Aux "Flâneries musicales de Reims" Emmanuel Rossfelder, guitariste bavard et talentueux

Emmanuel Rossfelder C) Axel Coeuret

Depuis le 20 juin et jusqu'au 12 juillet, les Flâneries musicales de Reims sont chronologiquement un des premiers festivals de l'été. Retour en trois épisodes sur quelques moments passés en musique dans la capitale de Champagne.

Chaque concert trouve son lieu

C'est effectivement un des grands charmes de ces "Flâneries musicales": pendant trois semaines, à raison d'un à deux concerts par jour, les Rémois visitent ou revisitent leur patrimoine, chaque concert trouvant un lieu adapté à son format, de sorte que toutes les formes de musique ont droit de cité. Jean-Philippe Collard, enfant du pays, assure toujours avec sagesse la direction musicale des opérations et le hasard du calendrier m'a fait découvrir d'autres endroits, de sorte que... pas de maisons de champagne cette année, malgré leur lustre! (voir ma chronique du 4 juillet 2016)

Une église de campagne

Mais une petite église, déjà la campagne, sous un superbe soleil qui rend éclatante la réverbération de la pierre. Cette église dédiée à Saint Théodulphe (?), endommagée pendant la première guerre mondiale, conserve quelques belles sculptures d'art champenois, elle est à taille humaine, idéale pour la guitare. Emmanuel Rossfelder est assis sur une chaise devant l'autel et on a dû mettre des sièges dans les bas-côtés!

Les trémolos à la guitare

Il commence par une pièce de Francisco Tarrega, compositeur aussi connu des guitaristes que Chopin et inconnu, par exemple des pianistes qui jouent Chopin. C'est l'inventeur de la guitare moderne. Sa "Grande jota" est une mélodie assez familière avec des variations, des descentes de cordes à foison. Rossfelder expose sagement le thème, se consacre davantage aux variations, il a une sonorité liquide (de très jolis pizzicati), à un moment il fait des effets de tambours, c'est virtuose mais jamais façon "Regardez-moi, voyez c'que j'sais faire"

Il poursuit par la si belle "Recuerdos de la Alhambra", mélodie poignante où Tarrega est à son meilleur. Mais avant Rossfelder nous a expliqué que c'est une pièce "à trémolos" et donc ce qu'est un trémolo de guitare; du coup cette pièce que j'ai souvent entendue, et qui est très virtuose parce qu'elle comprend, non pas mélodie et accompagnement, mais vraiment deux mélodies, m'explique un peu les sensations que j'ai pu ressentir.

Instrument délicat, tourné vers l'Espagne

Rossfelder va ainsi distiller des explications où une note historique ou géographique se mêle à la technique, mais une technique accessible aussi pour tous ceux qui n'ont jamais fait de guitare. Assez en tout cas pour nous faire comprendre que cet instrument galvaudé par des générations d'imitateurs de Keith Richards (ou de Maxime Le Forestier) demande un peu de travail et de talent.

C) Axel Coeuret

Le regret, évidemment, c'est qu'il y a beaucoup de transcriptions, d'autant que ce programme a choisi d'être espagnol, avec des mélodies célèbres, "Andaluza", danse de Granados, où l'on identifie sur l'intrument de Rossfelder les aigus du piano, le dépouillement du piano. Et dans "Asturias" d' Albeniz, un ostinato dont il faut tenir la rythmique implacable (un peu à la manière du "Fandango" de Soler) et Rossfelder, malgré quelques imprécisions, le fait rudement  bien.

Une anecdote bruitiste

Il raconte aussi. Je l'avais entendu à Nantes, il racontait moins. Il sent la salle avec un vrai instinct, s'enhardit, sourit, joue le charme (qu'il a vraiment), se lance même dans une histoire que l'on a tous vécue, le moment le plus calme du concert (même symphonique) où il y a TOUJOURS le téléphone non éteint, un éternuement d'hippopotame, la canne qui tombe. Et même, nous dit-il, dans le silence de trois notes, hiiiii, la porte qui grince, les talons sur la pierre, clac-clac-clac, une photographe-journaliste tout à coup devant lui, au milieu du public, vlan vlan je te mitraille, vlan vlan je te mitraille de biais, flash, flash, clac-clac-clac, je repars sur la pierre, hiiii, la porte qui.... blam!

C'était à Fourmies, département du Nord.

Un Autrichien sans génie, un beau Villa-Lobos

Il nous présente ensuite Johann Kaspar Mertz, autrichien, dit le Chopin du piano, par son écriture avec mélange des mains, générant deux mélodies. C'est très bien, sauf que les mélodies de Chopin sont géniales et celles de Mertz platounettes. Ensuite une "Fantaisie hongroise". Qui tourne à vide, et là aussi on a tous Liszt en mémoire.

Le beau "Premier prélude" de Villa-Lobos, qui avait de grosses mains trapues et qui donc a développé une écriture de guitare particulière, qui rappelle le violoncelle. C'est très beau. Mélodie accentuée, mélodie non accentuée. Un grand beau morceau, et purement pour l'instrument. Puis Paganini, qui eut si peu de chance avec ses tentatives guitaristiques. Il n'était pas doué pour la guitare, nous dit Rossfelder: "Je suis le maître du violon, la guitare est mon maître".

Paganini, violon et guitare

Donc il faut transcrire. Rossfelder s'y est collé. Le célèbre "24e caprice" réussit à être si "guitare" qu'il en sonne, non italien mais espagnol.  et Rossfelder donne un caractère à chaque variation. "La Campanella" est éblouissante... tellement elle nous semble simple. Petites notes répétées, passage où les doigts claquent, accords virtuoses.

Les gens sont ravis. Un "bis" d'un certain Mozzuani, si j'ai bien compris, avec des effets de doubles trémolos, appris du grand Alexandre Lagoya par le petit Rossfelder, 17 ans (après les effets d'arpège à 15 ans)

Ensuite, sous les tilleuls (ou les platanes, je n'ai pas la main verte), un mot gentil pour l'une, un grand sourire pour l'autre: Rossfelder prolonge la rencontre. On a le temps, il fait si beau et la guitare, soudain, nous est plus proche.

Récital Emmanuel Rossfelder, guitare : oeuvres de Tarrega, Granados, Albeniz, Mertz, Villa-Lobos et Paganini. Eglise de Champigny (Marne) le 25 juin.