Le 18 octobre 2016, je publiais un billet intitulé "Policiers: le ras le bol grandissant". Ces quelques lignes faisaient suites aux événements tragiques de Viry Chatillon, qui avaient mis le feu aux poudres, dans les rangs policiers, lorsqu'une bande de criminels avaient délibérément voulu se "faire du flic", en brûlant des véhicules dans lesquels se trouvaient des policiers.
Suite à ces mouvements, dont une manifestation place Vendôme, sous les fenêtres du Ministère de la Justice, des promesses avaient été faites par François Hollande, alors Président de la République.
Je le disais depuis quelques semaines, que les policiers étaient dans une situation analogue, et qu'il suffirait d'une étincelle pour que les mouvements reprennent. Cela n'a pas loupé, la nuit du nouvel an, une soirée est organisée dans un hangar, à Champigny sur Marne, via un appel largement diffusé sur les réseaux sociaux. La salle, prévue pour accueillir 200 personnes est rapidement saturée; une foule attend encore à l’extérieur. Les esprits s'échauffent, le service d'ordre est rapidement dépassé, et ce sont les policiers qui sont appelés. Sans que l'intégralité des événements ne soit encore connue, on sait qu'un véhicule de police arrive sur place avec, à son bord, deux policiers. La suite, on la connaît, une policière sera rouée de coups, seule, au sol, par des dizaines de jeunes. Le tout filmé et diffusé sur les réseaux sociaux. D'autres incidents suivront aux abords de la salle.
Le constat
Il y a certainement des choses à revoir quant à cette soirée, son organisation; une enquête est en cours, mais c'est assez anecdotique, en fait, rapport à la suite des événements.
Je suis bien plus perplexe dans le fait qu'un véhicule avec, à son bord, deux policiers, se rende sur les lieux. Attention, je ne blâme pas mes collègues, ils ont probablement fait avec les moyens du bord, pour soulager d'autres véhicules déjà engagés. Mais cela reste un problème récurrent: comment, en 2017, peut-on encore équiper des véhicules à deux fonctionnaires? Peut-on parler d'intervention sécurisée pour les policiers? Alors oui, peut-être que dans 80% des cas, cela suffira. Mais il n'y à qu'à voir où cela peut mener, pour se poser des questions. Combien de véhicules de police sont équipés avec des policiers tout juste sortis d'école, avec un Adjoint de Sécurité? C'est quelque chose qui devrait être revu au sein de notre administration. Mais cela fait des années que cela dure; ce débat revient très souvent sur la table. Lorsqu'un problème survient, arrive la note de service, disant qu'un véhicule doit être équipé de trois fonctionnaires... et puis, comme souvent, on se débrouille. Pour composer avec les moyens du bord. Pour soulager le véhicule primo-intervenant débordé... jusqu'au prochain drame. Et qu'on ne vienne pas me parler des Etats-Unis, où les policiers sont seuls dans les voitures. J'aimerai juste rappeler qu'en France, nous avons très peu de décès qui font suite aux interventions de police; et si c'est le cas, c'est parce que les policiers, lorsqu'ils sont en nombre, peuvent sécuriser leur intervention et utiliser d'autres moyens que les armes létales.
Maintenant, il faut aussi regarder ce qu'il se passe dans ces quartiers. Et il ne s'agit pas de m'accuser de stigmatiser. La majeur partie des débordements similaires s'y déroulent.
Il est un fait. Ceux qui se permettent ce genre de... je ne sais même pas comment appeler cela, en fait. Un "comportement"? une "déviance"? des "violences"? Il n'y a rien d'assez fort, finalement... Bref, ceux qui se permettent cela n'ont juste aucune crainte de ce qui peut arriver après. Bien évidemment, ils se contrefichent de ce qui peut arriver à la policière, c'est certain, mais ils ont aussi cette espèce de certitude qu'ils ne seront pas interpellés, et quand bien-même, la Justice ne leur fait pas peur non plus. Et il ne s'agit pas là d'une vision déformée des policiers, mais juste d'un constat de ce que nous voyons au quotidien dans ces quartiers.
Les solutions
Je ne vais pas parler de "justice laxiste", c'est un peu trop facile, et aussi trop réducteur. Comme j'aime à le rappeler régulièrement, la justice fait, comme la police, ce qu'elle peut, avec les moyens qu'on lui donne. Et, on le sait, ils sont risibles tant concrètement qu'eu égard aux autres pays européens. Si bien qu'il lui est impossible de pouvoir fonctionner correctement. Le problème étant que les mesures prononcées ne peuvent que difficilement être suivies, faute de moyens. Qu'il s'agisse des peines de prisons, lesquelles ne font l'objet d'aucun "travail" si ce n'est celui de "garder" les détenus (peu de projets d'ampleur sur l'insertion ou la réinsertion). Et le problème est le même pour les peines alternatives, qui ne peuvent être suivies de manière efficace par les SPIP (notamment), faute de personnels, de temps, et de projets (je vous proposerais d'ailleurs une présentation de ce métier particulier dans les prochaines semaines). Elles sont donc souvent inefficaces. Pas par principe, mais par manque de moyens.
On nous répète très régulièrement, aussi, que les prisons n'ont jamais été aussi pleines; qu'il n'y a jamais eu, en France, autant de gens incarcérés. C'est vrai. En 20 ans, nous sommes passés de 58000 personnes écrouées à 78796 (au 1er janvier 2017), soit 20% de plus (statistiques issues du ministère de la justice). Alors que dans le même temps, la population française n'a été augmentée que de 10% environ.
Les enquêtes de victimation faites par l'ONDRP vont dans le même sens, puisque les crimes et délits contre les personnes ou contre les biens, sont en baisse depuis quelques années.
Pour revenir aux faits qui nous concernent, selon Christophe Soullez (chef du département de l'Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales), dans les affaires de violences à l'encontre des personnes dépositaires de l'autorité publique, avec 8 jours d'ITT ou plus, l'emprisonnement est prononcé dans 90% des affaires, 60% à du ferme. La durée moyenne de la peine est de 8 mois (prononcée ou effectuée?). J'entends ces chiffres, mais j'y ajoute un paramètre: les peines inférieures à deux ans sont aménageables donc, pas nécessairement effectuées, ce qui relativise le chiffre. Et, même si j'entends que certains aménagements paraissent aux yeux des condamnés plus durs à vivre, la justice se doit d'être particulièrement ferme dans ce type d'affaire. Par principe. L'on doit se rapprocher, lorsque les faits sont établis, bien sur, et lorsque l'auteur est reconnu coupable, à 100% d'incarcération. Avec, encore, un suivi au cours de la peine.
Il n'y a qu'à voir, le nombre de violences à l'encontre des forces de l'ordre est en augmentation. En 1995, étaient répertoriés 23430 faits de violence à l'encontre des forces de l'ordre. Il n'a dès lors cessé d'augmenter, pour arriver à 40388 en 2002, 51676 en 2007, 60400 en 2012, et 65888 en 2015. Des faits très clairement en hausse constante depuis 20 ans. Même si, il faut le dire, la notion de "dépositaire de l'autorité publique" a évolué au fil des ans, pour regrouper plus de personnes.
Notre système est dépassé. Il faut revoir tout notre modèle d'organisation de la police, de la justice, et du milieu carcéral. Donner de vrais moyens à tous ces services. Et non pas juste des pansements qui serviront à faire cesser telle ou telle manifestation. Je le dis et le répète, il faut une forme de "grenelle" de la sécurité et de la justice, où l'on met tout le monde autour d'une table. Forces de l'ordre, magistrats, SPIP, surveillants de prison, et même le corps enseignant... Et l'on sort une feuille de route. Mais cela se fait dans un temps qui n'est pas celui de la politique, puisque le principe même des élus est de se faire réélire. Et pour cela, il faut des résultats rapides. Un jour, peut-être, quelqu'un de courageux osera prendre ce pari.
Les peines plancher: les praticiens le disent, le temps où elles ont été pratiquées, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, elles n'ont pas fait baisser la récidive. C'est donc qu'elles ne sont pas non plus un remède miracle quant aux effets attendus. Pour autant, à mon sens, le rôle d'une peine, n'est pas uniquement de prévenir la récidive, mais aussi de punir un acte. En ce sens, elles devraient pouvoir exister pour certaines catégories d'infractions.
Le changement passera probablement vers l'instauration d'une police de proximité. Qu'on le veuille ou non, il va falloir trouver un moyen de sécuriser certains quartiers, et d'y reprendre pied de manière très certaine. Cela prendra du temps, des moyens matériels, des effectifs et de la formation. Emmanuel Macron prépare, avec son gouvernement, la Police de Sécurité du Quotidien. Nous verrons comment elle se traduit dans les faits.
Mais voilà; mon premier constat est de dire qu'en 14 mois, depuis octobre 2016 rien n'a changé. Des promesses ont été faites; ont-elles été tenues? on voit le résultat. Une voiture par ici, un coup de peinture par là ne peuvent suffire à changer les choses. Les policiers se sentent chaque jour un peu plus seuls, sont fatalistes, ne croient plus en grande chose. C'est juste un fait. Quoi qu'on en pense. Un jour, peut-être, quelqu'un cherchera à analyser cela en profondeur, sans juste pointer du doigt les dits policiers en leur expliquant qu'ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes, qu'ils sont dans le faux ou qu'ils ne comprennent rien. En attendant, ce sont eux qui ont les mains dans le cambouis (pour ne pas dire autre chose). Et la société est bien contente de cela. Alors qu'on prenne un peu la peine, et qu'on se pose les bonnes questions.
Une phrase revient régulièrement, en fait, dans nos rangs: "on a la police (ça marche aussi avec la justice) qu'on mérite". A méditer.