Voilà que ça se précise. Le paysage de l'élection présidentielle de 2017 commence à se dégager un peu. Du moins sur un côté de l'échiquier politique. Tandis que sur l'autre, on ne peut pas dire que cela soit d'une clarté aveuglante. C'est même plutôt le genre foire d'empoigne. Et rien n'indique que ça va s'améliorer. Commençons donc par la gauche, là où ça se bouscule au portillon.
En dehors des inévitables candidatures trotskistes de témoignage - Nathalie Arthaud pour Lutte ouvrière (LO), Philippe Poutou pour le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et un hypothétique prétendant lambertiste du Parti ouvrier indépendant (POI) -, Jean-Luc Mélenchon, candidat de la gauche de la gauche (La France insoumise), s'est déclaré, hors primaire. Il "bénéficie", si l'on ose dire tant la direction du PCF a traîné les pieds, du soutien (53,6% contre 46,4%) d'un maigre corps électoral : 56.000 militants ont officiellement voté.
Sur la droite de Mélenchon, et selon une technique éprouvée de longue date, le Parti radical de gauche (PRG) a décidé de présenter sa présidente, Sylvia Pinel, elle aussi hors de la future primaire du PS. Pas pour la voir entrer à l'Elysée, évidemment, mais pour exercer une menace sur l'appareil de la rue de Solferino en vue de négociations pour les investitures aux législatives de 2017. Côté écologistes, Yannick Jadot est sorti vainqueur d'une primaire exclusivement verte dans laquelle l'ancienne ministre, Cécile Duflot, avait été éliminée dès le premier tour de façon pas tout à fait inattendue.
La "Belle Alliance populaire" de gauche, la si mal nommée
Sans doute saisi par un accès d'humour, le Parti socialiste, sous la baguette de son premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, a lancé la "Belle Alliance populaire" de gauche - la si mal nommée - qui ne rassemble autour de lui que deux micro-partis écolos. C'est au sein de cette belle alliance que doit se dérouler la primaire de gauche. Y sont déjà inscrits quatre socialistes (Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, anciens ministres sous François Hollande, Marie-Noëlle Lienemann, ex-ministre de Lionel Jospin et Gérard Filoche, membre du conseil national du PS qui a longuement milité à l'extrême gauche auparavant) ainsi que deux écologistes (François de Rugy du parti "Ecologistes !" et Jean-Luc Bennhamias de l'Union des démocrates et écologistes).
A l'extrême droite, une seule candidate est en lice - Marine Le Pen - depuis plusieurs années. Et la proposition du député Gilbert Collard d'organiser, là aussi, une primaire en 2022 ne suscite que peu d'échos à la tête du Front national. C'est un euphémisme. La culture du chef ne s'accommode guère de consultations qui pourraient laisser apparaître différentes lignes dans le parti. Et pourtant... Tous les sondages, depuis des mois et des mois, donnent la présidente du FN présente au second tour de la présidentielle, avec une quasi-certitude.
La droite, elle, s'est choisie François Fillon comme champion ou "candidat idéal", le 27 novembre, au terme d'une primaire qui a vu, successivement, l'élimination du jeu politique des deux favoris de toutes les enquêtes d'opinion. Nicolas Sarkozy s'est fait sortir sèchement (20,7% des voix) au premier tour et Alain Juppé s'est fait battre à plate couture (33,5%) au second. Premier ministre discret pendant tout le quinquennat de Sarkozy qui l'avait affublé du qualificatif désobligeant de "collaborateur", Fillon a fait une incroyable remontée dans les dernières semaines de campagne pour s'imposer sans contestation. Très conservateur sur le plan sociétal, catholique affirmé et très libéral en économie, il a su capter un échantillon électoral de la droite qui s'est largement reconnu dans ses thèses et dans ses convictions.
De la tectonique des plaques à la "dérive des électorats"
Face à la cacophonie que fait entendre la gauche, cette désignation du candidat de la droite pour 2017 est - de loin - le fait le plus marquant de cette fin d'année politique. Avant, peut-être, l'annonce par François Hollande de son propre choix : stop ou encore ! La victoire de l'ancien élu sarthois devenu député de Paris ouvre presque mécaniquement, en effet, le jeu au centre de l'échiquier politique. Lui-même étant un concurrent dangereux pour Le Pen dans les strates de son électorat "bourgeois-libéral", notamment dans le sud de la France, il délaisse en chemin une frange du peuple de droite moins acquise à sa posture "pré-moderne" dans le domaine des moeurs et hostile à sa rigidité sur le terrain social.
Ce glissement possible - probable ? - de pans de l'électorat, en partant de l'extrême droite, s'apparente un peu à la tectonique des plaques issu du concept de la dérive des continents. Dès lors, on assisterait, par analogie, à une "dérive des électorats" susceptible de provoquer des séismes politiques. Le choix Fillon fait à travers la primaire peut entraîner, en l'espèce, une expansion électorale sur la droite de la droite et une rétraction homothétique sur la gauche de la droite. Conséquence : un espace centriste s'élargit et ainsi s'ouvre la bataille du centre pour 2017. Cette mécanique politique n'a pas plus échappé à Emmanuel Macron qu'à François Bayrou.
Macron, ancien conseiller, puis ministre, de Hollande (2012 à août 2016) se dit "ni de droite ni de gauche" pour tenter de ravir le leadership du centrisme au président du Modem. Les deux hommes se battent sur le même espace. Les sondages - tant décriés, à tort - accordent, au mois de novembre, un pactole d'intentions de vote oscillant entre 19% et 20,5% au "bloc électoral Macron-Bayrou", avec Fillon comme candidat de la droite. Avec un net avantage au premier du duo (13% à 15%) sur le second (5,5% à 7%), tant à l'Ifop que chez Odoxa ou Harris Interactive. Une autre enquête réalisée par Kantar Sofres après la publication du résultat final de la primaire de droite conforte cette observation. Ministre de 1993 à 1997 sous Mitterrand, puis Chirac, déjà trois fois candidat à la présidentielle (2002, 2007, 2012), délié par la défaite de Juppé, Bayrou se lancera-t-il dans une quatrième tentative pour contrer le premier essai de son jeune concurrent ? Ou bien lui laissera-t-il le champ libre ? Tel est l'enjeu de la prochaine bataille du centre.