Deux Cd clôturent brillamment l'année Offenbach (200e anniversaire de la naissance du compositeur, le 20 juin 1819) avec des oeuvres rares: les "Duos à deux violoncelles" par Anne Gastinel et Xavier Phillips, les "Fables de La Fontaine", mélodies chantées par Karine Deshayes.
Peu d'Offenbach pour l'année Offenbach
Et même si l'on va se contenter de ce que l'on a, on constatera cependant que ladite année Offenbach n'a pas été l'occasion de beaucoup d'enregistrements, en particulier des oeuvres les plus célèbres. Depuis les enregistrements de Felicity Lott et Marc Minkowski combien d'Hélène ou de Grande-Duchesse? Depuis quand un Orphée aux Enfers? Sans parler de petits bijoux comme Madame Favart ou d'ambitieux chefs-d'oeuvre tels La fille du Tambour-Major (une de ses oeuvres ultimes) dont l'unique enregistrement date... des années 50 (et incomplet, en plus). Bref, pour un des compositeurs les plus populaires auprès du public, c'est comme si (en particulier) sa patrie d'adoption continuait à faire la fine bouche. Or, il faut le répéter, Offenbach est difficile à chanter et, pour cela, procure de vrais et beaux défis aux cantatrices (et ténors). La grande Régine Crespin le savait, qui s'y consacra largement.
Le "Liszt du violoncelle"
Le Cd de Gastinel et Phillips a une qualité première, avant même qu'on l'écoute: attirer l'attention sur une autre activité d'Offenbach, qui l'occupa au début de sa vie: le travail du violoncelle. Pas un simple passe-temps puisqu'on le surnommait dans les salons parisiens le "Liszt du violoncelle". Il en reste d'ailleurs un très beau et très virtuose Concerto pour l'instrument (appelé bizarrement Concerto militaire)
Et donc ces Cours méthodique de duos pour deux violoncelles, six volumes conçus entre 1839 (Offenbach avait 20 ans) et 1855 (le premier triomphe, Orphée aux Enfers, est de 1858) Offenbach les a classés par difficultés, de la lettre A à la lettre F, 3 par lettre, autant dire de débutant à virtuose. Xavier Phillips avait très envie de les travailler depuis longtemps, restait à trouver le partenaire. Ce sera Anne Gastinel dont il rappelle drôlement qu'ils furent, au concours Rostropovitch de 1989, candidats tous deux, "donc concurrents". On ne sait qui gagna.
Du Offenbach qui ne ressemble pas à Offenbach
Comme on ne saura qui des deux tient la partie mélodique ou la partie d'accompagnement (on suppose qu'ils se relaient) Car ces Duos sont strictement construits sur ce modèle, une voix "en haut", une voix "en bas", ce qui ne veut pas dire que l'accompagnant soit sacrifié. Anne Gastinel: "On se rend très vite compte qu'il est parfois plus difficile d'accompagner l'autre que d'être sur le devant".
En revanche (nos amis ayant sélectionné un C, un D, les trois E et un F en fonction, selon eux, de la qualité musicale, les A et les B étant beaucoup trop des exercices pour débutants), bien malin qui pourrait dire immédiatement qui est le compositeur qu'on entend. L'Offenbach qu'on connaît ne se montre que peu, on devine seulement assez bien de quelle époque datent ces oeuvres et qu'il s'agit d'un compositeur du romantisme. Cela n'empêche pas qu'il y ait de belles pages tristes (le Cantabile de l'opus 51, l' Adagio douloureux de l'opus 52 qui pourrait être signé Mendelssohn), des Polonaises comme, cher Chopin, on en faisait à l'époque (plutôt ici, en forme de valse lente, opus 54), et parfois beaucoup de fougue inquiète et chantante (le Duo initial de l'opus 53 n° 2 repris dans l'Allegro final). Rien à redire enfin de l'interprétation complice, belle de son et parfaite de sentiment, de Gastinel et Phillips, au petit détail près qu'ils pourraient parfois se lâcher davantage, voire tirer ces pièces vers le "Offenbach qu'on connaît". Mais c'est leur choix de s'y refuser, pour nous faire entendre l'Offenbach de ces autres années, inattendu et déjà grand musicien car il faut les tenir sans lasser, ces oeuvres qui ressemblent au départ à des exercices d'école.
Des opérettes méconnues
De ce point de vue l'autre Cd nous rend l'Offenbach délicieux qu'on a tous à l'oreille. Et son principal défaut est justement de n'être pas assez long -on pouvait rajouter sans peine 20 minutes supplémentaires, soit quatre ou cinq ouvertures d'opérettes méconnues. Elles forment déjà une partie du disque -Boule de neige, Madame Favart, Les deux aveugles, Les bavards, Monsieur Choufleuri rentrera chez lui- et il suffit d'entendre les premières mesures, par exemple, des Bavards pour savoir aussitôt chez qui on est, avec ce mélange d'orchestration "fouettée" où cuivres et percussions se déchaînent dans un tourbillon d'énergie et de mélodies subtilement élégiaques -la partie aux cordes, qui a des faux airs de Songe d'une nuit d'été (de Mendelssohn encore) Cette ouverture est déjà en soi une merveille, avec aussi des réminiscences de ces galops pointus qui ont fait la renommée des danses du Second Empire -le cancan n'est pas loin.
Les "Fables de La Fontaine", un Offenbach reconnaissable
Le Cd est construit autour d'une rareté, les 6 Fables de La Fontaine qu'Offenbach jeune (23 ans) composa pour se faire bien recevoir dans les salons de l'époque où le fabuliste (voir les dessins de Grandville qui illustrent le Cd) était très à la mode. Certaines fables sont très connues (La cigale et la fourmi, Le corbeau et le renard), d'autres moins (Le berger et la mer) et d'ailleurs d'une écriture plus dramatique. Mais on reconnaît l'Offenbach futur, même si mâtiné de Rossini (La cigale et la fourmi), peut-être aussi grâce à l'orchestration réalisée par Jean-Pierre Haeck, orchestration subtile, brillante, très joliment menée et très conforme aux "oeuvres qu'on connaît".
Deshayes, héritière de Crespin
Haeck, dirigeant un excellent orchestre de l'opéra de Rouen-Normandie, a mis dans sa hotte de Noël Karine Deshayes: elle illumine de son intelligence du texte et de sa voix aux somptueux écarts (délicats, La cigale et la fourmi encore, ou La laitière et le pot au lait) ces oeuvres exquises (étonnant tableau de genre du Savetier et le Financier) Mais elle fait mieux: dans deux airs peu connus, elle se montre, par la présence, l'intelligence, la beauté de la voix, l'étendue de la tessiture, l'égale ou peut-être l'héritière d'une Crespin, celle qui, demain, pourrait tenir les grands rôles dans ce renouveau de l'opérette qui semble s'installer mais pour lequel il faut former des chanteuses. Le C'est l'Espagne (transcrit pour elle mais écrit pour homme) des Bavards est charmant. Mais il y a mieux encore. Un bijou: la Chanson du divorce, ravissant air de Boule de neige qui eut, alors que l'opérette était accueilli avec réserve (en 1871, juste après la chute de ce Second Empire dont Offenbach était par trop devenu l'emblème), un succès considérable. Cette Chanson, au texte déjà irrévérencieux ("Les maris sont tout de même / Egoïstes, Négligents / Infidèles, Exigeants/ Ne pourriez-vous pas me dire/ A quoi servent les maris?), à la musique (de valse) très inspirée, Deshayes en fait un exquis et touchant morceau de bravoure. A quand La grande-duchesse de Gerolstein où elle serait idéale?
Champagne!
Autant dire que le reste -les ouvertures en question- est un complément de champagne. Pour finir par une Schüler Polka où l'on ne sait si l'on est aux Tuileries ou à Schönbrunn, chez Eugénie ou Sissi, Napoléon ou François-Joseph. Heureux temps où l'on s'étourdissait et merci à l'auteur de ces boissons grisantes qui, à ses heures perdues, écrivaient des oeuvres secrètes pour son gros instrument préféré, le violoncelle!
Jacques Offenbach: 6 duos pour deux violoncelles, opus 51 n° 2, opus 52 n° 3, opus 53 n° 1, 2 et 3, opus 54 n°2. Anne Gastinel et Xavier Phillips, violoncelles. Un Cd La Dolce Volta
- 6 fables de La Fontaine. Ouverture et air de Boule de neige. Ouverture et air des Bavards. Schüler Polka. Ouvertures de Madame Favart, Les deux aveugles, Monsieur Choufleuri rentrera chez lui le... Karine Deshayes, mezzo. Orchestre de l'Opéra de Rouen-Normandie, direction Jean-Pierre Haeck. Un Cd Alpha Classics