"Bonjour collègues. Suite à un énième événement tragique à Viry Chatillon, le 8 octobre, l'actualité nous rappelle une fois de plus que nous sommes des cibles.Face à une hiérarchie carriériste, des élites syndicales enlisées dans leurs conflits, et une justice complètement désintéressée par notre sort, nous devons nous souder. Entre bleus.C'est pour ces raisons qu'un cortège du 91 montera ce soir, face à l'hôpital Saint Louis, 1 avenue Claude Vellefaux à paris 10, pour y être à 23h30, et qu'il pourra être rejoint par les départements voisins.Nous nous rassemblerons silencieusement pour montrer notre soutien à Vincent, collègue gravement blessé, avant de monter sur les Champs-Élysées exprimer notre mécontentement.Flics de jour, de nuit, de BAC, BST, canine, investigation.... tout le monde doit se mobiliser. Soyez solidaires, soyez présents, et partagez ce message à tous vos collègues. On compte sur vous. A ce soir, nombreux et unis! ..."
Les manifs en service: chose rare, pour les policiers
Voilà, tel quel, le mot d'ordre qui s'est répandu, hier soir, sur les réseaux policiers. Un appel à la mobilisation.
L'on ne sait qui et à l'origine de cette manifestation, mais en fait, il est encore mieux de ne pas le savoir, puisqu'il s'agissait de rassembler les policiers, quels que soient leurs métiers, appartenance syndicale, sous, finalement, un seul mot d'ordre: "ras le bol". Et qu'il n'y a là aucun besoin de personnifier la problématique. Juste une entité et ceux qui la représentent.
La seconde chose qui s'est assez rapidement répandue
"on nous a interdit d'y aller, au risque d'un passage en commission de discipline".
Et ce mot d'ordre de la hiérarchie n'a fait, encore un peu plus, qu’exaspérer les policiers. Et ajouter au fossé...
Il s'agit, pour moi, de par cet exercice, d'être à la fois le plus honnête possible, sans me départir du devoir de réserve qui m'incombe. Néanmoins, il me semble important d'appuyer sur certaines choses, et de faire comprendre la situation au plus grand nombre. Et ce, pour, bien sur, que nos dirigeants, eux-mêmes, prennent la mesure des choses.
Soyons honnêtes et clairs. De par notre statut, nous, policiers, n'avons pas le droit de manifester, à la fois en tenue ou dans des véhicules à usage professionnels, et pas non plus sur notre temps de travail. Ça, c'est le droit, administratif, tel qu'il est conçu.
Mais, oui, cela se fait. Et pour autant, c'est rare. La dernière manifestation du genre s'était déroulée le 26 avril 2012, alors que des policiers avaient été mis en examen suite au décès d'Amine Bentounsi, en Seine Saint Denis.
Et, selon moi, cette rareté est synonyme de quelque chose de plus fort encore, et symptomatique. D'autant plus fort, qu'il n'y avait, là, aucun syndicat à la manœuvre. Et pour cause, je crois que nos propres organisations représentatives sont, dans une certaine mesure, visées par cette colère. Oui, beaucoup de policiers sont syndiqués, dans l'une ou l'autre des trois organisations principales, que sont Alliance Police Nationale, Unité SGP ou UNSA Police. Mais, encore une fois, soyons honnêtes. Ceux qui sont syndiqués parce que se sentant une appartenance forte à la ligne directrice d'un syndicat, et défendus dans la globalité de ce qu'est la Police, ce qu'elle représente, sont de moins en moins nombreux. Alors, pour quelles raisons les policiers sont-il encore syndiqués? Parce que ces organisations sont incontournables lorsqu'il s'agit de mutation ou d'avancement, et que les délégués locaux conservent une certaine importance dans les litiges du quotidien. Le rouage syndical ne fonctionne plus comme il devrait. Ce que l'on voit et entend trop souvent, est plus en relation avec l'usage que font certains syndicalistes, de leur pouvoir, plus à des fins personnelles que collectives. Et cette image a fait énormément de mal à la cause syndicale en elle-même. Mais aussi, et surtout, par le fait que nos représentants n'arrivent même pas à faire front commun, alors même que l'urgence se fait sentir dans les services.
Ce sont d'ailleurs des mots qui ont été entendus par les quelques journalistes qui se sont rendus sur place, comme Laurence Barbry, de France 3 Ile de France, lorsqu'elle cite:
"On en a marre des politiques et des syndicats .. ce qu'on veut c'est qu'on nous laisse faire notre métier ".
Mais il serait injuste de faire des syndicats les seuls responsables de ce ras le bol. Même si leur représentation est à l'image du fonctionnement global.
A chaque nouvel évènement... l’exaspération qui grandit
Parce que c'est bien de cela dont il s'agit; les évènements tels qu'on les a connu à Viry Chatillon la semaine passée, ne sont toujours que la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Sauf que, cette fois-ci, il y a un jeune policier de 28 ans, qui est gravement blessé.
Et les évènements de cette nature ne font que se multiplier. Il est désormais assez banal de voir des cocktails molotivs jetés contre des policiers. C'était le cas à Viry Chatillon, mais ça l'a aussi été en Corse, ces derniers jours. Et cela arrive bien plus souvent dans l'indifférence générale, parce qu'il n'y a pas une caméra ou un journaliste pour relater les faits. Et, heureusement, la plupart du temps, sans faire de blessé.
Ce mal être, dont on parle depuis des années, trouve des origines et explications très diverses. Les policiers se sentent, au quotidien, abandonnés. Et à tous les niveaux; qu'il s'agisse de leur hiérarchie directe, jusqu'au politique, décisionnaire. Nombreux sont ceux qui ne croient plus en rien; surtout, en personne, ne voyant, dans les annonces qui peuvent être faites, toujours que des effets qui ne font que saupoudrer les mécontents d'un écran de fumée destiné à calmer la grogne. Mais, à chaque fois, passée la satisfaction immédiate, l'on ne voit aucun changement majeur intervenir, aucun changement en profondeur. Et tant que l'on ne fera que des mesurettes, rien ne changera sur le fond.
Il ne s'agit pas, ici, d'attaquer tel ou tel gouvernement, de tel ou tel parti politique. Le problème est ancré depuis de nombreuses années, voir décennies. Et chaque jour qui passe voit la situation s'aggraver.
"Notre hiérarchie est plus préoccupée par la santé des délinquants que par celle des flics"
Il ne s'agit pas là de prendre cette phrase au pied de la lettre, mais de l'analyser, reflétant une problématique plus complexe qu'il n'y parait. Cette phrase a pour objet de démontrer que la politique menée depuis des années au sein de la Police Nationale, encadre de plus en plus les interventions. Et c'est en partie, précisément, le rôle des instances dirigeantes de la police. Mais il est aussi de leur rôle que s'assurer de la sécurité des fonctionnaires Et là, peu de choses sont faites pour ceux qui prennent des risques.Si l'on excepte les unités spécialisées, telles que le RAID, la BRI... 90% des interventions sont faites par des services en tenue, la base du métier de policier. Je tiens à préciser que ce chiffre n'a pas d'origine statistique, mais a pour vocation de démontrer que la très grande majorité des risques, ce sont les policiers en tenue, qui les prennent. Eux qui sont les plus visibles, donc les cibles les plus faciles à atteindre, comme à Viry Chatillon la semaine dernière, ou en Corse. Et le cas d’espèce tend à vérifier ce qu'avancent mes collègues: il aura fallu un blessé grave pour que l'on pense à des tenues ignifugées ou des véhicules anti-caillassages.Comme si l'on découvrait ces problématiques.
Et encore... l'on ne s'attaque pas à la nature du problème.Tuer un flic ne fait plus peur à certains! Comment peut-on pas ordonner l'interpellation immédiate (je pense notamment aux manifestations) de tous ceux qui jettent ces engins. Charge ensuite à la justice de qualifier comme il se doit ces faits-là.
Je noterai encore un point important: aucun coup de feu n'a été tiré par des policiers, alors même que ceux qui jetaient des engins incendiaires ne craignaient pas de tuer"! Alors-même que la légitime défense ne fait que peu de doute!
" pour les visites de Ministre ds les commissariats on a des balais de chiottes, 2 jours après plus rien"
Là encore, c'est quelque chose que tous les policiers ont pu constater. Lorsqu'une autorité se déplace, l'on trouve rapidement des moyens pour faire du cache-misère. Mais une fois l'autorité partie, l'on est très vite rattrapé par le quotidien.... Ce sont les conditions de travail qui sont ici visées, et les locaux délabrés ne sont pas rares, dans nos services. Les véhicules aux kilométrages dépassés, souvent en panne. L'on peut encore et toujours parler des effectifs; ceux-là même qui ont été réduits entre 2007 et 2012, dont les effets se font encore sentir. A l'origine, il s'agissait de remobiliser les policiers sur le terrain, et surtout les retirer de certaines tâches administratives. Mais, au final, c'est bien sur la voie publique qu'ils sont moins nombreux; alors même que les missions augmentent.
L'on a pris, depuis plusieurs mois, l'habitude de se focaliser sur le risque terroriste. Et tous les moyens ont été concentrés sur cette problématique. C'est normal dans une certaine mesure, et surtout compréhensible. Mais, durant tout ce temps, l'on a oublié que les problème de sécurité, au quotidien, persistent. Et que, toujours et encore, certains quartiers vivent au rythme des trafics et des actes de délinquance tels que les vols portière, qui pourrissent la vie quotidienne des habitants. Et là aussi, les problèmes de moyen se font ressentir.
A ce jour, nous ne faisons que trop souvent "bricoler" pour passer les carences que nous vivons au quotidien. Et de sorte, nos services ne fonctionnent encore que par la bonne volonté de ceux qui s'investissent.
Pour autant, nous serons là, demain, et effectuerons nos missions comme on nous le demande.
Mais à quel prix?
Il est grand temps que tous nos syndicats s'unissent; qu'ils s'agisse de justice, de police. Tous doivent travailler ensemble sur un socle commun, minimum fondamental à un fonctionnement efficace de nos institutions.Tant que cela ne se fera pas, nous serons tous perdants. Et, au premier rang, les administrés dans leur globalité.