Dans le cadre du 250e anniversaire de l'Opéra Royal de Versailles ont lieu tout ce mois de juin différents concerts au château. C'étaient les musiques du sacre de Louis XIV qui étaient à l'honneur ce week-end, portées par l'excellent ensemble "Correspondances" de Sébastien Daucé.
Les différentes parties du sacre
On avait beaucoup aimé le spectacle Songs (au mois de janvier) qui naviguait entre théâtre et musique, autour de chants du baroque anglais. Le maître-d'oeuvre musical en était Sébastien Daucé, dirigeant une partie de sa formation Correspondances, avec en particulier l'excellente cantatrice Lucile Richardot.
Les revoici donc, mais en grande formation, une trentaine de musiciens, une vingtaine de chanteurs, pour animer et recréer dans la magnifique chapelle royale de Versailles les fastes du sacre de Louis XIV: du moins l'énorme festin musical servi à cette occasion, deux heures de pièces variées qui accompagnaient des épisodes gravés dans le bronze (ou l'or, plutôt): Le roi entre à Reims / Procession pour la reine, mère de Sa Majesté, en l'honneur de la Vierge (on sait qu'Anne d'Autriche, en mal d'enfant, avait promis, si enfin elle tombait enceinte, de dédier une église à la Vierge, qui sera celle, baroque, du Val-de-Grâce) / Le roi entre en la cathédrale / Arrivée de la Sainte Ampoule (contenant l'huile sacrée pour l'onction du roi) avant le serment du roi et la bénédiction de l'épée / On présente au roi la couronne, le sceptre et la main de justice / Lâcher de colombes et Te Deum pour le couronnement / Messe du sacre: vivat rex! / Ouvrez les portes pour Louis le XIVe, roi de France et de Navarre. Et le roi en question avait 15 ans, on était le 7 juin 1654.
Des musiques possibles
Un joli portrait du roi en habit de sacre, inclus dans le programme, nous le montre plus proche du Louis, enfant roi, le beau film de Roger Planchon, que des représentations suivantes avec la perruque: les cheveux bouclés tombent moelleusement sur l'hermine royale et, si le jeune roi est sérieux, on sent que le rire n'est pas loin. Le problème? On ignore quelles musiques ont été jouées ce jour-là, peut-être parce qu'un roi de 15 ans pouvait mourir deux jours plus tard et que personne n'imaginait un règne aussi long d'un monarque aussi vieux.
Daucé, s'appuyant sur certains manuscrits et l'expérience de certains musicologues reconstituant le déroulement de la cérémonie, les textes obligés qu'on y chantait (le sacre était aussi une grande affaire religieuse), les styles de musique, les instruments et les différents corps de musiciens convoqués, propose donc une sorte de "possibilité de sacre" et non la réalité perdue. C'est la première limite de son travail. La deuxième est que, parmi les compositeurs choisis (il y a beaucoup de pièces anonymes, d'ailleurs souvent fort intéressantes), quelques-uns étaient déjà morts au moment du sacre (Antoine Boësset, Guillaume Bouzignac, tous deux disparus en 1643) ou n'exerçaient pas à la cour comme cet Etienne Moulinié qui avait regagné son Languedoc ou ce Charles d'Helfer, un prêtre qui ne quitta jamais sa bonne ville de Soissons. Restent un Henry Du Mont (mort en 1684), figure importante de la première partie du règne et qui influença Lully ou Delalande, un Jean Veillot ou un Thomas Gobert, tous deux prêtres et tous deux en poste à la Chapelle du Roy.
Une mise en espace avec sonneries et lanternes
On dit cela car, même pour quelqu'un comme moi qui n'est pas vraiment spécialiste de cette période, on sent tout de même des archaïsmes qui nous rappellent (si on en doutait) que la musique du temps de papa Louis XIII était différente et plus encore la Pavane pour le mariage d'Henri IV où l'on revient plus d'un demi-siècle en arrière... Quant à la Pavane pour le mariage de monsieur de Vandome, comme on ne sait pas de quel Vendôme il s'agit, le bâtard d'Henri IV ou le maréchal de Louis XIV...
Il fallait donc ne pas être trop puriste par rapport à un concert cependant fort intéressant, très joliment mis en espace par les chorégraphes Marcela Santander et Mickaël Phelippeau. Chanteurs et musiciens situés essentiellement dans le choeur mais certains se déplaçant parfois sur deux estrades de chaque côté de la nef, essentiellement les instruments à vent jouant des sonneries ou quelques chanteurs quand il s'agissait de reproduire des effets de "réponses" (on sait exactement où les groupes de musiciens étaient placés dans la cathédrale de Reims) On y ajoutera les excellents Pages du CMBV (Centre de musique baroque de Versailles), enfants et adolescents qui ont une formation spécifique de musique en horaires aménagés à Versailles même, depuis le CE1 jusqu'à la 3e. Les Pages se promenaient de la tribune de la nef aux orgues dorées, avant de redescendre, porteurs de jolies lanternes blanches au bout d'un bâton, quand ils n'annonçaient pas eux-mêmes les différentes parties de la cérémonie.
Un défilé d'instruments inattendus
Evidemment les musiques entendues relevaient un peu de circonstances semblables. On s'est cependant attaché à en différencier les saveurs, un Etienne Moulinié à l'écriture plus complexe qu'un Antoine Boësset dans le traitement des voix (magnifique Cantate Domino), un Guillaume Bouzignac écrivant pour les violons un Jubilate Deo incisif, lumineux, ardent, latin ("Monsieur Bouzignac, en l'âge de 17 ans enfant de choeur à Narbonne"), un Du Mont chambriste avant l'heure (deux voix de femmes mêlées), un d'Helfer d'une ...soissonnaise austérité. Il y a même Cavalli qui passe (l'auteur du Eliogabale à Garnier en septembre), apportant un peu de son italianité.
Mais il y a aussi toutes ces musiques anonymes, qui valent largement celles signées, dans leurs saveurs de "chansons de province". Les plus énergiques étant la série des pavanes, jouées par les musiciens d'un pas dansant, qui à son tambour, qui à sa cornemuse, qui à sa viole, qui à son théorbe, ou violon ou hautbois, ou ce drôle d'instrument qui rappelle l'ophicléide (un serpent, nous dit-on). Et que sont donc ces grosses flûtes recourbées en bois sombre? Ou ces petites trompettes qui auraient plu à Boris Vian (des cornets)?
Feux d'artifice royaux
En bref, quand les oreilles étaient distraites il y avait de quoi voir, jusqu'aux jeux de lumière rose éclairant la chapelle, avant que sonne le Gaudete et exultate ("Soyez dans la joie et l'allégresse") qui se termine par un "Seigneur, sauvez le roi". L'heure d'assister au feu d'artifice tiré dans les jardins (il y en avait sans doute à Reims à la sortie du sacre), mais cela c'était samedi et j'étais là la veille, où de plus l'orage menaçait. Alors j'ai piteusement re-franchi les grilles, me retrouvant dans les rues de Versailles, de nouveau roture.
Musiques du sacre royal de Louis XIV Ensemble (choeur et orchestre) Correspondances, Les Pages du CMBV, direction Sébastien Daucé. Versailles, Chapelle Royale du Château, les 14 et 15 juin
Quelques rendez-vous à venir: Le bourgeois gentilhomme (de Molière... et Lully, 19 au 23 juin), Le devin de village de Rousseau (21 et 22 juin), Requiem à la mémoire de Louis XVI de Martini par Hervé Niquet (29 juin), Lucile Richardot en récital (Haendel, Lully, Cavalli, d'Anglebert) le 30 juin, Les Ars Florissants, opéra de Charpentier (7 juillet) Et d'autres concerts sur le site Versailles Festival.