A lOpéra de Nancy une "Flûte enchantée" de Mozart avec un méchant serpent, un château de conte de fées, une coiffure en croissant de lune...

La Reine de la nuit (Christina Poulitsi) et Tamino (Jack Swanson) C) Jean-Louis Fernandez, Onl

"La flûte enchantée", l'ultime opéra de Mozart, est donc le spectacle de fin d'année de l'Opéra de Nancy-Lorraine. Choix idéal a priori puisqu'il permet aussi bien aux adultes qu'aux enfants des lectures différentes mais complémentaires. Nous avons assisté, dans le ravissant théâtre rouge et blanc, à la première, les représentations se prolongeant encore après Noël.

Une lecture à deux niveaux

A noter d'ailleurs que l'Opéra de Toulouse (le Capitole) a inscrit aussi La flûte enchantée à son programme de fête. C'est évidemment que la féérie de l'oeuvre, le personnage terrible mais très beau de la Reine de la Nuit, l'amusant oiseleur Papageno (qui signifie perroquet en allemand et qui souvent porte un costume orné de plumes), les Trois Dames pipelettes ou les trois Enfants tels des angelots profanes, comme ce livret qui se mettait à la portée du petit peuple de Vienne, tout concourt à nous ravir l'oeil et surtout l'âme. A quoi les plus jeunes sont sensibles, surtout si la mise en scène se met à leur portée. Mais par ailleurs les nombreuses références maçonniques, les rites d'initiation que doit réussir le héros, Tamino, pour faire partie des élus qui accompagnent le grand-prêtre Sarastro mais aussi pour conquérir une autre élue, celle de son coeur, Pamina, donnent aux adultes matière à apprécier une histoire où, aussi, les relations de Sarastro et de la Reine de la Nuit qui tentent de se réserver les faveurs de Pamina (en réalité leur fille à tous deux) peuvent rappeler tristement à tant de couples (séparés) les luttes pour la garde de leur propre progéniture...

L'étrange homme-papillon C) Jean-Louis Fernandez, Onl

Un opéra blanc, rouge et or

On est donc arrivé dans une ville toute illuminée, dans sa partie commerçante comme dans sa partie historique, à l'égal de tant de cités du Nord et de l'Est de la France qui trouvent dans les lumières de Noël la joyeuse clarté dont les prive la brièveté des jours. Et sur la magnifique place Stanislas, ce joyau du XVIIIe siècle où scintille un superbe et immense sapin près de la statue de l'ancien roi de Pologne Stanislas Leszczynski (le beau-père de Louis XV) se trouve donc l'Opéra, dans un des pavillons de la place. Opéra qui, après un incendie, fut reconstruit à l'italienne, mais dans le goût bourgeois de l'époque de Garnier: donc intérieur rouge et or, foyer où le blanc crémeux propre au style baroque se voit surcharger de flambeaux, caryatides, appliques de bronze, diverses dorures, ce qui, au final, fait riche et majestueux sans perdre de son élégance.

L'Opéra de Nancy-Lorraine C) Bertrand Renard, France Info Culture

Les belles vertus des hologrammes

Cet opéra obtint en 2006 le statut d'Opéra national. Ils ne sont que 6 en région, Nancy ayant été précédé par Lyon (le premier, dès 1996) puis Strasbourg (Opéra du Rhin), Bordeaux et Montpellier. Toulouse les a rejoints cette année. Cela leur donne le droit à des subventions de l'Etat, comme les deux établissements parisiens, Opéra de Paris et Opéra-Comique. Sept autres n'ont qu'un statut d'Opéra de région, à savoir, Angers-Nantes, Rennes, Rouen, Marseille, Lille, Tours et Avignon.

Les choristes autour de Tamino (Jack Swanson) C) Jean-Louis Fernandez, Onl

Loin de ces considérations, dans la salle de plus de 1000 places très raisonnablement remplie, on notait justement des enfants, bénéficiant d'un tarif très favorable, avec des parents qui les avait instruits de l'histoire, parfois pas évidente mais rehaussée, dans la mise en scène inventive de la jeune Autrichienne Anna Bernreinter (compatriote de Mozart, donc), par une multitude de beaux effets spéciaux, qu'on va définir, pour faire court, comme hologrammique; et remarquablement bien faits (souvent en noir et blanc), ainsi les épreuves passées par Tamino qui le mettent devant un affreux serpent puis devant des paires d'yeux maléfiques, solution très jolie et très efficace où l'on retrouve un peu l'esprit d'Harry Potter. C'est un des beaux moments de cette  Flûte enchantée.

En haut, Pamina (Christina Gansch) et Monostatos (Mark Omvlee), en bas Pamino, à droite, volant, Papageno (Michael Nagl) C) Jean-Louis Fernandez, Onl

Costumes étranges ou savoureux

Images-hologramme qui, parfois, se superposent au décor, avec des cris d'oiseaux comme dans la forêt vierge. Sur un plateau tournant Bernreiter a installé différents espaces, autour d'un château de conte de fées un peu délabré commandé par un Sarastro bonhomme à l'étrange perruque blonde, accompagné par des fidèles en énormes barboteuses à rayures verticales et coiffés de ce qui ressemble à des bonnets de nuit -gros bébés sortis de nos songes d'enfants, en quoi nous ne voudrions absolument pas être transformés, mais en tout cas choristes tout à fait excellents. Un autre espace voit l'univers de la nuit avec des ombres d'arbres inquiétantes, d'où sortent les Trois dames portant une grande robe rose à paniers comme si elles étaient une seule à trois têtes, et leurs trois têtes, justement, sont ornées de perruques XVIIIe siècle, une mauve, une bleu clair, une turquoise. La Reine de la nuit, elle, porte une ravissante robe en faille couleur de ciel (comme dans Peau d' âne!) avec une coiffure en croissant de lune...

La Reine de la nuit (Christina Poulitsi) lutte avec sa fille, Pamina (Christina Gansch) C) Jean-Louis Fernandez, Onl

Une atmosphère parfois surréaliste

On est plus réservé sur les autres costumes, à se demander parfois (on l'a souvent remarqué!) si nos amis germaniques ont les mêmes codes-couleurs que nous! La tenue mauve de Pamino, celle, incertaine, de Tamina, ne sont pas réussies, non plus que Papageno qui manque de fantaisie avec ses chaussures orange et sa tunique qui le fait ressembler au dindon d'une récente publicité. Autre défaut: malgré beaucoup de jolis moments (ceux avec les enfants en costumes de château de cartes et qui entrent en scène par un toboggan rose; la Reine de la nuit suspendue dans les airs sur fond d'étoiles; la belle chorégraphie de la fin où chacun trouve sa place dans une scène encombrée), malgré d'autres étranges (l'homme-papillon qui passe, l'entrée de la grotte en forme de cascade argentée) ou qui font peur (les éclairs verts qui accompagnent la Reine de la nuit, l'ombre violette de Sarastro qui dégouline et plonge le château dans l'ombre), la metteure en scène peine un peu à donner une unité à l'oeuvre, ou plus exactement à relier, surtout pour un jeune public (mais aussi pour un moins jeune) les morceaux d'un livret dont elle reconnaît volontiers qu'il est complexe et déroutant.

Les 3 enfants et Papageno (Michael Nagl) C) Jean-Louis Fernandez, Onl

Le couple principal un peu en-deçà

On lui fera un dernier reproche, qui est peut-être un péché de jeunesse: ne pas prêter assez d'attention à la direction... d'acteurs des chanteurs, ceux-ci, quand ils écoutent leurs camarades étant trop souvent plantés là sans savoir quelle attitude adopter. Mais la dimension de conte est bien présente et cette Flûte enchantée a, vraie qualité, une identité, même pas totalement aboutie, qui nous restera en mémoire.

Tamino (Jack Swanson) et de bizarres personnes C) Jean-Louis Fernandez, Onl

Distribution inégale, comme souvent dans cette oeuvre. Les points faibles sont, hélas! les deux héros: le Tamino du jeune Américain Jack Swanson a le timbre un peu engorgé et manque de personnalité mais c'est hélas! souvent le cas du personnage. La Pamina de l'Autrichienne Christina Gansch a de jolis moments mais elle manque hélas! son grand air, Ach, ich fühl's, difficile, il est vrai, gênée qu'elle est par les notes de passages. Le Sarastro de l'Américain David Leigh manque de projection dans les graves  (très graves) de sa partie, d'autant que Sarastro a aussi des notes hautes que les véritables basses ont du mal à atteindre.

Papageno (Michael Nagl) descend devant Tamino (Jack Swanson) C) Jean-Louis Fernandez, Onl

Un Papageno bien triste

Les trois dames sont bien, pas toujours en phase, Susanna Hurrell, Ramya Roy, Gala El Hadidi. Bien aussi, car émouvant, Monostatos, alias le Néerlandais Mark Omvlee, en costume de prisonnier jaune et noir. Omvlee prend à toute vitesse son air Alles fühlt et le réussit. Le personnage de Monostatos (qui est noir et "méchant") n'a pas encore été stigmatisé par le mouvement Black lives matter... Le meilleur des rôles masculins étant le Papageno de Michael Nagl; beau baryton, même s'il manque de gaieté mais c'est la mise en scène qui l'impose: un Papageno mélancolique à souhait, désespéré au premier degré, prêt, sincèrement, au suicide s'il ne trouve pas de petite femme -le Ein Mädchen oder Weibchen tourne à la tragédie et il n'y a aucune bouffonnerie dans l'apparition de Papagena (honnête Anita Rosati) malgré l'amusante idée (qu'on ne dévoilera pas) concernant leur future progéniture...

Monostatos (Mark Omvlee) surveillant Pamina (Christiane Gansch) C) Jean-Louis Fernandez, Onl

Belle Reine de la nuit, belle direction

Enfin, et c'est tant mieux, une Reine de la nuit impeccable (la Grecque Christina Poulitsi) complète la distribution: dans son air pyrotechnique Der Hölle Rache, toutes les notes y sont, et les plus aigües très bien amenées, sans jamais forcer. On a dit la qualité des choeurs. On a bien aimé aussi la direction attentive, vive et soignée de Bas Wiegers à la tête d'un orchestre de l'Opéra de Lorraine de bon niveau (bravo aux flûtistes!): son ouverture, traitée comme une petite symphonie avec des accents frémissants à la Mendelssohn est une des meilleures qu'on ait entendues. Elle inaugurait bien de ce spectacle tout à fait recommandable qui fait honneur à notre Opéra national de Lorraine, ajoutant à cela, pour ceux qui passeraient à Nancy les jours prochains, une vue depuis le foyer sur une des plus belles places du monde!

La flûte enchantée de W.A. Mozart, mise en scène d'Anna Bernreitner, direction musicale de Bas Wiegers. Opéra national de Nancy-Lorraine. Prochaines représentations les 21, 23 et 28 décembre à 20 heures, le 26 décembre à 15 heures. Tarifs spéciaux pour les plus jeunes. 

Les "élus" avec Sarastro (David Leigh), Pamina, Tamino et Monostatos C) Jean-Louis Fernandez, Onl