Un spectacle qui a dix ans: le "King Arthur" d'Henry Purcell, revu avec une bouffonnerie pleine de charme par Corinne et Gille Benizio alias Shirley et Dino, avec la complicité d'Hervé Niquet qui n'est pas en reste dans la folie douce. Il était représenté trois jours à l'Opéra royal de Versailles. Et les spectateurs, comme d'habitude, le premier moment de surprise passé, se laissaient aller de bon coeur.
Hervé Niquet, chef et showman
Quel joyeux spectacle sous les ors versaillais! Et qui n'a pas vieilli. Il continue de tourner et je ne saurais trop vous recommander de vous y précipiter s'il passe près de chez vous. La première mise en scène de Shirley et Dino était conforme au caractère de leur duo: d'une jolie bouffonnerie poétique. A quoi s'ajoutait la fureur burlesque d'un Hervé Niquet qu'on connaissait chef d'orchestre (baroque) de caractère mais qu'on découvrait showman.
Et si quelques ronchons s'insurgeaient en parlant de trahison d'une oeuvre, ils auraient tort. Précision initiale: "King Arthur" n'est pas un opéra. Ce n'est pas "Didon et Enée" par exemple, dont le même état d'esprit détournerait complètement le sens. "King Arthur" est une musique de scène, destinée donc à accompagner un long texte, pour rallier d'autres amateurs ou pour alléger la puissance (ou la pesanteur) des tirades. Et comme nous le dit Hervé Niquet (en Zygel déjanté), "c'était pour aller avec la pièce de Deri... Diri... j'arrive jamais à le dire" (ajoute-t-il en montant sur scène... en kilt.)
L'histoire d'Arthur, un prétexte
En fait John Dryden. Dryden qui était une star en son temps (la deuxième moitié du XVIIe siècle), écrivait sur tout et de tout, poésie, tragédies et satires, historiographe des rois de surcroît. "Et, ajoute Niquet d'un air las, ça durait cinq heures..." On comprend donc que la malheureuse musique de Purcell, qui fait en gros son heure vingt, était un petit bonbon de repos accordé au spectateur mais que l'essentiel était la pièce du grand, du noble Dryden.
Que dit-elle, cette histoire du roi Arthur? On ne sait pas, et peu importe. La musique fait (faisait déjà) office de liaison. Il y avait aussi à l'époque des danses, des chansons, des comédiens extravagants, des jongleurs... pendant qu'on changeait les décors. La (vague) trame nous conte donc la grandeur d'Arthur qui part en guerre contre les Saxons, invoque les dieux (comme un héros grec!) se perd dans les marais glacés, finit par obtenir la victoire et devient l'objet de conquête de deux courtisanes. Dans l'original Arthur et le roi saxon, Oswald, se disputaient la main de la belle Emmeline (c'est même sans doute pour cela qu'ils se faisaient la guerre...)
Entre "Kaamelott" et Monty Python
Ce qu'il y a de beau, c'est que Shirley et Dino (appelons-les ainsi) ont pris au sérieux non pas l'histoire mais le traitement qu'ils lui donnent. Car évidemment on est entre "Kaamelott" et les Monty Python. Le roi Arthur, roulant de grands yeux, l'air délicieusement ahuri, monte un cheval de bois noir ravissant, sorti d'un manège, mais qui porte son beau caparaçon de parade, rouge et or. Les tenues des soldats sont aux armes (burlesques) du roi. Il y a des fumigènes, une chanteuse façon déesse inca (avec un costume multicolore en plumes de perroquet), une forêt mystérieuse, un Niquet en costume tyrolien qui danse avec Dino, des casques de guerrier en forme de gamelles de soupe mais, quand le roi est sur son trône, il a une véritable couronne façon Elizabeth II (ou plutôt Henry VIII)...
La rigueur du désordre
Dialogues aux petits oignons, qui semble un travail collectif des trois compères, Corinne, Gilles et Niquet, nous plongeant dans un "monde incroyable (et presque hors du temps) où il n'y avait ni Internet ni Cyril Hanouna" et qui est d'ailleurs un peu "le théâtre dans le théâtre" avec des interventions constantes de "monsieur Gilles" (le régisseur) à Niquet (le chef) et en sens inverse, pour que le décor ne s'écroule pas et que la musique parte au bon moment. Il faut une belle rigueur pour construire ce désordre; mais il semble que le caractère fougueux de Niquet (qui fait, il faut le répéter, un véritable show: il faut le voir danser la tyrolienne en tenue idoine!) et la folie douce de ses deux complices se soient accordés à merveille. Plus encore, on rend grâce à tous les participants de cette entreprise d'avoir joué le jeu: il faut voir aussi les musiciens du Concert Spirituel, avant l' "acte du froid", se parer la tête de superbes (?) bonnets norvégiens pendant que, le rideau juste ouvert, leurs camarades du choeur traversent le plateau comme dans un concours de patinage de vitesse.
Joyeuse musique dans un sommet de loufoquerie
(Il y aura aussi, dans cet acte qui est un sommet de loufoquerie auquel certains spectateurs étaient d'ailleurs insensibles (en petit nombre, reconnaissons-le), un ours et divers pingouins qui sortent d'un immense frigidaire)
La musique de Purcell est joyeuse, dynamique, parfois poétique, parfois mystérieuse, épousant les divers climats qu'on a dû lui dicter. C'est une musique qui sait être solennelle (quand elle illustre les banquets royaux) mais qui est en tout cas beaucoup plus simple, plus immédiate dans ces circonstances précises, que celle de Haendel. La solennité mais aussi la gouaille de mélodies populaires ou de chansons de marins, trois cents ans avant Benjamin Britten.
Les moines des boîtes de camembert
Elle est évidemment retransmise au mieux (variété des climats) par le chef et les musiciens, si habitués qu'ils sont à la pratiquer, mais sans chercher non plus à l'approfondir (doit-elle l'être?) Les choeurs sont très bien... dans l'espace farfelu qu'on leur propose et la justesse du chant mais on les voit s'écarquiller les yeux à suivre Niquet au milieu de la mise en scène et cela provoque parfois des décalages.
Les cinq chanteurs sont globalement bons. La basse Joao Fernandes est un Arthur ahuri et très fin comédien. Dommage qu'il rate son "Air du froid" (popularisé en son temps par Klaus Nomi) par une ligne de chant chaotique! Les deux courtisanes (qui auront été auparavant déesses ou... infirmières!) se tiennent bien, avec un petit avantage à Chantal Santon-Jeffery sur Bénédicte Tauran. Les deux meilleurs sont le ténor Emiliano Gonzalez Toro et le baryton Marc Mauillon, impayables dans leurs robes de bure, Marc Mauillon surtout, très belle voix, qui ressemble, avec son air perpétuellement hilare et sa tonsure... ravageuse, aux moines des boîtes de camembert.
Le fantôme de Pierre Etaix
Si l'on ajoute qu'on a droit aussi à la chanson 1900 "On a le béguin pour Célestin" en version baroqueuse et qu'à un autre moment le public, conduit par Niquet et Dino, se met à faire le loup, le vent, le cerf ou les grenouilles, on aura presque fait le tour de cette soirée dont on sort heureux, Dryden dût-il se retourner dans sa tombe, mais le fantôme de Pierre Etaix, auquel on pense aussi, quittant dans la nuit retombée l'opéra de Versailles bien content d'avoir des héritiers.
"King Arthur" d'Henry Purcell, mise en scène de Corinne et Gilles Benizio, direction musicale d'Hervé Niquet, Opéra royal de Versailles les 7, 8 et 9 décembre.
Signalons que l'Opéra de Versailles programme ce 15 décembre et demain dimanche 16 "Le carnaval baroque" (celui de Venise) , un spectacle mis en scène sous la houlette de Vincent Dumestre et de son "Poème harmonique"
Un "Parcours du roi" est aussi proposé les vendredis et samedis (plusieurs séances possibles) jusqu'à la fin de décembre: visite nocturne de la Galerie des Glaces et de divers lieux du château avec musiciens, chanteurs et danseurs!