Un concert dans les lieux toujours étonnants des Invalides (cette fois le salon Turenne) où se poursuit la commémoration par le noble établissement du... 350e anniversaire de la guerre de Hollande (1672) dont les grandes heures nous seront brillamment contées nous dit le programme de la saison, autour de musiques choisies par le claveciniste Olivier Baumont et des récits (pas seulement du temps) lus par Marcel Bozonnet.
Une guerre inutile?
Marcel Bozonnet, comédien, ancien administrateur de la Comédie-Française, et le claveciniste Olivier Baumont se sont donc réunis pour le 3e concert de ce cycle sur Louis XIV, chef de guerre, mais ce concert résonnait bizarrement, au contraire des deux premiers, depuis un certain 24 février. C'est que l'intitulé de cette soirée avait beau mettre à l'honneur deux personnages emblématiques des guerres royales, d'Artagnan et Turenne, on ne pouvait, si l'on avait eu la curiosité de faire la moindre recherche historique (et il ne faudrait pas conter sur les textes lus pour en savoir plus), s'empêcher de penser que la guerre de Hollande, qui dura six ans, était d'une inutilité absolue, provoquant des dégâts (on n'était pas à ça près à l'époque) irrémédiables à l'instar d'un certain conflit contemporain à l'est de l'Europe.
Deux pays si opposés
Guerre que Louis XIV mena, nous disent les livres d'histoire, pour réduire la puissance hollandaise. Les Pays-Bas, ou Provinces-Unies, en tout si différents du grand royaume: royaume, justement, et monarchie absolue contre une forme de république (même si l'intitulé du pouvoir hollandais était plus ambigu), puissance maritime contre puissance continentale, nation commerçante contre nation où le commerce était encore balbutiant (peut-être, à l'instigation de Colbert, fut-ce la vraie raison de la guerre), nation sinon de majorité, en tout cas de moeurs protestantes contre nation catholique. Bref la raison de réduire la puissance montante hollandaise, même si elle était partagée par d'autres (voici, par exemple, que l'Angleterre s'allia dans un premier temps aux Français, et ce n'était guère habituel, avant de froidement les laisser tomber) semble, ou semblait, aussi imprécise que les raisons poutiniennes de s'attaquer à l'Ukraine. Une Hollande qui était soutenu par l'Espagne et l'Autriche, plus quelques territoires allemands (le Brandebourg) qui oscillaient entre les uns et les autres au gré des intérêts de leurs dirigeants.
D'Artagnan et Turenne
De tout cela on ne saura rien. Et même du contexte où cette guerre fort longue (la même durée que la Seconde Guerre Mondiale) nous rapporta la Franche-Comté (déjà conquise mais arrimée à nous par traité) et quelques places supplémentaires au Nord, Ypres (en actuelle Belgique), Cambrai, Maubeuge ou Valenciennes. Les pertes terribles étaient sans doute moins visibles: le plus grand capitaine français, le maréchal de Turenne et un autre symbole du brillant et de la bravoure de nos officiers, monsieur de d'Artagnan, emporté devant Maastricht dans des circonstances restées floues.
Bozonnet nous lira la mort de d'Artagnan et le siège en question, d'un historien plus contemporain, Charles Samaran, mort (centenaire) en 1982. Il nous lira aussi des descriptions de Turenne tirées des biographies de l'époque, dans ce merveilleux style qui était celui de n'importe quel lettré: Son véritable talent à la guerre était de bien soutenir une affaire en mauvais état. Et de celui qu'on nous décrit comme ayant les sourcils gros et enfoncés, on comprendra la popularité qui tenait à la compassion qu'il avait pour ses soldats, n'hésitant pas à faire mettre dans des charrettes les plus blessés ou les plus épuisés, au point que, quand il fut question qu'il renonçât au commandement de son armée, les fantassins eurent ce mot: Nous voulons garder notre père. Si nous venions à le perdre, qui nous ramènerait dans notre pays?
La lucidité de Saint-Simon
A un si grand nombre d'ennemis, écrivit un historien du XIXe siècle, le roi n'opposa que le vicomte de Turenne. Turenne fut fauché par un boulet, 13 mois après d'Artagnan. Le grand Saint-Simon, sans citer personne, avait fait état de la lucidité des opinions, même en reconnaissant que la guerre s'est fait continuellement sentir chez tous les peuples du monde. Mais, en comparant les pouvoirs, il parle aussi de la conséquence de conflits longs, coûteux, hasardeux, qui rejaillissent aussi sur le destin des nations: Ce prince laisse un état ruiné et la jalousie et la haine de ses voisins en héritage.
Le second texte de Saint-Simon est aussi admirablement lucide mais plus factuel: La Hollande fut ouverte en plusieurs endroits. Mais Guillaume III d'Orange, stathouder (statut entre gouvernorat et principat), fit inonder son pays. Louis XIV avait fait son apprentissage de guerrier auprès de Condé, monsieur Le Prince, et monsieur de Turenne. En Franche-Comté, qu'il conquit en 15 jours, seuls Besançon et Dôle firent quelques résistances. Bozonnet est plus à l'aise dans les récits sur d'Artagnan et Turenne que dans les méditations de Saint-Simon où il manque des respirations voulues.
De la viole, du violon, du clavecin...
Olivier Baumont rythme ces lectures avec l'aide de trois excellents musiciens (du Concert de la Loge de Julien Chauvin) les violonistes Tami Troman et Pierre-Eric Nimylowycz -quand ils jouent, l'un reprenant ce que l'autre vient de jouer, c'est le même son que l'on entend en une phrase quasi continue- et la violiste Louise Pierrard, très bien dans Les pleurs, pièce fameuse de Sainte-Colombe; et l'on entendra aussi, en conclusion, une Chaconne joyeuse de Marin Marais, son élève, puisque la paix est revenue...
Mais impossible de savoir, malgré l'agrément de l'écoute, dans ce salon Turenne ornée de peintures charmantes et absurdes, peintes après coup par un artiste plus attaché à nous montrer des combats allégoriques devant des cités improbables où Louis XIV est reçu avec respect par des jeunes femmes fleuries tout droit sorties de la mythologie grecque -impossible de savoir la relation avec le sujet de tel morceau ou de tel autre, de la Pavana Lachrimae, bel oeuvre mélancolique pour le clavecin du Hollandais Sweelinck (mais vivant 50 bonnes années avant la guerre évoquée) à un Dandrieu (Les caractères de la guerre) qui appartient déjà au siècle suivant, d'un Corrette qui, cette fois cela s'explique, compose au milieu du XVIIIe siècle une Marche des Mousquetaires et deux variations à un certain Pablo Bruna, Espagnol (et l'on s'en rend compte) pour précéder la mort de d'Artagnan (Il eut la gorge traversé par une balle... Le roi pleura et le loua dignement, ainsi que la Grande Mademoiselle et beaucoup d'autres)
Une marche qui manque de panache
De plus le Corrette comme la Marche du Régiment du Roy de Lully qui ouvre le concert, avec quatre malheureux musiciens, manque vraiment d'ampleur et évidemment de panache. Tant pis. Restent ces étranges considérations de Louis XIV lui-même qui arrivent en fin de soirée, tirées de ses Réflexions sur le métier de Roi : Les Rois sont souvent obligés à faire des choses qu'ils ne souhaitaient pas (on s'en serait douté) mais aussi l'intérêt de l'Etat doit marcher le premier... Ce métier de roi est grand, noble et délicieux. Mais il n'est pas exempt de peine, de fatigue, d'incertitude.
Conclusion d'un concert où la méditation l'emportait sur la musique, celle-ci ne résonnant donc pas toujours comme un remède à tous les maux.
Louis XIV, Turenne et d'Artagnan: Concert-lecture de Marcel Bozonnet (récitant), Olivier Baumont (clavecin) et des membres du Concert de la Loge avec des musiques de Lully, Sweelinck, Corrette, Bruna, Sainte-Colombe, Schmelzer, Dandrieu et Marin Marais. Salon Turenne de l'Hôtel des Invalides, Paris, le 7 mars.