Il me semble intéressant de revenir sur cette affaire de l'instituteur d'Aubervilliers, soit-disant agressé par une personne se réclamant de Daesh, au mois de décembre dernier. Retrouvez les faits tels que racontés il y a quelques semaines.
Voilà une décision qui, en l'état, fait parler, et mérite une petite réflexion. Même s'il manque nombre d'éléments pour être au plus proche de la réalité.Vous pouvez retrouver le déroulement procédural sur le blog de Judge_Marie.
Toujours est-il que cet homme, jugé à Bobigny, a été relaxé pour vice de procédure. Et pour cause, de ce que l'on comprend, il aurait été entendu par les policiers alors qu'il était sous morphine. Audition considérée comme non probante, ce qui a pour effet d'obliger le tribunal à juger cette affaire comme si l'audition n'avait pas existé.
Audition en milieu hospitalier: la pratique
Le premier point, important, qui n'est pas abordé, réside dans le cadre légal encadrant cette audition. En pure conjecture, j'imagine que cet homme était alors entendu, à l’hôpital, en tant que victime d'une agression terroriste. Ce qui diffère d'une audition sous le régime de la garde à vue.
Toujours est-il que, lorsque des policiers entrent dans un hôpital pour y faire une audition, la première chose qui et faite, est de demander l'autorisation au médecin, de procéder à cette audition. Via une réquisition judiciaire, demandant l'accès aux locaux. Le praticien estime alors l'état de santé de la personne compatible (ou non) avec une audition, dans son service. Cette autorisation est écrite, et jointe à la procédure. Et cela, qu'il s'agisse d'un mis en cause ou d'une victime. Mais, il me semble qu'il faille là prendre des pincettes: le médecin ne juge pas de la recevabilité des déclarations, et de l'éventuelle influence d'un traitement médicamenteux. Enfin, c'est un avis personnel... si vous avez une référence contraire, n'hésitez pas.
Les enquêteurs ont donc probablement reçu cette autorisation, et vont auprès de la supposée victime, afin de recueillir ses déclarations, et éventuellement orienter l'enquête. On est toujours dans la supposition.
Donc, au cours de l'audition, l'instituteur raconte les faits; et, peut-être devant les questions des enquêteurs, et les incohérences, a reconnu qu'il avait inventé les faits. Notons que nous, policiers, rencontrons ces circonstances lorsque, parfois, des viols sont inventés, ou encore sur de fausses alertes à la bombe, voir, encore des appels intempestifs à la police. Dans ce cas précis, on recueille tous les éléments, sur procès-verbal. On entend le plaignant. On le confronte avec la cohérence de ses propres déclarations, et éventuellement avec les éléments matériels. Il arrive que le plaignant reconnaisse alors qu'il a menti. Et il existe autant de raisons au mensonge qu'il existe de procédures. Après avoir reçu ces déclarations, les enquêteurs informent le Parquet. Celui-ci décide alors des suites à donner à l'enquête en cours, préconisant éventuellement l'ouverture d'une enquête distincte pour "dénonciation de crime ou délit imaginaire, infraction énoncée à l'article 434-26 du code pénal. Deux enquêtes sont donc distinctes.
Mais, clairement, si les déclarations (devenues mensongères) sont cohérentes avec les éléments matériels, l'enquête s'achève. Inutile de perdre un temps déjà compté et précieux. Concrètement, commence alors la seconde enquête. Et là, on ne sait pas, si l'instituteur a fait l'objet d'une garde à vue. Celle-ci est en théorie envisageable (article 63 du Code de Procédure Pénale).
Mais je ne le pense pas. L'idée était, me semble-t-il, à cet instant-là, d’avérer ou non un fait terroriste. Il faut juste se rappeler que l'on est juste un mois après les attentats du 13 novembre.
Concrètement, on reproche donc aux policiers d'avoir pris les déclarations de l'instituteur. Et de les avoir prises sans avocat.
Un mensonge reconnu: quelle procédure?
Cette décision nous amène donc à réfléchir sur ce qu'auraient pu/dû faire les policiers, selon les magistrats.
Peut-être, d'ores et déjà ne pas entendre, du tout, l'instituteur! Remettons-nous juste dans le contexte d'un scénario qui touche à l'acte de terrorisme! Je vois mal les enquêteurs se passer d'éventuels détails qu'aurait pu fournir celui qui est alors une victime, au moins supposée. A minima, un plaignant.
Donc, retenons la logique initiale... les enquêteurs cherchent des éléments... l'instituteur parle, les enquêteurs posent des questions, détaillées. J'imagine que c'est comme cela que ça s'est passé. Voilà donc cette victime qui, devant, peut-être, un malaise, en arrive à dire qu'il a inventé les faits dénoncés. Qu'aurait-il fallu faire? Je m'y vois, à l'énoncé de la phrase "j'ai menti":
"STOOOOOP, arrêtez-tout". J'appelle le substitut du Procureur pour l'aviser et recevoir les instructions. J'appelle mon service, vu la sensibilité du dossier. On me demande une procédure incidente. "Bougez pas, hein... on a deux ou trois trucs à faire"
Là, deux possibilités; fonction de ce qu'a dit le parquetier;
solution n°1: "bon, monsieur, on se reverra lorsque vous sortirez d'ici; vous nous raconterez en détail ce qu'il s'est passé. Nous, on va rester là-dessus, on risque de péter la procédure... vous comprenez? non? pas grave...
solution n°2: "Monsieur X vous êtes placé en garde à vue à compter de cet instant".
Et là, ça se complique nettement. Si ce n'est eu égard aux circonstances de l'hospitalisation. L'OPJ demanderait, de droit, l'examen médical. La question se pose s'il ne faudrait pas, d'ailleurs, donner tous les droits, d'office... donc l'intervention d'un avocat. Quelle décision aurais-je prise? Difficile à dire; probablement en accord avec le parquet, d'ailleurs. Je ne vois pas d'objection particulière à un avis à la famille! On se rappelle... l'instituteur est toujours là... et on n'est pas plus avancé pour ce qui est de notre procédure, alors que les chaines d'info tournent en continu... Certes, ce n'est pas la justice, mais ça reste très gênant, cette sensation de ne pas avancer, alors que peut-être la solution est toute proche, et on peut soit envisager l'artillerie lourde (je rappelle que c'est la Brigade Criminelle qui est initialement saisie du fait) soit calmer le jeu, et ne pas céder à la psychose, à la fois médiatique, et donc, de l'opinion publique.
Dans le cadre d'une garde à vue, il faudrait donc le certificat médical du médecin lequel, n'en doutons pas, estimerait l'état de santé de instituteur "incompatible avec une mesure de garde à vue". Deux solutions: soit la mesure est levée et reportée dès lors que l'état de santé est jugé plus compatible. Soit il est transféré dans une unité dite "hospitalo-carcérale", où il sera, à la fois soigné et surveillé. Et audible lorsque le médecin le jugera possible. Ce qui, en l’espèce, n'a pas posé de problème au début; donc peu de chances que cela en pose sur la garde à vue. Second certificat médical à envisager, celui d'un psychiatre. Ce qui a d'ailleurs été fait, dans la mesure où figure, en procédure, un certificat établissant une "alteration du discernement" de l'instituteur. Ensuite, on attend donc l'avocat, l'entretien qui va avec... les conseils de ce dernier... droit au silence... Et une "non-audition". Bref... nous voilà bien avancés.
Il ne faut pas, je pense, oublier, encore une fois, toute l'attention que suscite un tel fait. Des réponses sont attendues, à de nombreux niveaux de responsabilité, jusqu'au sommet de l'Etat. Je crois donc que l'issue d'une procédure de dénonciation de crime imaginaire n'avait que peu d'importance. L'ordonner, pour le Parquet, s'est trouvé être nécessaire, obligatoire. Et, contrairement à ce qui peut se faire bien plus souvent avec une CRPC (Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité), autrement appelé le "plaider-coupable" à la française, le Parquet a estimé que l'affaire devait être jugée en audience correctionnelle, donc via COPJ (Convocation par Officier de Police Judiciaire).
Voilà donc, en quelques lignes, tous les enjeux auxquels ont dû faire face les enquêteurs. Ils ont, je pense, privilégié le sens de l'information, et les éventuelles conséquences sur l'opinion et les moyens à mettre en place. Et je reste persuadé que c'était encore la meilleure solution, même si, d'un point de vue strictement juridique, l'on ne peut s'en satisfaire.
Pourtant, il reste une question: une fois l'instituteur relaxé, la procédure initiale reste en l'état, et un auteur resterait à identifier. Sauf à ce que le Parquet ait déjà classé la procédure. "Infraction insuffisamment caractérisée", ou "absence d'infraction"...
Enfin, l'on verra si le ministère public décide de faire appel de cette décision. Il a dix jours pour le faire. Mais je dois reconnaître que, de mon petit point de vue, je n'en vois pas l'intérêt.
Restera une dernière question, plus sociétale: l'instituteur va pouvoir reprendre son travail d'enseignant; assez logiquement, n'était pas condamné... quelle place lui accorder au sein de l'Education Nationale? Cela sera une autre question qui se posera. Plus éloignée de le seul aspect judiciaire.