En ce vendredi Radio-France recevait un invité prestigieux, Thomas Adès. Le compositeur britannique, et chef pour toute la soirée, donnait deux créations françaises et une création parisienne à la tête du Philharmonique de Radio-France. Avec Leos Janacek en invité surprise.
Le vieux Janacek retrouve la jeunesse
Et justement. C'est un rituel remarquable qu'a instauré Mikko Franck, le directeur musical du Philharmonique: inclure dans le concert symphonique une oeuvre de musique de chambre mais jouée par les instrumentistes de l'orchestre qui montrent ainsi une autre facette de leur talent. Ce soir ce sera Mladi.
Mladi (Jeunesse), c'est le vieux Janacek se remémorant ses jeunes années, imaginant aussi, lui qui est tombé amoureux tardivement d'une très jeune femme, ce que c'est que d'avoir 25 ans. Sextuor à vents court, flûte, clarinette, cor, basson, hautbois, bien sûr, et une clarinette basse en plus. Ce sont les quatre mouvements traditionnels, c'est délicieux de fraîcheur, le mouvement lent est ravissant, le petit scherzo est un air de chanson, le final dessine une matinée de soleil. L'histoire dit que les professeurs du conservatoire de Brno, qui créèrent Mladi, eurent un peu de mal à être à la hauteur de ses difficultés. Ici, Magali Mosnier, Jérôme Voisin et son camarade Victor Bourhis à la clarinette basse, le bassoniste Julien Hardy, Antoine Dreyfuss au cor et Olivier Doise avec son hautbois font preuve de la belle complicité qui les unit d'habitude.
Une petite introduction... pour 14 trompettes
Auparavant on avait entendu une pièce de trois minutes, Tower -for Frank Gehry, écrite pour 14 trompettes et créée cette été à Arles pour l'inauguration du bâtiment construit par Gehry pour la fondation de Maja Hoffmann. C'est entre la sonnerie de Maurice Jarre qui ouvre le festival d'Avignon et la musique (rapidement) répétitive, cela sonne très bien devant nous, les trompettistes tous installés au 1er balcon de l'Auditorium, au-dessus d'Adès qui dirige son oeuvre la baguette en l'air, à grandes brassées...
Les deux gros morceaux étaient à venir: deux oeuvres récentes aussi, le Concerto pour piano créé en 2019 à Boston et The exterminating Angel Symphony à Birmingham il y a deux mois. Cela nous rappelle ainsi combien Thomas Adès, juste 50 ans, est devenu un des compositeurs les plus demandés de notre époque. On l'avoue, n'étant pas forcément très féru de musique contemporaine, nous l'avons vraiment découvert (il était temps!) avec son Powder her face, opéra d'un tout jeune homme aussi scandaleux que très bien écrit (chronique du ) Mais cette fois nous sommes un peu resté sur notre faim...
Quelle direction un compositeur contemporain doit-il prendre?
Il est vrai que Thomas Adès se heurte un peu au problème qui hante tous les compositeurs d'aujourd'hui: dans la mesure où la musique sérielle a fini par montrer ses limites, même si certains continuent de s'y adonner avec talent, est-il possible soit de revenir en arrière soit de faire autre chose -mais quoi? Il y a évidemment la solution de la musique répétitive que les Américains maîtrisent très bien. Elle a aussi ses inconvénients. Ce que nous avons entendu de Thomas Adès a déjà l'immense qualité d'être d'une écriture très brillante, tournant même parfois à l'orgie sonore, qui rend heureux les musiciens, musiciens enthousiastes, talentueux, engagés, dans les solos comme dans les ensembles.
Un concerto brillant -trop?
Mais voilà: le trop brillant tue un peu le brillant. La profusion des sons l'emporte au risque aussi du pastiche dans ce Concerto pour piano où Kiril Gerstein se montre un poil tapageur, mais ce n'est pas de sa faute: la partition ne lui laisse pas un instant de répit ni de nuance. L'Allegrissimo initial est plus optimiste que joyeux, avec une écriture syncopée, un découplage des rythmes très intéressant entre l'instrument et l'orchestre -un orchestre pléthorique où l'on compte par exemple 10 violoncelles et 8 contrebasses, ce qui est plus une formation de symphonie. Le mouvement lent se veut d'un ample sentiment tragique, il y a d'ailleurs un très beau passage, notes répétées, mains croisées mais là aussi cela finit par tourner à l'emphase. Le final regarde vers le jazz avec des glissandos, un piano (et un Gerstein) infatigable, sans qu'on puisse définir exactement à la fin quelle était la structure.
De la bonne musique de film
Avec la Symphonie de l'Ange exterminateur, on sait ce qu'on entend: de la bonne musique de film. Et pour cause, allez-vous dire: c'est le film de Luis Bunuel. Oui mais Adès en a fait d'abord un opéra, créé au festival de Salzbourg il y a 5 ans. On écoute donc, selon l'exemple de beaucoup de compositeurs du XIXe siècle, une suite d'orchestre - et ceci explique qu'on ne retrouve guère l'atmosphère du film. Entrances a des accents à la Bernstein. March ressemble à une marche des légions romaines, saturée de cuivres graves et grinçante à souhait. Berceuse est bâtie sur un passage de relais des instruments qui transforment des cellules mélodiques. Waltzes enfin, référence à l'Autriche de la création, est plutôt une fausse valse anglaise ou espagnole, qui s'essouffle peu à peu, sans qu'on sache si c'est volontaire.
Une admirable Sinfonietta
On a compris ensuite la présence de Janacek, au-delà de Mladi, avec la Sinfonietta, petit bijou aux thèmes énergiques, populaires et mélancoliques à la fois, oeuvre tardive aussi (mais l'essentiel de la production de Janacek date des dernières années, comme si son génie s'était épanoui d'être vieux), commande d'une société de gymnastique mais, achevée trop tard, dédiée alors aux forces armées de la Tchécoslovaquie (!) En outre, inspirée des orchestres d'harmonie, la Sinfonietta comprend cinq mouvements qui correspondraient à des monuments de la ville de Brno.
C'est Thomas Adès qui, cette fois, est seulement chef d'orchestre; mais il fait mieux: il dirige sans partition, ce qui arrive rarement de la part d'un compositeur. Certainement -on en a l'assurance au bout de deux mesures- parce que Janacek -et sans doute cette Sinfonietta- fait partie de son Panthéon sonore. Et, parole, c'est une des plus belles versions de la Sinfonietta que nous ayons entendue: différente des Tchèques, de Karel Ancerl à Vaclav Neumann en y joignant un Charles Mackerras. Adès insiste sur l'alliage des timbres, sur la lisibilité des lignes mélodiques. C'est merveilleux d'un bout à l'autre, l'alchimie des instruments, les cuivres de l'introduction, placés à part, au-dessus, comme pour Tower, le Moderato, d'une ampleur mahlérienne. Thomas Adès dirige cette Sinfonietta comme s'il l'avait lui-même écrite, avec le même engagement et le même enthousiasme, y entraînant les musiciens du Philharmonique excellents comme jamais, en particulier (il faut en citer un/e) Magali Mosnier, la flûtiste (avec ses camarades de pupitre)
Ainsi Thomas Adès, qui nous aura parfois laissé perplexe comme compositeur, remporte-t-il tous nos suffrages comme chef d'orchestre.
Thomas Adès: Tower - for Frank Gehry. Concerto pour piano (avec Kiril Gerstein). The exterminating Angel Symphony. Leos Janacek: Mladi (pour 6 vents). Sinfonietta. Solistes et Orchestre philharmonique de Radio-France, direction Thomas Adès. Auditorium de Radio-France le 8 octobre.