La saison musicale aux Invalides a recommencé, sur le thème de la chasse. L'occasion d'entendre, dans un joli programme baroque, le trop rare pianiste Jean-Marc Luisada dans Haydn et Mozart qui n'ont jamais paru aussi frères. Ou cousins.
La chasse pour briller
"Plus on se croit beau, mieux on se bat" professait un général oublié, monsieur du Barail. Avec ses quartiers de noblesse qui le rendraient digne de l'exposition qui vient de s'ouvrir aux Invalides, sur les tenues de chasse pour briller, le beau bijou, le beau galon, l'étoffe moelleuse, tenues de chasse ou peut-être tenues de combat. Le paraître au service de l'efficacité, qui se confondaient dans une certaine caste. Mais je n'ai pas encore vu cette exposition à la thématique originale...
Un grand pianiste français
En liaison, comme depuis quelques saisons, une série de concerts bien intéressants et l'autre jour celui intitulé "Echos de chasse". Echos, simplement. Cela permettait d'écouter un pianiste qui s'est fait ces derniers temps plus rare et qu'on était content de retrouver, Jean-Marc Luisada. Il faut se souvenir qu'il y a trente ans Luisada, auréolé d'une récompense au concours Chopin de Varsovie (5e prix mais on a plus ou moins oublié les quatre premiers), fut un des rares artistes français à signer chez la compagnie la plus célèbre du monde, la Deutsche Grammophon, enregistrant Chopin justement, et aussi Schumann. Artiste au grand sourire, d'un abord immédiat avec ses lunettes d'intellectuel sympa. Mais l'observer fut aussi une belle leçon de piano.
Deux cornistes de talent
Cela avait commencé joliment, sans lui, avec l'orchestre de la Garde Républicaine dont les musiciens on simplement à jouer en tenue, sous la direction de leur chef probe et de talent, François Boulanger, qui a des faux airs de Samuel Etienne. Quelques extraits de la Water Music de Haendel, composé sans doute pour un voyage sur l'eau (de la Tamise) du souverain anglais. Le rapport avec la chasse? Haendel s'était inspiré des musiques de cour de Versailles mais surtout les extraits proposés, qui faisaient intervenir deux cors comme instruments quasi solistes, sonnaient vraiment comme des appels de chasse, revus cependant avec une belle musicalité par les cornistes Jean-Michel Tavernier et David Pastor qui évitaient soigneusement de nous donner l'impression qu'on allait déchiqueter un cerf...
Un concerto méconnu de Haydn
Et puis Luisada entrait, souriant, s'asseyait sur une chaise médiocre, presque comme un Glenn Gould, enlevait ses lunettes, se lançait dans le rare Concerto en ré de Haydn. Il en a peu écrit, Haydn, des concertos pour le pianoforte, et on les entend rarement. C'est bien dommage. Ce concerto relie Haydn et Mozart, dont il pourrait être une version juvénile. Mais c'est du Haydn, que Luisada joue délié. Souvent on peut fermer les yeux, écouter les pianistes sans les voir... Observer Luisada, c'est comprendre comment est calculé le poids de chaque note ou l'articulation des doigts. Le Vivace initial du concerto (inhabituel: un Vivace est plus souvent un final) voit de jolies modulations de majeur en mineur, des variations avec des trilles, des petites notes ravissantes et enfin une fort belle cadence, bien développée. On voudrait un peu plus de poésie dans l'introduction de l'Adagio (un son un peu plus feutré) mais Luisada le joue droit, serein et ferme, ajoutant peu à peu la poésie dans d'autres modulations, les petites trilles de nouveau, très Haydn. Le Finale multiplie les effets, comme si un oiseau poussait son cri en note piquée, coq ou caille. C'est amusant, beau comme tout, conclusion d'un concerto heureux d'un compositeur heureux.
Suivre la chasse les yeux fermés
On entrait dans le thème: la Symphonie de chasse de François-Joseph Gossec, qui commença sa carrière lui aussi comme un des favoris de Marie-Antoinette et mourut à 95 ans, ayant traversé tant de régimes, juste avant la révolution de 1830. Musique sans génie mais très habile, symphonie de chasse... très chasse où les deux cors de nos amis sont de nouveau à leur affaire, soutenus par d'autres bois très présent. Là on peut fermer les yeux, s'écrire un film: premier mouvement, les hommes sont là, avec les chiens et c'est le départ dans la forêt. Mouvement lent (qui commence comme l'air "Porgi amor" des Noces de Figaro de Mozart) où on paraît laisser la place aux femmes, en robes de chasse (cordes très présentes avec quelques notes des bois), plus poétique, avec des changements de tempi où l'orchestre est parfois en difficulté. Et voici -c'est un Minuetto solennel- que Louis XVI entre, passant en revue piqueux et chiens, et que tout le monde s'incline. Le final réunit l'esprit de Vivaldi (La Caccia), le retour aux sous-bois, la fin grandiose et royale de la chasse.
L'énigme d'un très grand Mozart
Et un haut chef-d'oeuvre pour finir, le premier des très grands concertos pour piano de Mozart, celui écrit pour mademoiselle JeuneHomme, énigmatique jeune pianiste française passée par Salzbourg et qui pourrait être mademoiselle Jenamy, fille de Noverre, ami de Mozart et un des premiers chorégraphes de l'époque contemporaine (le 29 avril, jour de sa naissance, est devenu la Journée internationale de la Danse!) De toute façon ce concerto, qui fait entrer le piano quasi avant l'orchestre (forme inhabituelle qui prouve le sens de la transgression musicale de Mozart) est une merveille, force, ampleur et puissance d'un Mozart de 21 ans, avec un orchestre un peu lourd dans l'introduction et des vents qui manquent de relief. Mais Luisada mêle conviction, élégance et légèreté, c'est un bonheur de voir le geste, la main qui calcule dans l'instant le délié du son. Le mouvement lent est une splendeur, le premier des grands adagios de Mozart, semblable à la scène dramatique d'un opéra, ou déjà à une création romantique, et conclue par une sublime cadence. Ton parfaitement juste de Luisada, poids des éléments soupesés avec une minutie d'orfèvre.
Une dernière course à l'abîme
Et pour éviter le risque qu'à cet adagio admirable succède un rondo un peu trop galant, Luisada prend le final à fond de train, au risque de s'emmêler un peu les doigts dans le premier thème. La reprise sera impeccable. Il s'agit de préserver une sorte de course à l'abîme, de marquer un territoire, de rester dans l'affirmation, avec une très intéressante manière d'arrêter le son avec la main (on ne l'avait jamais vu par d'autres) Cadence très lente, les mains à plat, en contraste, fin toute de puissance. Ce n'est pas la chasse mais son esprit, de panache et de grandeur (dans l'idéal), auxquelles on pourrait joindre l'amertume car ce ne sont plus seulement les bêtes que l'on chasse (et de moins en moins), ce sont désormais les hommes et nous l'entendons bien en échos.
Echos de chasse, orchestre de la Garde républicaine, direction François Boulanger, avec Jean-Marc Luisada au piano: Haendel (Water Music, extraits, avec Jean-Michel Tavernier et David Pastor, cors). Haydn ( Concerto pour piano en ré majeur). Gossec (Symphonie de chasse). Mozart (Concerto n° 9 pour piano "JeuneHomme"). Cathédrale Saint-Louis des Invalides, Paris, le 15 octobre