Heureux Versaillais! Dans un lieu magique, le Potager du Roi, une série de concerts gratuits pendant un mois, dans tous les domaines, de la voix au piano, à la musique de chambre, à la musique baroque. Nous avons assisté (de justesse, le festival se termine ce week-end!) à de belles Leçons de Ténèbres de François Couperin, un de ces jours où il faisait si chaud... sauf sous les arbres!
L'accès au Potager du Roi
S'y sont produits Lea Desandre, Théotime Langlois de Swarte, Pretty Yende ou Victor Julien-Laferrière. Gratuitement pour nous -libre participation et billet d'entrée dans le parc. Oui, heureux Versaillais! Et heureux mélomanes franciliens, Versailles étant si facile d'accès. On s'y est rendu par un des moins chauds des jours si chauds, c'était le 15 juillet, attiré par monsieur Couperin et ses Leçons de Ténèbres, par un ensemble qu'on ne connaissait pas, Il Caravaggio.
On a donc traversé Versailles, croisant les touristes qui, eux, s'en revenaient, on est entré dans le quartier Saint-Louis, on a longé les restaurants -car Versailles, on l'oublie trop souvent, est une cité de 100.000 haibitants qui ont eux-mêmes une vie sociale- et, devant la cathédrale Saint-Louis, monument d'époque baroque qui ressemble aujourd'hui à une installation de Christo (enveloppée qu'elle est pour ravalement de draps et d'échafaudages), non sans avoir jeté un joli coup d'oeil à la ravissante place carrée aux couleurs italiennes (maisons délicatement ocre d'un beau style début XIXe), on est entré par une porte discrète au Potager du Roi.
Le maître des fruits et légumes
On ne peut le visiter complètement (et d'ailleurs quel en serait l'intérêt sans les explications horticoles nécessaires?) mais on en constate l'ampleur en gagnant le lieu du concert, d'abord une allée bordant une immense plantation légumière qui se prolonge tout le long de la perspective jouxtant la cathédrale, puis d'autres jardins, dominés par la statue de monsieur de La Quintinie, le fameux jardinier du Roi, qui fut même un peu beaucoup plus -avocat d'ailleurs à l'origine, puis... agronome serait plus exact. La Quintinie et ses 200 variétés de poires, le fruit le plus consommé alors, La Quintinie qui avait initié Louis XIV au jardinage -on voit, avant d'accéder au lieu du concert, la grille, une des rares d'origine, ornée de la couronne royale, par laquelle le souverain descendait, longeant la pièce d'eau des Suisses, visiter son "maître des fruits et légumes". A qui il avait écrit: Monsieur, faire surgir du sol asperges et poireaux, c'est travailler à la gloire de Dieu et à la satisfaction du royaume. Surtout en ces temps-là, de fréquentes disettes.
Le génie et le talent
Au départ le Potager du Roi était un "étang puant", un marécage qu'on avait dû assécher pour le remplacer par de la bonne terre. On n'entrera pas dans les polémiques récentes qui posent la question de son utilisation. Des sièges sur une pelouse, une tente dressée au cas où il pleuvrait, abritant musiciens et éclairages, et la nuit qui tombe peu à peu sur les Leçons de Ténèbres entrecoupées de motets à deux ou trois voix de monsieur de Brossard.
Programme habile, bien agréable, mais qui nous a posé question. On a dans un premier temps retrouvé ce qui sépare le talent du génie dans cette musique baroque qu'il est davantage de coutume que dans le style classique ou plus contemporain de lier par époque. Brossard et Couperin, c'est comme Carissimi et Draghi dont nous parlions récemment (chronique du 7 juillet) De l'inspiration, certes, chez ce Sébastien de Brossard (un Motet à deux voix, un Motet à trois voix, un Miserere) mais c'est un peu long malgré les beautés de l'écriture vocale, y compris ce Miserere qui conclut le concert et que l'on préfèrerait plus fulgurant.
Un petit pull au mois de juillet
A tel enseigne que, ne connaissant guère ce Brossard-là, on a cru, dans son écriture, qu'il était plus proche du siècle de Louis XIII. Que nenni: un peu plus âgé que Couperin et mort à peu près en même temps que lui, dans un XVIIIe siècle où Louis XV était déjà grand. On a cependant admiré la solennité du second motet, la virtuosité du premier qui donne à la soprano Gwendoline Blondeel l'occasion de nous ravir (un peu de fatigue, parfois, car, entre Brossard et Couperin, sa partie est écrasante) Même si l'on préfère le timbre si particulier, la ligne de chant bien construite, de la mezzo Victoire Bunel qu'on avait entendue dans le concert italien des Arts Florissants (7 juillet)
A un moment, croyez-nous ou non, on pelait de froid, on a remis un pull. On n'était pas les seuls, des houppelandes discrètes sortaient des sacs de toile: l'humidité des lieux nous rappelait soudain (sans les odeurs) les origines de ce "marais puant" et la pièce d'eau des Suisses, juste derrière, n'arrangeait rien. On se plongeait avec délices dans les trois Leçons de Ténèbres de Couperin, celle du Mercredy, du Jeudy, du Vendredy. La première déploration à deux voix, avec des accents préfigurant le Stabat Mater de Pergolèse, idéal et admirable ondoyance des deux lignes musicales qui se chevauchent, se répondent, se recoupent, dans le plus stricte recueillement. La seconde leçon est à voix seule, timbre plus grave de Bunel, qui ondule avec dramatisme sur le tapis des deux violes de gambe (Mathieu Catineau, Ronald Martin Alonso) et du théorbe (Benjamin Narvey). La troisième leçon retrouve les deux femmes de manière plus virtuose après une introduction des trois instruments.
Des "Leçons de Ténèbres" courantes à la Semaine Sainte
Sauf que voilà: il faudra attendre la fin du concert pour faire naître notre perplexité. Résumons: c'était une coutume répandue, ces Leçons de Ténèbres de la Semaine Sainte, que l'on chantait dès le mercredi, puis le jeudi et le vendredi, pour des raisons pratiques l'après-midi, et l'on éteignait les bougies peu à peu. En fait elles étaient plutôt destinées (sous une forme strictement conventuelle) aux matines (en pleine nuit) des jeudi, vendredi et samedi saints. En tout cas beaucoup de compositeurs du Grand Siècle s'y prêtèrent, Charpentier, Lambert, Gilles, Delalande ou, plus tard, un Corette. Les plus célèbres de ces Leçons de Ténèbres étant celles de Couperin, composées en 1714 (un an avant la mort du roi) pour les religieuses de l'abbaye de Longchamp, près de Paris, où se trouve désormais... un hippodrome.
Une voix de... berger pyrénéen
Mais ces petites merveilles, apprend-on dans les meilleurs dictionnaires, ne nous sont pas parvenues complètes. Il était d'usage qu'un cycle en comprît neuf (trois pour chaque jour). Sauf que, dans l'urgence, Couperin n'eut pas le temps de faire éditer "le jeudy" ni "le vendredy" qui nous sont donc perdus. Qu'est-ce donc que ce programme que nous avons entendu? Une simple erreur de mise en page? Il semble. Car il ne semble pas que Camille Laforge, qui dirige tout ce groupe avec retenue, l'accompagnant aussi au petit orgue, ait retrouvé les manuscrits dont tant d'amoureux des trois oeuvres connues déplorent depuis tant d'années la disparition. Mais pourquoi ne nous avoir rien expliqué, comme aussi cette habitude du temps d'éteindre les lumières, qui ne sera qu'imparfaitement accomplie sous nos yeux?
Un troisième intervenant, le baryton-basse Guilhem Worms, intervenait aussi a cappella au début du concert puis, à un certain moment, en répétant, semble-t-il, cette intervention. Voix admirable de profondeur, de force, de puissance -un baryton aux couleurs d'ombre, qu'on voudra évidemment réentendre. A bien y réfléchir, cela semble trop beau, trop fort (avec des accents de ces chants que les bergers, alpins ou plus sûrement pyrénéens, se renvoient d'une montagne à l'autre) pour être du Brossard. On n'en saura pas plus.
On peut témoigner cependant que, leçons ou motets, le concert fut très vigoureusement applaudi, et pas seulement pour se réchauffer.
Dès le retour en ville nous enlevâmes notre pull.
Brossard: Motets, Miserere. Couperin: Leçons de Ténèbres. Gwendoline Blondeel, soprano. Victoire Bunel, mezzo. Guilhem Worms, baryton. Ensemble Il Caravaggio, direction Camille Laforge. Festival "Idéal" au Potager du Roi, Versailles, le 15 juillet.
Derniers concerts du Festival ces 22, 23 et 24 juillet (19 heures ou 21 heures)