Réformera, réformera pas ? "Je ferai voter une loi sur le non-cumul des mandats". Cet engagement porte le n° 48 dans la liste des 60 que le candidat Hollande a soumis à l'électorat pendant la campagne présidentielle de 2012. Sera-t-il à mettre, finalement, dans la colonne des renoncements prématurés ?
La question se pose avec d'autant plus d'acuité que des poids lourds socialistes sont montés au créneau, ces derniers jours, pour apporter de l'eau au moulin des opposants. Non pas qu'ils soient eux-mêmes contre la fin du cumul mais ils prônent de prendre le temps... ce qui revient à prendre le risque d'enterrer la réforme !
C'est Bartolone, président de l'Assemblée nationale, qui déclare dans Libération, au début du mois, que "le non-cumul ne pourra pas s’appliquer d’ici les municipales". C'est Valls, ministre de l'intérieur, qui confie à des lecteurs du Parisien : "Pour 2014, c’est très difficile parce que cela provoquerait plusieurs dizaines de démissions de députés qui choisiraient de garder leur mandat local. Ce serait une minidissolution. Ce serait une faute." En clair, l'engagement, c'est d'accord mais pas pour maintenant.
Aussitôt, le patron du PS, Harlem Désir, contre-attaque dans un communiqué, le 15 février, en rappelant que "cet engagement du président de la République a reçu l’approbation des Français et [qu'il] doit être tenu au plus tôt dans le quinquennat". Il en met une seconde couche dans une tribune publiée le 19 par Le Monde, en laissant entendre que le recours au référendum (déjà évoqué ici) n'est pas à exclure.
Une question sur le tapis depuis... 15 ans
Le lendemain, c'est au tour de plusieurs députés socialistes, dont notamment Christian Paul (Nièvre), animateur du groupe de réflexion "La gauche durable", Jean-Marc Germain (Hauts-de-Seine), proche de Martine Aubry, et Adeline Hazan, maire de Reims (Marne) de se rappeler au bon souvenir des tièdes ou des opposants à cet engagement, tel le patron des sénateurs PS, François Rebsamen, maire de Dijon (Côte d'Or) et ancien soutien de Ségolène Royal.
Pour Christian Paul, le combat contre le cumul des mandat est ancien puisqu'il signait déjà une tribune collective sur le sujet dans Libération... il y a exactement 15 ans. Il était alors en bonne compagnie puisque parmi les signataires s'en trouvaient trois qui sont devenus ministres : Montebourg, Peillon et Touraine.
Ce thème est devenu un enjeu au sein du Parti socialiste. Aubry, assez silencieuse depuis son passage de témoin à Désir comme premier secrétaire, s'est désolée, mardi sur RTL, de voir s'éloigner la volonté de l'exécutif de mettre un terme à une exception en Europe. Le patron des députés PS, Leroux, et celui du MJS (Mouvement des jeunes socialistes) ont tiré dans le même sens.
Ce thème du cumul des mandats était tellement important pour le PS qu'il n'hésitait pas à dire que sa limitation est "la clé du renouveau démocratique". Une opinion certainement partagée par le président de la République qui avait chargé la commission Jospin de plancher sur la rénovation de la vie publique : celle-ci s'est prononcée contre le cumul.
82% des députés et 77% des sénateurs sont des cumulards
Parmi les 35 mesures avancées par le groupe de réflexion que présidait l'ancien premier ministre, l'une tend à rendre incompatible le mandat de parlementaire (député et sénateur) avec tout mandat exécutif autre qu’un mandat local simple, comme conseiller municipal, conseiller général [qui va devenir conseiller départemental] ou conseiller régional.
Bon nombre des parlementaires opposés à la limitation du cumul des mandats sont évidemment maire de grandes ville et président de conseil général ou régional. Il s'agit là de trois catégories de mandat exécutif où la gauche, et particulièrement les socialistes, sont très bien représentés compte tenu de toutes les élections intermédiaires de ces dernières années.
"Aujourd'hui, écrit la commission Jospin dans son rapport, 476 députés sur 577 (82%) et 267 sénateurs sur 348 (77%) sont en situation de cumul. Parmi eux, 340 députés (59%) et 202 sénateurs (58%) exercent des fonctions exécutives dan des collectivités territoriales. Ces parlementaires sont le plus souvent à la tête des exécutifs dont ils sont membres : 261 députés (45%) et 166 sénateurs (48%) sont soit maire, soit président de général, soit président de conseil régional."
Il s'agit là d'une vrai exception française parmi les grandes démocraties ou monarchies constitutionnelles européennes. En effet, on dénombre 3% de cumulards au Royaume-Uni, 7% en Italie, 20% en Espagne, 24% en Allemagne. Une exception que rien ne justifie plus depuis la montée en puissance des lois de décentralisation... à partir des années 1980.
Il s'agit uniquement d'une question de volonté politique
L'argument des parlementaires opposants sur la nécessité de l'ancrage local, sous entendu celui de maire et de président de conseil général ou régional, n'est pas très convaincant. Car ils pourront très bien rester conseiller municipal, départemental ou régional. Et ils pourront aussi bien "labourer le terrain" dans cette plus modeste condition, au risque de se faire battre dans un scrutin uninominal à deux tours pour les députés et dans un scrutin au second degré avec de grands électeurs pour les sénateurs.
L'opinion, qui est majoritairement favorable à la fin du cumul des mandats, devra aussi mettre en accord ce penchant anti-cumul avec son attitude électorale qui consiste souvent à donner une prime aux cumulards !
Enfin, l'argument du ministre de l'intérieur sur le risque d'une "mini-dissolution" s'il est mis un terme au cumul avant les municipales de 2014 n'est pas plus convaincant que les autres. Dans la technique législative, ou référendaire si nécessaire, il est tout à fait possible de faire une sortie en sifflet qui permettrait aux parlementaires de choisir parmi leurs mandats pour, soit laisser leur siège à l'Assemblée ou au Sénat à leur suppléant ou leur remplaçant, soit opter pour un mandat local simple en restant parlementaire.
La fin du cumul des mandats n'est en rien une affaire d'ancrage ou de calendrier, c'est une question de volonté politique. C'est celle du respect d'un engagement. La fin du cumul, c'est maintenant !