Le contre-ténor Jakub Josef Orlinski triomphe dans Vivaldi et Pergolèse

Jakub Josef Orlinski C) Piotr Porebsky

Jakub Josef Orlinski: c'est le nouveau nom qui brille au firmament des contre-ténors. Il chantait l'autre soir au Théâtre des Champs-Elysées le "Stabat Mater" de Pergolèse, ainsi que quelques airs de son nouveau Cd. Mais il faut être d'eux pour interpréter le "Stabat Mater" et c'est Katherine Watson qui l'accompagnait, malheureusement souffrante, de sort qu'on eut droit à une soirée un peu déséquilibrée...

 

Un plateau déséquilibré

Un "Stabat Mater" annoncé comme le phare de ce concert mais évidemment, comme il ne dure que quarante minutes, il fallait bien une première partie. Equitablement partagée entre les deux chanteurs, avec même un petit bout à l'orchestre.

Malheureusement Katherine Watson, étant souffrante, elle dut renoncer à un air du "Trionfo del tempo e del disinganno" de Haendel.

Elle maintint cependant de chanter du même Haendel un "Salve regina", précédé d'un extrait d'un concerto grosso (le mouvement lent de l'opus 6 n°6!) comme une introduction orchestrale... Bizarre idée! Julien Chauvin et ses musiciens du "Concert de la Loge" auraient pu nous jouer le concerto tout entier.

 

Katherine Watson C) Hugo Bernard

L'oeuvre catholique d'un protestant

Le "Salve Regina", lui, était d'autant plus intéressant que cette prière traditionnelle à la Vierge relève du pur catholicisme alors qu'Haendel était protestant avant de vivre en pays anglican. Il fallait donc que ce fût une oeuvre de commande, lors du séjour du jeune Haendel (22 ans) en Italie, principalement à Rome. Les aigus de Watson sont hélas! un peu étranglés mais le style est juste et l'émotion naît, même si la projection est un peu faible. Ce "Salve Regina" est évidemment très curieux, la deuxième section, "Ad te clamamus", sonne presque comme l'oeuvre de Pergolèse. Il est rare qu'un compositeur protestant écrive une oeuvre marquée par la liturgie catholique, à ma connaissance ni Bach ni Telemann ne s'y prêteront. Ne serait-ce que pour cela, ce "Salve Regina" méritait d'être entendu.

Ensuite Orlinski vint.

Une pochette coquelicot, une grande aisance vocale

Car il n'y avait plus que lui. Et comme il vient de sortir un album ("Anima sacra", recueil d'airs sacrés peu connus de l'époque baroque) on eut droit à trois airs successifs de compositeurs dont il serait méchant de dire qu'ils sont de second ordre, avec de nouveau une introduction orchestrale non identifiée (les affiches du théâtre indiquaient du Telemann mais ce n'était pas repris dans le programme, à moins que Chauvin n'en fît qu'à sa tête...)

Donc d'abord un "Dixit Dominus" de Domenec Terradellas, Catalan devenu Napolitain, auteur d'une musique de cour qui réussit à être tout ensemble enjouée et solennelle. Orlinski, élégant costume bleu, pochette rouge qui ressemble de loin à un coquelicot, grand sourire, fait montre d'aisance, d'un beau médium, d'une projection claire. Il est surtout d'une parfaite égalité sur l'étendue de la ligne vocale.

 

J.J. Orlinski C) Piotr Porebsky

Virtuoses vocalises

Et ce sera encore plus sensible dans le "Tam non splendet sol creates", hymne à la naissance du Christ de Nicola Fago, ce "Virtuosissimo Tarantino" (car né à Tarente, dans les Pouilles) installé à Naples et qui, lui, multiplie les vocalises, parfaitement rendues par Orlinski.

La clarté de la voix, le plaisir de chanter, le bonheur du partage. La tessiture est assumée dans un air plus grave de Johann Adolph Hasse, le "Mea tormenta, properate!" où Saint Pierre pleure la mort du Christ. Hasse travaillait à Venise après s'être converti au catholicisme, son "Saint Pierre et Sainte Marie-Madeleine" était écrit pour les chanteuses de l' "Ospedale" des Incurables, où il était maître de chapelle. C'est dans un autre de ces "Ospedali", devenus des pensionnats pour les jeunes filles formées à la musique, que Vivaldi exerçait à la même époque.

Belle homogénéité, belle réactivité, des musiciens du "Concert de la Loge", malgré des attaques souvent trop brutales.

Le chef-d'oeuvre de Pergolèse

Le "Stabat Mater" de Pergolèse, ce chef-d'oeuvre, souffrira du "problème Watson" même si les deux chanteurs auront tout fait pour le réduire. Il se trouve que les moyens un peu diminués de la chanteuse tombent sur l'oeuvre la plus intime, la plus bouleversante, la plus nue, du répertoire baroque. Quelques cordes et deux voix pour dire la douleur de la mère du Christ au pied de la croix, que Pergolèse a soigneusement divisée en douze sections regroupée en trois actes, où l'on s'élève peu à peu de la pure constatation du digne désespoir d'une mère à ce que l'âme chrétienne doit en tirer concernant le pardon des péchés.

Les douze sections alternent arias solistes et duos. On note le considérable effort fourni par Orlinski, en bon camarade, pour ne pas "couvrir" la voix fragilisée de sa partenaire. Il y réussit au point que parfois... c'est lui qu'on n'entend pas. Mais très beau "Quis est homo" où les deux se répondent à la tierce, avec des crescendos très réussis, très beau aussi le mariage des timbres dans le "Fac ut ardeat cor meum", un des sommets de l'oeuvre. Orlinski, quand il est seul, résiste à la tentation de donner du volume... d'autant qu'il n'a pas besoin de ça et l'oeuvre non plus.

Pergolèse, mort à 26 ans C) Whiteimages/Leemage

Et un petit bijou de Vivaldi

Du coup l' "Amen" final, qui est un jeu poignant d'échange et de virtuosité, n'a évidemment pas la simplicité lumineuse d'une conclusion. Et les musiciens, au bel engagement recueilli, sont parfois (les violons!) d'un dramatisme... grinçant.

Difficile, dans ces conditions, de conclure! Ils reprennent tous deux un extrait en guise de "bis" puis Katherine Watson s'assied à jardin, signe qu'elle autorise son camarade à continuer sans elle. Ce sera le "Vedro con mio diletto" qui l'a fait connaître du grand public (deux millions et demi de visite sur You Tube), tiré du " Il Giustino" de Vivaldi. Juste sentiment, beauté de la ligne, soutien vocal parfait, puissance, enfin, au service il est vrai d'un petit bijou musical qui renvoie Terradellas et Fago (Hasse un peu moins) à leurs chères études : Orlinski se lâche pour le bonheur déchaîné des fans. On en est un peu triste pour Katherine Watson qui, fair-play, applaudit avec conviction, et un sourire en prime.

Concert de Katherine Watson (soprano) et Jakub Jozef Orlinski (contre-ténor) avec "Le concert de la Loge" dirigé par Julien Chauvin: oeuvres de Haendel, Terradellas, Fago, Hasse et Pergolèse. Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 18 février

Album "Anima Sacra" de Jakub Jozef Orlinski (avec "Il Pomo d'Oro" dirigé par Maxime Emelianichev) paru chez Warner Classics