Emmanuel Macron est donc entré dans la danse. En annonçant la création de son mouvement "En Marche", le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique n'a pas fait que des heureux. C'est un euphémisme ! Il a surtout trouvé une nuée prête à lui tomber dessus. A droite et à gauche.
Car Macron est ce qu'on appelle un "OPNI", un objet politique non identifié. Il évolue dans une sphère qui a pour habitude d'utiliser un classement traditionnel allant de l'extrême droite à l'extrême gauche. Cette échelle structure, depuis environ deux siècles, la vie politique française. Mais lui ne place son mouvement ni à droite ni à gauche.
L'affirmation a de quoi surprendre un peu : le ministre Macron ne siège-t-il pas dans un gouvernement de gauche ? Il est vrai qu'une partie de la gauche - pas seulement l'extrême gauche ou la gauche radicale - considère que ce gouvernement conduit une politique de... droite. Paradoxalement, c'est une manière involontaire de lui donner raison au sujet de son positionnement.
En 1969, Chaban-Delmas lançait la "Nouvelle société"
A un moment où les Français accordent une confiance toute relative au personnel politique - aucun responsable n'atteint 50% sur l'item "image positive" dans un sondage Elabe pour "Les Echos" (page 15) - et alors que l'opinion se défie des partis, l'irruption de cet "OPNI" est perçue comme une bouffée d'air frais gagnante pour les uns... mais aussi comme un "remake perdant" pour les autres.
Macron est-il une icône qui arrive au bon moment pour faire exploser un paysage politique ankylosé ou n'est-ce qu'une énième tentative, comme la Ve République en a déjà connu, qui ne fera pas long feu face au poids des appareils ? De Lecanuet, en 1965, à Bayrou, dans les années 2000, en passant par Chaban-Delmas (1969), "JJSS" (1974), Rocard ou Barre (1988), la France a eu son lot de "hérauts présidentiels éphémères". Un seul a réussi à percer : Valéry Giscard d'Estaing.
Tous ont été ministre - cela n'a pas duré plus de deux semaines pour Jean-Jacques Servan-Schreiber (JJSS) avec Jacques Chirac comme premier ministre -, voire chef du gouvernement pour certains d'entre eux et candidat à la présidence de la République, sauf JJSS, pourfendeur de "l'Etat-UDR" (ancêtre du parti "Les Républicains") que Chirac surnommait "le Turlupin". Ils ont en commun d'avoir voulu s'affranchir, plus ou moins explicitement, des appareils et des partis.
A la présidentielle de 1965, le centriste Jean Lecanuet (15,6% des suffrages au premier tour) tente de trouver un espace entre le général de Gaulle (44,7%) et François Mitterrand (31,7%) : patron du MRP (Mouvement républicain populaire), il a alors 45 ans et il est baptisé le "Kennedy français". Un an après Mai-68, Jacques Chaban-Delmas essaie de sortir du ronronnement gaulliste en lançant l'idée de la "Nouvelle société" : un zest de jeunesse et de social dans le conservatisme. Ce sera un échec - programmé par son opposition interne - de cette opération de rénovation.
Ministre de l'économie, comme Giscard d'Estaing en 1974
Avec "JJSS", avant et après 1974, c'est la réussite entrepreneuriale de centre-gauche qui fait le pari de s'imposer au centre-droit politique. L'homme est brillant mais fantasque. Sa carrière politique sera en dents de scie et son décryptage parfois malaisé. Avec Rocard et Barre, ce sont des tentatives pour briser la domination mitterrandienne sur le Parti socialiste dans un cas et celle du néo-gaullisme chiraquien sur la droite dans l'autre. A chaque fois, ils s'y casseront les dents.
En près de 60 ans de Ve République, un seul a donc réussi à percer le mur des appareils : VGE. Privé d'une vraie structure de combat pour le soutenir, Giscard - il était lui aussi ministre de l'économie - est quand même parvenu jusqu'à l'Elysée en 1974. Il avait tout juste 48 ans. Soit 10 ans de plus que Macron aujourd'hui. Comparaison n'est pas raison bien sûr ! Il n'en demeure pas moins, cependant, que l'actuel locataire de Bercy offre indéniablement une perspective à une partie de l'opinion.
Bien que membre du gouvernement, donc directement "comptable" de ses réussites et surtout de ses échecs, il semble comme "mythridatisé" face au plongeon de popularité du tandem de l'exécutif. Contre vents et marées, il se maintient à un haut niveau de "bonnes opinions" derrière Alain Juppé. Et n'est-ce pas ce candidat potentiel là - plus que Sarkozy, Le Maire ou Fillon - que le maire de Bordeaux pourrait redouter dans une présidentielle ? Car, d'un coup, Macron "en marche" les ringardise tous. Comme il laisse sur place la gauche immobile !