toi.