En diffusion ce soir sur Radio-Classique, un concert enregistré fin mars aux Invalides par Ophélie Gaillard et son ensemble Pulcinella: au programme Vivaldi mais pas que. Compte-rendu.
De Vivaldi, un violoncelle qui sonne comme deux
Nous étions peu cet après-midi là, peu dans la nef et assez peu sur scène, l'ensemble Pulcinella, 7 musiciens, plus les deux chanteuses, Raquel Camarinha et Marina Viotti. Et cependant Vivaldi, sous les hautes voûtes, résonnait parfaitement. Vivaldi et quelques autres. On eût pu cependant rêver d'un concert "Tout Vivaldi" comme il y en eut un début avril au festival de Pâques d'Aix-en-Provence -autre ensemble, celui de Thomas Dunford, autre cantatrice qui gravit les marches de la gloire, Lea Desandre. Mais après tout, un choix est un choix.
Avec, pour démarrer, Vivaldi bien sûr, et Ophélie Gaillard elle-même, violoncelliste qui n'aime rien tant que ces passages du baroque au contemporain: le concerto RV 401, avec, donc, accompagnement de deux violons, alto, contrebasse, clavecin et théorbe et, derrière le violoncelle de la cheffe, celui, bien présent, de Pascale Clément, au point qu'on croit parfois (on n'avait pas révisé nos fiches!) qu'il s'agit d'un concerto pour deux violoncelles... De quoi détromper la méchante formule de Stravinsky sur le même concerto 600 fois écrit -un Vivaldi mélancolique, pris paisiblement, avec l'attention porté à chaque instrument qui se comporte, dans ces petits ensembles, comme un demi-soliste (et cela demande d'autant plus d'attention à chacun) puis un Adagio sur le même thème mais cette fois avec variations et l'allegro final lancé par une attaque furieuse des deux violons, la Tempesta si vivaldienne.
Une Madeleine repentante à Venise
Le suivant sera Antonio Caldara, un des grands maîtres du baroque italien, qu'on joue de plus en plus, un air (Pompe inutili) de l'oratorio Madalena ai piedi : au pied de la croix bien sûr mais aussi aux pieds ensanglantés du Christ. Et Raquel Camarinha, dont la voix (très belle mais qu'on avait souvent trouvée un peu froide) a pris de belles vibrations et travaillé l'émotion, certes contenue dans la première partie, douloureuse et calme, mais réelle, avant une seconde partie de piété et de larmes. Caldara, le quasi exact contemporain de Vivaldi, Vénitien comme lui mais qui, lui, se rendit ici, là et ailleurs et même en Autriche. Seconde partie avec trépignement du théorbe, des violoncelles (Ophélie Gaillard primus inter pares), de la contrebasse.
Une création du Belge Pierre Bartholomée
Et en complément ou presque, le motet In furore justissima de Vivaldi. Un jeu, ce soir: noter les différences de style (pas si évidentes), peut-être plus de variété chez Vivaldi. Même début de tempête, la voix, vraiment puissante et ardente (elle a gagné en ampleur aussi) de Camarinha qui envahit l'immense nef avant de se réduire dans la partie en récitatif. Pureté du timbre (une des premières qualités de Camarinha) avant un Alleluia en vocalises, bref et virtuose, jamais évident dans une église où le son tourne.
Camarinha, d'une voix pleine de résignation, entonnera alors le Chant pour la passion de Pierre Bartholomée, une création contemporaine d'un petit quart d'heure et qui nous a semblé un peu longue, sur un texte dont on ne sait toujours en quelle langue il est écrit -français, latin? Psalmodie, cris de douleurs, fouillis des cordes où l'on remarque la viole d'amour de Thibault Noally qui est aussi le premier violon de l'ensemble) Bartholomée, vieux monsieur, a longtemps dirigé l'orchestre philharmonique de Liège et créé beaucoup d'oeuvres contemporaines, en particulier de ses compatriotes Henri Pousseur et Philippe Boesmans On préfère toutefois à ce Chant pour la passion les oeuvres "à la manière ancienne" d'un Maurice Duruflé (son Requiem, ses Motets sur des thèmes grégoriens, sa Missa cum Jubilo qu'on aimerait réentendre)
Le chef-d'oeuvre: Nisi Dominus
Retour à Vivaldi: la Sinfonia al Santo Sepolcro RV 169, pour mettre en valeur les cordes qui entrent l'une après l'autre. Un chant funèbre avec une belle fugue à 3 (les violons de Noally et Mauro Lopes Ferreira, l'alto de Lucie Uzzeni) avec appuis sur l'archet. Prélude, donc, au Nisi Dominus, une des plus belles pièces de la musique religieuse baroque, inspiré du cantique de Salomon. Chef-d'oeuvre qui culmine dans un morceau bouleversant et célébrissime (accompagnement de glas, balancement si "vivaldien", douleur contenue), le Cum dederit dilectis suis. Voix aux si belles teintes d'automne de Marina Viotti, mezzo qui manque un peu de puissance, et qui est dans le récit plus que dans l'incarnation, mais d'une simplicité, d'un naturel, d'une absence de pose, très émouvants.
Les deux chanteuses reviendront pour les deux dernières pièces (dont l'Alleluia fameux) du Stabat Mater de Pergolèse, chef-d'oeuvre plus grand encore peut-être. Prélude à un autre concert, qu'Ophélie Gaillard, attentive maîtresse-d'oeuvre qui ne s'est donnée qu'un rôle soliste de dix minutes, nous proposera bientôt?
Ophélie Gaillard (violoncelle et direction) et l'ensemble Pulcinella avec Raquel Camarinha (soprano) et Marina Viotti (mezzo): oeuvres de Vivaldi, Caldara, Bartholomée (et une pointe de Pergolèse!), concert enregistré fin mars en la cathédrale St-Louis des Invalides, en diffusion sur Radio-Classique ce 1er mai à 21 heures.