Ce post a été écrit à « 4 mains » par Chris, policier et auteur du blog « Police de caractère » et Jérôme, psychologue et auteur du blog « dans vos têtes ». Il se présente sous la forme de questions-réponses. L’objectif de ce billet est de mieux comprendre le métier de policier et l’image que le grand public se fait de la police en éclairant le lecteur sur les mécanismes de fonctionnement du comportement humain…
Une surmédiatisation des violences policières ?
Jérôme à Chris. : « Les actualités mettent en avant des violences commises par des policiers. Comme souvent, les médias ont tendance à parler uniquement des « trains qui arrivent en retard ». Mais existe-t-il des chiffres sur le nombre d’interventions qui se passent bien et le nombre d’interventions qui se passent mal ?
Je ne suis à vrai dire pas certain qu'il ne s'agisse en fait que des médias ; j'ai la sensation que c'est l'humain, d'une manière générale, qui a cette tendance-là.
Je ne crois pas qu'il existe ce genre de chiffres ; et pour cause, tout le monde a une définition de ce qui se passe bien ou mal ! Et ensuite, il existe une palette de nuance ; à partir de quand estime-t-on que cela se passe mal ? A partir du moment où il y a un blessé ?
D'une manière générale, la police intervient au règlement d'un litige. Donc, forcément, elle va prendre un parti, celui du droit. Et de cela, directement, cela va « cliver » les parties en victime (ou plaignant) / auteur. Donc, qui, pour juger ce qui est finalement bien ou mal ?
Chris à Jérôme : pourquoi parle-t-on majoritairement dans les médias des « bavures », et rarement du travail bénéfique des policiers ?
Si les médias parlent majoritairement des « bavures » et peu du travail de la police au quotidien, c’est que les lecteurs sont « friands » de ce genre faits. De façon général, l’être humain est « friand » de tout ce qui sort de l’ordinaire (il n’y a qu’à voir le succès des rubriques de faits divers…). Et comme la violence policière est l’antinomie de ce que l’on attend du rôle de la police, c’est donc une réjouissance pour les lecteurs !
Si l’être humain est adepte de ces histoires qui sortent de l’ordinaire, c’est principalement pour des raisons d’adaptation. Ce genre d’actu est souvent transgressif, parfois trash, mais toujours étonnant et s’écarte de la banalité. Or l’être humain est sensible aux changements de son environnement qui ont la particularité de déclencher chez lui des modifications physiologiques. Ces modifications ont une fonction bien particulière : elles nous permettent de mieux réagir aux exigences nouvelles de notre environnement qui pourraient menacer notre bien-être. Cet état d’alerte facilite donc notre adaptation aux changements. C’est une compétence inscrite dans nos gènes depuis le début de l’humanité : dès la préhistoire, elle favorisait la survie de l’homme en le préparant à la fuite ou au combat. Par exemple, c’est pour cela que nous plus attentifs sur la route lorsque nous conduisons un véhicule sur un parcours que l'on ne connaît pas.
Le métier de policier vu de l’intérieur
J à C. : J’imagine que le métier de policier a de nombreuses facettes. Pourriez-vous en résumer quelques-unes via votre expérience ?
Il existe des dizaines de métiers, dans la police nationale. Le plus connu et plus représenté étant celui de la Sécurité Publique. Ce sont concrètement les policiers que vous voyez intervenir au quotidien, pour un accident de la route, une rixe, un différent de voisinage… bref, tous les appels qui sont recensés, notamment par les appels au 17. Et puis, il y a des spécialités ; on peut commencer par parler de la BAC, dont le rôle est d'interpeler en "flagrant délit" ; il y a ensuite tous les métiers du judiciaire, du renseignement, les Compagnies Républicaines de Sécurité, les contrôles aux frontières. Vient ensuite une myriade de métiers qui accompagnent les autres. Des petites spécificités, par grande direction.
J à C. : Qu’est-ce qui est le plus difficile pour vous dans votre métier de policier ?
C'est très difficile à dire. Je crois que, par essence, nous côtoyons « le moins bon » de la société, ses faiblesses, sa pauvreté, ses bassesses. Le plus difficile reste, il me semble, de conserver le recul en se disant, quoi que l'on soit amené à voir, que cela ne peut pas représenter un tout ; que ce n'est qu'une fraction de la vérité, de ce que représente la société ; un infini pourcentage. Nous parlions plus haut des trains qui arrivent en retard. Précisément, le policier ne voit bien souvent que cela. Il est donc indispensable de garder le recul.
Les relations entre la population et la police : causes et conséquences
J à C. : Globalement, quelle image avez-vous des civils ? Observez-vous de la gratitude, de la reconnaissance ou au contraire des critiques, du mépris, de la haine, etc. ?
La gratitude nous vient très souvent de ceux qui sont victimes, que l'on est amené à aider. Ceux qui sont victimes de cambriolages, par exemple, sont souvent très "touchés" par ce qui leur arrive. Et puis, il y a ensuite les victimes d'atteintes aux personnes, justement ; lorsque l'auteur est interpellé, oui, elles sont reconnaissantes.
C à J. : Mais justement, vous qui côtoyez ces victimes, que vous disent-elles dans ce rapport avec la police ?
Cela dépend des victimes. Certaines nous disent avoir été très bien prises en charge et écoutées par les policiers. D’autres nous disent au contraire qu’elles ne se sont pas senties considérées et parfois même qu’on a remis en question leurs histoires. Je pense malheureusement qu’il n’est pas toujours facile d’être « empathique » envers les victimes, surtout si l’on manque de moyens humains ou de formation. Comme vous le disiez plus haut, il est difficile de conserver le recul.
C à J. : Comment peut-on expliquer ce « mépris » que l’on peut ressentir parfois de la part de la population envers les policiers et des forces de l’ordre en général ?
Pas facile de répondre à cette question. On ne peut pas comprendre les difficultés relationnelles qui peuvent exister entre la population et la police sans comprendre les principes fondamentaux qui gouvernent les comportements humains.
Je vais essayer d’y répondre en vulgarisant au maximum, vous excuserez le côté peut-être un peu simpliste de ma réponse !
En France, le système d’ordre fonctionne sur un principe majoritairement répressif. A chaque fois qu’un être humain subit une répression de tout type (amende, réprimande, contrôle, leçon de morale, avertissement, prison, etc.), cette répression a des effets sur son organisme. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais il s’agit de réactions physiologiques « automatiques ». Ces réactions physiologiques de « stress » sont mises en œuvre via des systèmes neurobiochimiques complexes, mais que l’on commence maintenant à bien connaître. Concrètement, ces réactions physiologiques se caractérisent chez la personne par des comportements du type « fuite », « colère », « gène », « rancœur », etc. Bref, ces réactions physiologiques sont vécues comme désagréables pour l’individu. Le fait que ces sensations soient vécues comme désagréables a une valeur de survie pour l’espèce humaine : elle apprend ainsi à l’individu à ne plus recommencer les « mauvais comportements » pour éviter de ressentir à nouveau ces émotions « désagréables ». Bref, tout ceci est un peu schématisé, simplifié et relève du bon sens, mais il est important de partir de cette base pour comprendre la suite...
Connaissez-vous la fameuse expérience du « chien de Pavlov » ? Je vous la résume :
L’ingestion de nourriture entraîne une salivation chez tous les individus d’une même espèce (cela aide à la digestion des aliments). La salivation est donc un comportement inné utile à la survie de l’espèce. Contrairement aux aliments, le son de la cloche ne déclenche pas de salivation a priori, on dit que c’est un stimulus « neutre ». Mais si l’on fait précéder à plusieurs reprise l’administration de nourriture d’un son de cloche, ce son devient capable à lui seul de provoquer la salivation du chien, malgré l’absence de la nourriture. On dit que la salivation du chien déclenchée par le son de cloche est un comportement appris par « association ». Bien sûr, l’être humain n’est pas un chien, mais il n’empêche qu’il est aussi sujet à ce type d’apprentissage. Par exemple : frissonner lorsque l’on voit de la neige ; avoir une accélération de son rythme cardiaque quand on réécoute une musique entendue lors d’un premier rencard ; avoir la nausée en sentant un alcool qui nous a fait vomir lors d’une précédente cuite ; se boucher les oreilles en voyant quelqu’un allumer un pétard ; l’enfant qui rigole avant que la main de l’adulte vienne lui toucher le ventre pour le chatouiller, etc. Ce type d’apprentissage par association est aussi « inscrit dans nos gènes », car il permet une meilleure adaptation de l’être humain à son environnement (pour simplifier, cela permet à l’individu de mieux anticiper ses comportements face à un environnement en perpétuel changement).
C’est cet apprentissage « par association » qui est en partie responsable des stéréotypes, des amalgames, des généralités, des a priori... Et donc aussi des relations entre la police et les populations !
Pour résumer : Par un mécanisme d’apprentissage « associatif » inhérent à tous les êtres humains sans exceptions, l’individu va associer ces expériences physiologiques « désagréables » à la personne qui émet ces répressions. Sans le vouloir, l’individu va donc attribuer (à tort) la cause de ses réactions émotionnelles négatives aux policiers. A force de répéter ces associations, les officiers de police, sans même réprimander, finissent donc immanquablement par évoquer ces réactions émotionnelles. Pour reprendre l’exemple de tout à l’heure, votre rythme cardiaque s’accélère en écoutant une musique entendue lors d’un premier rencard, sans même que votre dulcinée ai besoin d’être présente physiquement.
Tout cela semble être une évidence. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces mécanismes opèrent sans que nous n’en ayons conscience (on connaît bien maintenant les substrats neurobiologiques à l’œuvre dans ces mécanismes). L’intelligence, la raison ou la culture n’ont aucune prise sur ces phénomènes. On ne peut rien contre ces réactions émotionnelles. Qu’on le veuille ou non, les réactions physiologiques « négatives » provoquées par la répression entraineront donc toujours le même résultat : des réactions émotionnelles négatives à l’égard de ceux qui réprimandent.
Voilà donc pourquoi on aura beau dire et rappeler aux gens de ne pas blâmer la police, rien n’y fera. On aura beau essayer de changer les comportements avec ce type d’arguments : « il est injuste de s’en prendre aux policiers car ils n’y sont pour rien », « ce n’est pas eux qui font les lois », « ils ne font que leur métier », etc., ce ne sera jamais suffisant pour changer efficacement l’opinion du grand public à l’égard de l’institution policière.
Vous pourrez retrouver la suite de cet entretien dans un très prochain billet.