L'affaire est entendue. Pour l'extrême gauche, la gauche de la gauche et la gauche du PS, Emmanuel Macron est de droite. Pour l'extrême droite, la droite de la droite et la droite du parti "Les Républicains", il est de gauche. Pour les centres de François Bayrou et de Jean-Christophe Lagarde, il est encombrant. Pour les instituts de sondage, Macron est, aujourd'hui, le "troisième homme" de l'élection présidentielle. Pour ses partisans, il sera le prochain chef de l'Etat ! Et à 39 ans, le plus jeune de toutes les Républiques françaises devant... Louis-Napoléon Bonaparte "intronisé" à 40 ans !
En quelques années, l'ancien conseiller de François Hollande pendant la campagne de 2012, qui a transité par le secrétariat général de l'Elysée, comme adjoint, avant d'aller à Bercy, comme ministre de l'économie jusqu'au 30 août 2016, est passé du statut d'"OPNI" quasi-inconnu à celui de "candidat chamboule-tout" à la présidentielle. Au point de commencer à ébranler un scénario déjà écrit pour 2017 comme nous l'analysions ici, en décembre.
A un peu plus de trois mois de la mère des batailles électorales, il se passe incontestablement quelque chose de nouveau sur la scène politique : Macron est devenu la cible des tous les principaux candidats de la présidentielle. Tous avaient voulu croire - et pas seulement eux - que la création de son mouvement "En Marche", en avril 2016, ne serait qu'un feu de paille. Que l'homme n'avait aucune consistance politique. Qu'on leur avait fait tellement de fois le coup du projet transpartisan, toujours avec le même résultat : l'échec.
Avec son parcours éclectique, il frappe à toute les portes
Ses détracteurs les plus acharnés - souvent situés à gauche de la gauche et à l'extrême gauche - assurent que la "macronmania" n'est qu'une opération de marketing, très bien orchestrée. Ils y voient la main de l'oligarchie qui tenterait de sauver son pouvoir vacillant. Les thèses politiques complotistes ont toujours eu beaucoup de succès dans ces strates. Les plus audacieux imaginent même un "bureau politique secret de la bourgeoisie" à la manoeuvre... Et l'extrême droite va s'y mettre aussi.
Le problème est que marketing ou pas marketing, un échantillon de plus en plus large d'électeurs tourne les yeux vers Macron. Il suffit simplement de prendre la mesure de l'audience de ses meetings. Là où les ténors socialistes en campagne pour la primaire de la gauche rassemblent quelques centaines de personnes, lui en ameute quelques milliers. Et jusqu'à plus ample informé, tout ces gens ne sont pas des figurants recrutés pour venir entendre "la bonne parole" mais des citoyens volontaires.
Et tous ces gens sont de plus en plus nombreux, à en croire l'évolution des sondages. De quoi faire pâlir d'envie plus d'un candidat à la présidentielle. Et pas seulement à gauche. Ou au centre. Car la particularité de Macron est de taper dans tous les azimuts. Il est vrai que son parcours éclectique lui permet de frapper à toutes les portes. Ce qui ne fait évidemment pas plaisir à toutes les composantes du "système" qui n'ont donc aucune raison de lui faire de cadeaux. Affaire de parts de marché. Accusé d'être le produit-type du "système", il en est, paradoxalement, la cible principale.
Il représente la cohabitation qui plait à l'inconscient collectif
Jeune chevènementiste en 2002 (il a 25 ans) car il s'interroge sur "le rôle de l'Etat", il contribue à la défaite de Jospin. Il est adhérent du Parti socialiste de 2006 à 2009. Il est de ceux - le groupe des Gracques - qui plaide, en 2007, pour une alliance avec les centristes. Enarque, inspecteur des finances, il se met en disponibilité de la fonction publique, en 2008, pour devenir banquier d'affaires chez Rothschild. Il fait la connaissance de Hollande en 2010 dont il devient donc un conseiller avant d'entrer dans la sphère du pouvoir. Macron a la particularité d'avoir été sollicité, dans sa courte carrière, à la fois par la gauche et par la droite - quand Fillon était à Matignon - mais de n'avoir répondu positivement qu'à la première.
"Je me sens pleinement de gauche (...) mais qu'est-ce que c'est être de gauche ?" se demandait-il, en 2015, répondant, aux Etats-Unis, aux questions de la journaliste Laurence Haïm qui vient de rejoindre son équipe présidentielle, en qualité de porte-parole pour les questions internationales. De gauche, certes, mais pas la gauche du congrès d'Epinay, celle du regroupement de façade des courants socialistes et de l'affirmation de l'alliance avec le PCF. Lui, c'est plutôt la gauche réformiste, social-libérale, la gauche américaine à la mode démocrate. Celle justement qui n'a jamais vraiment réussi à percer en France.
Macron revendique de faire "un travail de fragmentation idéologique". Un bon moyen de se mettre tout le "système" à dos. Il prétend secouer les archaïsmes de gauche... et les vieilleries de droite. Au fond, Macron représente la cohabitation à lui tout seul. Comme si Chaban-Delmas avec sa "nouvelle société" et Rocard avec la "deuxième gauche" étaient réunis en un seul homme. C'est le genre de configuration qui plaît à l'inconscient collectif de l'opinion et que détestent les appareils politiques. C'est pourquoi ils lui tombent dessus. Il n'en a cure : "les critiques qui viennent du monde politique ne m'atteignent en rien", dit-il, un brin présomptueux. Comment donc un blanc-bec qui n'a jamais été confronté à une élection et qui n'a pas 10 ans de carrière politique pourrait-il en remontrer à de vieux routiers, bardés de mandats et en tournée permanente depuis 20, 30 ou 40 ans ? Et si c'était ça aussi qui faisait son succès du moment ? Ce succès qu'il veut enraciner.