L'auteur du ballet "Giselle" et de "Minuit, chrétiens" était aussi un compositeur lyrique dont "Le postillon de Lonjumeau" est l'opéra le plus célèbre. A l'Opéra-Comique Michel Fau le remonte avec la folie rigoureuse qui le caractérise, bénéficiant aussi des délirants costumes de Christian Lacroix et d'un couple de chanteurs formidable, le ténor Michael Spyres et la révélation canadienne Florie Valiquette.
Une profusion visuelle et sonore
L'Opéra-Comique, fidèle à son ADN, nous propose "Le postillon de Lonjumeau", très gros succès (en 1836) et bien plus qu'une oeuvre charmante, en tout cas dans la mise en scène que propose Michel Fau. Mais il faut justement quelqu'un de fou pour nous intriguer, avec un art consommé de ce qui est un des plaisirs de l'opéra, la profusion visuelle et sonore, l'une parfois, comme ici, renforçant l'autre. Evidemment certains détesteront, (sortis violemment et sans applaudir), car c'est du Michel Fau encore plus Michel Fau que d'habitude; mais la plupart des commentaires qu'on entendait était le reflet d'un immense plaisir qui se lisait sur maints visages souriants.
Un début en charmante bluette
Et pourtant cela commence comme une charmante bluette un peu désuète, avec son fameux air: "Oh! Oh! Oh! Oh! qu'il était beau/ Le postillon de Longjumeau". Cela devient plus intéressant quand on sait que ces complaisants couplets sont chantés... par le postillon lui-même, garçon fat nommé Chapelou et finalement assez peu sympathique, quoique héros de l'histoire.
Chapelou, ce jour-là, célèbre son mariage avec la jeune aubergiste Madeleine. Mais voici que le marquis de Corcy, mandaté par le roi Louis XV pour "trouver de belles voix", a entendu le gosier d'or de Chapelou et l'engage (ainsi que le forgeron Biju) pour aller chanter à l'Opéra et y faire fortune. Chapelou n'hésite pas et abandonne Madeleine aussi sec.
Le piège de la femme trompée
Dix ans plus tard Chapelou est devenu Saint-Phar, Biju Alcindor, ils triomphent et Corcy, leur "manager", est amoureux d'une madame de Latour qui, elle, a repéré Saint-Phar. Cette madame de Latour n'est autre que Madeleine, qui a hérité d'une vieille tante fortune et particule. Le piège de la femme trompée va se mettre en place, d'autant que le séducteur Saint-Phar (qui n'a pas reconnu Madeleine!) est immédiatement tombé amoureux de la Latour... ou de son titre. Mais au final, bigame et condamné pour cela par son rival Corcy à être pendu, il sera sauvé par Madeleine, qui rappelle à Corcy que ce n'est pas un "crime si l'on épouse deux fois, quand c'est la même femme"
Kitsch rose
Le premier acte n'est pas tout à fait à la hauteur du reste. La musique est un peu simple, le numéro du "Qu'il était beau" fait plutôt opérette provinciale. Dans un décor aux encadrements peints de roses ou de pivoines, et un dégueulis de couleur rose à côté de quoi les photos de Pierre et Gilles sont d'une austérité franciscaine, ces simples noces de village tournent au kitsch absolu. Les costumes de Christian Lacroix (qui se lâche comme jamais) sont "too much", les dialogues trop abondants et l'on craint d'être envahi de "trop de tout" (comme le disait Audrey Tautou-Chanel dans le film d'Anne Fontaine).
Maquillages insensés, chanteurs travestis
Mais après c'est beaucoup mieux. C'est même franchement très bien. La folie furieuse de Michel Fau et de Lacroix lui-même (et bravo aux décors découpés, entre Art Nouille et Bollywood, d'Emmanuel Charles, comme aux maquillages insensés de Pascale Fau inventant des faces de carême, c'est-à-dire de carnaval, aussi inquiétantes que sur les tableaux grimaçants du Belge Ensor!) convient à l'évolution de l'intrigue, où un Corcy poudré et couvert de fard (Franck Leguérinel, aussi retentissant de timbre que de présence farfelue) mène un groupe de chanteurs travestis comme on l'était à l'époque de Farinelli et des castrats, dirigés par un Saint-Phar avec des ailes dorées dans le dos et un Alcindor en cape rouge très Louis XIV et casque d'Athéna à petites ailes.d'argent.
Une musique qui regarde vers Rossini ou Rameau
Les autres sont à l'avenant, comme il convient à ces gens qui ont endossé, loin de leur condition de postillon ou de forgeron (même si les postillons, arpentant la France entière, avaient une réputation de séducteurs), une identité de dieu ou de héros qui remplace leur identité propre. Mais il y a mieux: la musique d'Adam elle-même monte d'un cran. L'air de Saint-Phar aux accents baroques, "Assis au pied d'un hêtre", celui à vocalise de madame de La Tour (on dirait du Rossini), et le "A la noblesse je m'allie" pastichant Rameau sont d'une très jolie inspiration, comme est drôle le choeur des chanteurs enrhumés ou le trio Saint-Phar, Alcindor et Bourdon, "Pendu!", qui préfigure celui de "La grande-duchesse de Gerolstein" ou le "Perdu" des conspirateurs dans "La fille de madame Angot" de Lecocq.
Michael Spyres, gosier d'or
Le triomphateur est Michael Spyres: non seulement la voix est magnifique, avec des notes aiguës jusqu'au contre-ré (le créateur, le ténor Chollet, avait sans doute un gosier d'or) mais le registre est constamment tenu, le médium d'une facilité déconcertante dans cette série d'airs extrêmement difficiles chantés, de plus, dans un français parfait. Mais il y a mieux: cet Américain de l'Amérique profonde joue le second degré du rôle avec le naturel confondant d'un Français habitué à ces mises en abîme beaucoup plus obscures pour nos amis d'outre-Atlantique.
Une vraie découverte que la Canadienne Florie Valiquette, voix charmante, facile, très virtuose (la projection peut progresser), qui tient très bien son personnage de fine mouche. On découvre aussi un Laurent Kubla en Alcindor, très bon baryton qui souffre seulement de sa proximité avec Spyres. Excellentes interventions du choeur, mélange d'Accentus et de l'Opéra de Rouen qui nous prête aussi son orchestre, à la prestation impeccable sous la baguette enjouée et dynamique de Sébastien Rouland.
Jolies trouvailles et... Michel Fau troublante servante
La mise en scène de Michel Fau est un peu statique à l'acte 1, dans l'excès de ses décors, de ses maquillages et des costumes de Lacroix vaguement Directoire avec des éléments Marie-Antoinette parfois... moyenâgeux; mais elle prend son envol ensuite, avec une succession de jolies trouvailles, les figurants de la deuxième noce qui traversent la scène à petits pas dansés, la jolie chorégraphie du trio "Perdu!" ou le jeu, dans l'ombre, de Madeleine et madame de La Tour, orchestré par la même Florie Valiquette pour perdre Saint-Phar, grâce à la complicité de la camériste, Rose.
Celle-ci (rôle parlé), Michel Fau se l'est attribué. On sait qu'il adore se travestir en femme, même si les amateurs d'opéra en rient bien moins que les amateurs de théâtre. Mais il en fait, au service de l'oeuvre, un double troublant de sa maîtresse, chacune dans une robe rose insensée avec une coiffure encore plus insensée, de plusieurs étages (plus Louis XVI que Louis XV), et qui se termine par un immense plumet rose dont on se demande comment il ne tombe pas. Avec leurs maquillages ce sont presque des figures de cauchemar et, si l'aventure n'était pas burlesque, on pourrait penser à quelque double psychanalytique. Ceci suffit à dire que "Le postillon de Lonjumeau" est bien plus étrange qu'il n'y paraît.
"Le postillon de Lonjumeau" d'Adolphe Adam, mise en scène de Michel Fau, direction musicale de Sébastien Rouland, Opéra-Comique, Paris, les 3, 5 et 9 avril à 20 heures, le 7 avril à 15 heures.