Une page s'est tournée. Une de plus. Peut-être devrais-je même parler d'un livre qui se ferme. Bien évidemment, pour chaque livre qui se ferme, ce sont des nouveaux mots qui vont s'écrire. Et cette nouvelle aventure ne fera probablement pas exception.
En réalité, à l'échelle de ma petite vie, je dois bien dire que cet été, c'est à l'échelle d'une bibliothèque que se font les changements. D'aucun diront... "crise de la quarantaine" (oui, bon... on n'y échappe pas, en fait... à la quarantaine).
Moi, j'ai envie de dire que je vis, en fait, une forme de continuité.
Continuité dans la curiosité, sauf que le choix que j'ai fait est probablement le plus important, différent, de ceux que j'ai pu faire auparavant.
Mais, avant de regarder le futur, petit coup d'oeil dans le rétroviseur.
Quinze années... c'est le temps passé au sein de la Police Judiciaire, qu'elle soit parisienne, ou Centrale, avec un passage (trop bref) par les Antilles.
Je me revois, mes premiers jours dans le service d'investigation, rejoindre ceux qui étaient pour moi, à l'époque un peu comme des "idoles", les stars du service. J'étais un enfant, fier d’intégrer ce qu'on appelait à l'époque le Service d'Investigation et de Recherches. J'étais encore Agent de Police Judiciaire, et je voyais les OPJ qui traitaient des dossiers si intéressants. J'y ai découvert "l'ambiance" investigation. Les heures sup, aussi. Beaucoup.
Je me revois, quelques mois plus tard, passant le "bloc OPJ"; je ne pourrais jamais l'oublier puisque j'étais en formation au moment des attentats du World Trade Center... Je participais à cette formation, qui était perlée sur une année. Et je m'étais mis une certaine pression. Ayant été, à l'époque "choisi" parmi d'autres pour y participer, il était impensable que je puisse rater l'examen. Et puis, la vie fait que, la même année, est née ma première fille. Autant dire que la période était un peu complexe.
Je me revois, me présentant devant le chef adjoint du service judiciaire. Je peux en parler, c'est prescrit, il s'agissait du Service Départemental de Police Judiciaire des Hauts de Seine. Je me présentais "à la PJ". Ce qui était inimaginable 5/6 ans avant, lorsque j'étais sorti d'école. La PJ c'était.. une autre planète. J'avais pu les approcher à quelques mètres près, une nuit, lorsque la BRB était intervenue pour faire suite à un meurtre, sur ma commune. Et rien que ça, j'étais fier, déjà... j'avais dit à mes proches "j'ai vu les gars de la BRB"... non, je ne leur avais même pas parlé. Impensable; qui étais-je?
Et puis j'ai été recruté. Je le dois à un homme, qui m'a fait confiance. Pour moi, le meilleur Commissaire de Police que j'ai eu l'occasion de côtoyer, de toute ma carrière. Une homme intelligent, vrai flic, humain, abordable, proche de ses hommes, ouvert... Tout ce que l'on peut attendre d'un chef de service. Cet homme est désormais à la tête de l'un des plus prestigieux services de Police Judiciaire français. Et ça n'est pas terminé. J'ai toujours su qu'il irait très loin. Et c'est tant mieux pour toute la PJ.
Je me revois lors de ma première astreinte criminelle; je vous en avais parlé ici, en tant qu'Officier de Police Judiciaire. Un peu perdu, mais sous pression "positive"; là encore, il faut démontrer ses capacités, rendre la confiance qui a été placée en vous. J'espère l'avoir fait. Trois années à traiter des affaires que le commun des mortels qualifie de "sordides". Elles le sont, mais nous avons toujours un regard particulier, dessus. Des viols, des meurtres... de l'humain. Des énigmes à résoudre. Des victimes qu'il faut, de ce point de vue, aider. Surtout.
Je me revois, en stage de découverte à la BRB... Au même moment, un avocat, à l'époque "célèbre", y est en garde à vue. Dans le cadre d'un dossier sensible et médiatisé. J'avais été chargé de..; confectionner les scellés. Ciseaux, cire, ficelle, feuilles cartonnée, sac plastique, tampon humide... je me revoyais en EMT, en 6ème, à faire du découpage/collage.
Et puis j'ai été recruté à la BRB. Force est de constater que j'avais donné satisfaction en banlieue, puisque c'est la même personne qui m'a recrutée. Quand je vous dit que je lui dois beaucoup...
Je ne sais pas si vous imaginez... en 1996, j'entre dans la police un peu par hasard. Parce que j''étais en quasi échec scolaire, avec une formation pro sans débouchés. Le service national, la police. Et deux ans plus tard, le concours. Que je ne réussis qu'au bout de la deuxième fois, d'ailleurs. Et là, donc, en 2006, j'arrive à la BRB... C'est indescriptible pour l'époque. Je suis tout petit.. je me fais tout petit. J'essaye d'apporter ma contribution avec ce que je sais faire. Et en même temps, j'apprends. Toujours.
Je suis en plein dans ce monde de la PJ. Toujours cette ambiance si particulière, cette fraternité... nous étions de vrais "potes", un groupe soudé. Et les heures sup. Toujours. Et encore. Je découvrais alors le trafic automobile. Aux joies qui sont celles de ce groupe, s'allieront également les peines, lorsque ma collègue de bureau a mis fin à ses jours, en sautant dans la Seine. Moment pénible qu'a traversé le groupe, le service... J'ai une pensée, à cet instant, pour P. Et ce chat, qui a erré dans les couloirs du service pendant plusieurs mois, allant tout de même jusqu'à uriner dans le bureau... du chef de service. Cela lui aura valu le renvoi, d'ailleurs.
Et puis, trois ans plus tard (le chiffre 3... décidément)... je change de groupe. Et je vais découvrir, de près, les "grosses" affaires de la BRB; je mets le terme entre guillemets, parce qu'elles sont emblématiques, parce qu'on parle de beaucoup d'argent. Les joailleries de la place Vendôme qui se font braquer. Le banditisme. J'ai cette chance de m'être trouvé dans des groupes où nous étions tous, juste complémentaires... une force de "frappe" énorme. Et avec des résultats à hauteur de l'investissement. Et, je dois le dire, à l'origine d'une "grosse tête" que j'avais prise. Je me dois de le reconnaître, avec le recul. L'investissement que j'y avais mis, les résultats que nous avions, en groupe, obtenus... j'ai passé un concours... et me suis présenté à l'épreuve finale sans même avoir travaillé. J'ai cru qu'on me le devait. Et puis "je suis dans un service prestigieux, forcément ça va être bon". Et, comme il se doit, je me suis lamentablement "vautré". A coups de "je ne sais pas", aux questions posées, il ne pouvait en être autrement. Bien sur, cela m'a mis un coup. Forcément. J'ai à nouveau tenté ma chance l'année d'après... mais cette fois-ci, ce sont des "aléas administratifs", dirons-nous, qui font que je n'ai pas été pris. Après trois années, et autant d'échecs, autant dire qu'il faut savoir se le dire en face "ils ne veulent pas de moi", et donc passer à autre chose.
En 2011, je tente une mutation province, direction la Normandie. Pour d'obscures raisons syndicales, je ne suis pas muté. A celui qui dit que j'ai bénéficié de "l'aide des syndicats", étant à l'époque délégué... ma foi.... Une année plus tard, j'opte pour un changement de vie. En famille. Direction la Martinique, et l'office des stupéfiants. Une nouvelle aventure...de vie.
Là encore, je vivrais quelque chose de formidable. Pas toujours facile, loin s'en faut, mais quand-même. Une expérience riche, humainement. Même si je n'y suis resté que deux ans, j'ai eu cette chance de travailler sur ce que je pense être une des plus belles affaires traitées par ce service, au cours des dernières années.
Et puis, en 2014... pour des raisons personnelles, je dois revenir sur Paris. Je dois beaucoup à mon ancien service, qui va me reprendre alors que je suis en difficulté sur le plan personnel. J'essayerais de ne pas en faire trop état... mais, même si cela n'était pas visible, je suis bien obligé de reconnaître que cela a atteint mon travail. Indéniablement. Entre autres.
Cela fait donc quelque chose comme quinze années passée dans le judiciaire. Quinze années surtout pleines de richesses. De beaux moments. D'autres un peu plus délicats... Il me fallait une remise en question professionnelle. Un nouveau challenge. Et puis, d'une certaine manière, combattre l'usure. Et aussi, dans une certaine mesure, la démotivation. Il faut savoir laisser sa place. C'est difficile de se l'avouer, mais c'est nécessaire. Je ne m'y sentais plus, à ma place, justement.
Je profite donc de fait d'allier des nécessités d'ordre privées, pour y adjoindre un intérêt professionnel. Nous voilà en 2018. La fin d'une époque, disais-je. Je quitte la Police Judiciaire, pour aller vivre de nouvelles aventures. Toujours dans cet univers... Mais très différentes tout de même.
J'ai quitté une direction, un service, des collègues, que je n'oublierais jamais. Un "art de vivre", également, une ambiance. Je n'ai aucun regret. Je vis et j'assume tous mes choix. Mais je sais que tout ça, je ne l'oublierai jamais. C'est en moi. Nécessairement.
PJ un jour... PJ toujours.