C'est lui qui a le plus à perdre. De tous les candidats à la primaire de la gauche, Manuel Valls est celui qui joue le plus gros. Ministre de l'intérieur, puis chef du gouvernement, pendant les quatre premières années du quinquennat de François Hollande, il incarne à la perfection, aux yeux des partisans de l'aile gauche du PS et au-delà, ce social-libéralisme tant honni. Pire que lui, selon eux, il n'y a guère qu'Emmanuel Macron !
Mais les frondeurs socialistes ne sont pas les seuls adversaires de Valls. Il rassemble aussi contre lui une bonne partie des "Hollandais" qui n'ont pas digéré l'habile manoeuvre d'encerclement qu'il a opéré autour du président de la République pour le contraindre à dévoiler, le 1er décembre 2016, son retrait prématuré de la compétition. Certes, le chef de l'Etat est seul à s'être mis dans cette situation inédite mais son premier ministre d'alors lui a donné le coup de grâce.
Et puis, il y a ceux qui ont du mal avec sa raideur intellectuelle, son attitude cassante et ses conceptions rigides, notamment sur la laïcité. Sans compter ceux qui considèrent que Valls est le Sarkozy de la gauche et qui envisagent donc, non sans un certain "plaisir sadique", de lui faire subir le même sort dès le premier tour de la primaire, dimanche 22 janvier. Il suffit d'entendre Gérard Filoche, fantôme du trotskisme au sein de la direction du PS et héros de la frange des ultras, pour s'en convaincre sans difficulté.
Une faible participation lui serait défavorable
Délaissé par une partie grandissante de la strate réformiste du Parti socialiste qui lui préfère déjà Macron et "canardé" par les différentes brigades de la gauche du parti, le nouveau député de l'Essonne (il a retrouvé son siège le 7 janvier, après sa démission de Matignon) pourrait bien être la prochaine victime du mécanisme des primaires... Après Juppé et Sarkozy dans celle de droite. Et Duflot chez les écologistes. Il complèterait ainsi un tableau de chasse qui n'a pas cessé de s'enrichir.
Une élimination dès le premier tour constituerait une surprise de taille. Et un désaveu cinglant pour l'ex-premier ministre. Au second, ce serait certainement contre Hamon ou Montebourg... à moins que ce dernier retrouve la même troisième place qu'à la "primaire citoyenne" de 2011 - il avait obtenu 17,19% des suffrages au premier tour. Valls, pour sa part, avait terminé avant-dernier (5,63%) derrière Ségolène Royal, quatrième avec 6,95% des voix.
Comme Sarkozy dans la primaire de droite, Valls compte beaucoup sur la participation électorale. Mais son espoir est diamétralement opposé à celui qui animait l'ancien président de la République. Autant ce dernier tablait sur une "primaire étroite" avec une participation réduite si possible au noyau dur du peuple de droite, c'est-à-dire les militants du parti "Les Républicains", autant l'ex-premier ministre escompte une "primaire large" avec une audience conséquente dépassant le foyer incandescent des militants les plus engagés sur la gauche... donc anti-Valls.
Hamon dame le pion à Montebourg avec le revenu universel
Malheureusement pour lui, c'est plutôt une "primaire étroite" qui se profile, contrairement à ce qui s'est passé à droite. Avec près de 4,3 millions d'électeurs au premier tour, la primaire de droite de 2016 a été une véritable réussite : la primaire de gauche de 2011 (qui était ouverte pour la première fois) avait rassemblé environ 2,7 millions de votants au premier tour également. Les dirigeants socialistes espèrent en attirer, cette fois-ci, aux alentours de 2 millions. Un chiffre inférieur serait interprété comme un échec même si, logiquement, une primaire du pouvoir en place fait moins recette qu'une primaire de l'opposition.
Autre handicap pour Valls, le risque pour lui de voir cette primaire se jouer logiquement très à gauche. En effet, ce phénomène serait assez normal car il serait le pendant de la primaire de droite qui s'est réglée... très à droite avec la désignation de François Fillon. L'ancien premier ministre de Sarkozy flirte avec des thèses très libérales sur le plan économique et très conservatrices dans le domaine sociétal. Dans le camp socialiste, Hamon a damé le pion à Montebourg, sur sa gauche et dans la dernière ligne droite, avec sa proposition, jugée extrêmement coûteuse par ses concurrents, de revenu universel.
Au final, les choses ne se présentent pas au mieux pour celui que les sondages donnaient favori, sans trop de contestation, au début de la courte campagne. Parmi les trois candidats les mieux placés - Hamon, Montebourg et Valls, par ordre alphabétique -, l'un restera sur le quai pour voir les deux autres s'affronter dans le tour ultime. Et si le premier tour n'est pas fatal à Valls, le second, lui, pourrait bien l'être. Car le troisième ne se désistera certainement pas pour lui...