Plus le temps passe, et plus je me dis qu'il est plus difficile d'être à coté de l’événement qu'en prise directe.
La nuit de vendredi passée, il était temps de rentrer se reposer. Pourtant, difficile de s'allonger sans avoir une oreille tendue vers l'actualité. Je n'aurai finalement rien fait, durant ce week-end, que suivre les informations crachées par les médias! Impossible de trouver du cœur à faire autre chose.
Sincèrement, je n’attendais en fait qu'une chose, être rappelé au service. Donner un coup de main. La réalité c'est que chez moi, je me sentais juste inutile, alors que des collègues se donnaient sans compter! Au fur et à mesure que la presse sortait des éléments, je réfléchissais à ce qu'il y avait à faire, en terme d'enquête. Impossible de sortir de tout cela! Et puis, dimanche, une espèce de retour de bâton. Un rassemblement place de la République, un vent de panique; le temps d'avoir le palpitant qui monte. Heureusement, fausse alerte.
Et puis, le lundi, il a fallu retourner au bureau. Faire de la "petite police".Non que je dénigre ce que je fais! Mais, par rapport à ce qu'on a pu voir vendredi soir, tout parait ridicule. Donc, là encore... j'ai suivi l’actualité! Comme beaucoup de monde, j'imagine! Et toujours cette envie d'être rappelé, d'y aller. En fait, je crois que tous mes collègues étaient dans le même état d'esprit. Aider. Rien ne viendra, sauf de manière très sporadique.
Le mardi, on s'y remet. Il le faut bien. Les affaires n'attendent pas, en fait! Les enquêtes suivent leur cours, et c'est tout à fait normal. Et puis, on se dit que bon, l'essentiel est fait, l'enquête se déroule, entre les principaux services enquêteurs de l'anti-terrorisme français.
Tout juste commence-t-on à reprendre pied dans les habitudes, que survient le mercredi. Et cet assaut du Raid. Le sourire qui aurait pu commencer à revenir s'est aussi vite renfermé, bien profondément. Nouvelles crispations. Des collègues blessés, des terroristes peut-être dans la nature. Bref, l'intervention prend fin. Les "terro" sont, pour certains au tapis, d'autre interpellés. C'est une bonne nouvelle; je me dis que certains de mes collègues auront nombre de questions à leur poser. Ah, mais j’oubliais. Auparavant, on leur aura bien fait comprendre qu'ils ont le droit de garder le silence. Bien, tant mieux. Déjà qu'il y a, soyons réalistes, peu de chances qu'ils répondent, mais en plus, on le leur fait bien comprendre. Mais soit.
Débats au plus bas
Et puis, nous y voilà. La France s'écharpe. A commencer par l'Assemblée Nationale. Lorsque des policiers du RAID ou de la BRI vont au carton, nos politiciens s'écharpent et se huent dans ce qui devrait être le cœur de notre démocratie, et qui semble, à cet instant, ne mesurer qu'un gouffre abyssal. D'un coté la réalité, de l'autre la politique politicienne, les élections, les intérêts des uns et des autres.
Le premier débat concerne l'Etat d'Urgence, et la décision prise par le Président de la République, très rapidement après les attentats. Peu de personnes ont eu à y redire. Mais ce n'est pas le cas sur, à la fois sa prolongation, mais aussi la modification du texte en lui-même, ses évolutions.
Et je vous renvoie au billet du blog "Déjà vu", de Jean-Christophe Piot, qui traite, justement, de l'Etat d'urgence. Que nous dit-il? En substance, le texte qui créé l’État d'urgence date de la IVème république; soit de 1954. Je vous fait le calcul. Cela fait 61 ans. Certes, l'Etat d'urgence a déjà été décrété, à cinq reprises. Mais jamais, depuis cinquante ans, sur des faits d'une telle ampleur. La loi mérite-t-elle d'être remise au "gout du jour"? Je le pense. Jamais notre pays n'a eu à faire face à une telle menace. Et nos politiques ne s'en cachent pas; ce n'est pas terminé. Et puis, enfin. Soyons sérieux. Qui peut me dire à quels renoncements il a dû faire face depuis que l'Etat d'urgence est décrété, et sur la durée de trois mois, sur laquelle il va se poursuivre? Dites-moi en quoi votre quotidien va-t-il changer? Qui, de l'Etat ou des terroristes vous a-t-il le plus privé de vos libertés? Ah... je vous vois venir. Vous allez me parler d'une peur de ce que ce pouvoir pourrait être tenu par des extrémistes. Que je sache, la prolongation, ainsi que la réforme, sont des textes votés par un Parlement composé de plusieurs centaines de votants. Et que, pour un texte constitutionnel, il me semble qu'il faudra la majorité des trois cinquièmes. J'ai donc la faiblesse de penser qu'avant qu'un texte hypra liberticide ne passe, il y a tout de même un Parlement. Sans même parler du Conseil Constitutionnel. Et là, normalement, point Godwin, vous allez me dire que Hitler aussi, a été élu. C'est vrai. On trouve toujours des exceptions à toutes les règles. Gageons qu'elles sont rares, et encore plus d'une telle intensité.
Texte de moindre importance, qui fait débat. Doit-ton autoriser les policiers à utiliser une arme hors service? Je vous passerai les détails, mais jusqu'alors, le port d'arme était très réglementé, ce qui fait que, en dehors des groupes opérationnels (susceptibles d'être rappelés dans le cadre de leurs missions habituelles), peu de policiers portent leur arme hors service. Cette autorisation a été donnée hier soir et, vous l'aurez compris, j'y suis favorable.
Non pas que cela puisse éviter, de manière certaine, un carnage. Loin de là. Mais, soyons clairs, nos moyens pour éviter de tels actes, s'ils ne sont pas mis au jour en amont, sont faibles. J'estime alors, que le mieux est encore de mettre le peu de chances dont on dispose de notre coté. Et que, sur une attaque, un policier pourrait être à proximité, et réussir à neutraliser un terroriste. C'est un "peut-être", mais il vaut le coup d'être tenté, il ne coûte rien. Comprenez-moi bien, ce n'est pas un plaisir particulier que d'avoir une arme tout le temps, plutôt une contrainte. Il ne s'agit pas non plus de faire n’importe quoi, et d'aller à la plage avec un SIG SAUER sur le coté du maillot de bain. Chacun doit faire preuve de discernement dans ses attitudes. Et faire en sorte que la conservation au domicile soit sécurisée, afin d'éviter tout accident domestique.
Quoi qu'il en soit, quoi qu'il advienne, il ne sert à rien de nous maintenir dans l'état anxiogène dans lequel les terroristes veulent nous placer. Il va falloir que nous apprenions à vivre avec ce risque. Il n'y a pas le choix. Et chaque fois qu'il le faudra nous ferons face. Chacun à son niveau, à sa place. Et à chaque fois, la vie reprendra son cours. Dans un mois, il sera temps de fêter Noël, d'observer l'émerveillement de nos enfants, de nos familles. Parce qu'au final, quoi qu'il advienne, comme le dirait Grand Corps Malade, il nous restera ça.