Des fonds privés à l’hôpital public… C’est la tendance qui se développe. Après le CHU de Rennes, le CHU de Brest a lui aussi créé son fonds de dotation fin 2016. Une structure à but non-lucratif qui ambitionne d’accompagner des projets innovants, en matière de recherche, mais aussi d’accueil des patients. En 3 ans, 1 million d’euros a déjà été collecté.
Par Nathalie Rossignol
Quand il nous accueille au petit matin, avant de débuter ses consultations, le professeur Jean-Philippe Metges, spécialiste des cancers digestifs et coordinateur du pôle régional de cancérologie déborde déjà d’énergie. En quelques minutes, il avale les 5 étages du bâtiment où il est installé, nous présentant chaque service, vantant l’efficacité de l’organisation de l’établissement et de l’investissement de chacun pour la santé des patients : pharmacie de pointe, services de pointe et bureaux administratifs au plus près de la prise en charge des malades…
À l’étage où se tient l’unité de recherche clinique en cancérologie, une infirmière spécialisée, Catherine Riou, accueille les patients qui ont été sélectionnés pour participer à des essais thérapeutiques. Devant ses yeux, un agenda très annoté où figure les rendez-vous des uns et des autres, pour les différentes étapes de leur traitement. Ici, personne n’est un numéro. Catherine Riou semble connaître personnellement chacun des visiteurs et quand Luc Bonnefond franchit la porte, ce sont même des embrassades.
Luc Bonnefond est, en effet, bien connu ici, car il a été lui aussi intégré à un essai, lorsqu’en 2016, son cancer de l’œsophage, soigné par chimiothérapie à Quimper faisait de la résistance.
Une véritable chance, car il a même connu la rémission totale en avril 2018. Chez lui, l’immunothérapie a été très efficace. « Le fait d’être, entre guillemets, un cobaye pour cet essai, ne m’a pas jamais effrayé. Faut y aller, faut pas hésiter, ça fait progresser la science de toute façon. Je ne serai peut-être plus là aujourd’hui si je n’avais pas eu ce protocole d’immunothérapie qui a été efficace dès le début », confirme-t-il.
C’est le professeur Metges qui a encadré l’essai dont il a bénéficié, c’est lui qui accompagne aussi la suite de son traitement.
« Les cancers digestifs, c’est une part extrêmement importante quand on les additionne de l’ensemble des cancers. On garde sur ces cancers de l’œsophage, du pancréas, de l’estomac, un pronostic partout dans le monde très péjoratif, donc le fait de ne pas rester sur les façons de faire obligatoires, anciennes et d’essayer de toujours chercher plus loin pour que les patients puissent accéder à l’innovation est stratégique. »
Stratégique certes, mais cela exige une implication de tous les instants.
« Ça demande une énergie de toute l’équipe, c’est comme une équipe de foot ou de rugby, chacun a un poste, ; si tout le monde tire dans le même sens, on a une équipe qui devient performante, lisible au niveau national, international et qui va être tout naturellement approchée pour participer à des essais thérapeutiques. »
Dernier fruit de ces efforts, le projet Tamso. Un projet de recherche clinique porté par le cancérologue et qui a été retenu par un laboratoire américain. Le CHU de Brest sera ainsi le seul au monde à se voir confier une molécule d’immunothérapie innovante pour le traitement du cancer de l’œsophage épidermoïde. Un défi passionnant d’autant que la Bretagne est la région française la plus touchée par ce type de cancer. Mais il va falloir le relever.
« Les Américains vont nous donner l’équivalent de 9 millions de dollars de médicaments, par contre, toute l’organisation de l’essai qui coûte de l’argent, c’est le CHU de Brest qui doit trouver ces fonds. Soit on attend deux ou trois ans pour que l’Europe nous donne des subsides, soit on fait des demandes à La ligue contre le cancer ou autre, mais ça prendra du temps, soit on se dit que c’est un problème de responsabilité populationnelle, car ici c’est la région la plus touchée en France pour ce type de cancer, que ces patients ont assez peu de possibilité de traitement et qu’ici il faut qu’il y ait le meilleur », ajoute enthousiaste le professeur Metges.
D’où l’idée de solliciter les Bretons eux-mêmes via le lancement d’une collecte sur une plateforme de financement participatif. Le slogan « 1 euro par breton ».
Et c’est là qu’intervient le fonds de dotation du CHU Innoveo. Lancé fin 2016, cet organisme d’intérêt général à but non-lucratif s’est donné pour mission « le soutien de toute innovation permettant d’améliorer la prise en charge, la qualité de vie ou le confort des patients, mais aussi de toute action de recherche clinique ou fondamentale permettant d’accélérer le déploiement de la médecine de demain.
« On est là pour démarrer des projets qui n’ont pas encore démarré, ou les boucler quand c’est nécessaire. On ne remplace pas l’hôpital », précise Florence Saint-Cas sa directrice. L’idée est donc de réunir des fonds en s’adressant aux particuliers, mais également aux entreprises sous la forme du mécénat, ou aux associations. Les dons peuvent être faits par chèques, via le site d’Innoveo, ou par la plateforme Kengo.
Depuis son lancement, le fonds de dotation a déjà collecté 1 million d’euros de la part de 3 000 donneurs. « L’objectif, c’est de parvenir à réunir un million par an », ajoute la directrice d’Innoveo. Sur les neuf projets en cours de financement, l’un d’eux, également lié au cancer, est bouclé. Il s’agit de l’acquisition d’un instrument révolutionnaire pour la recherche, utilisé pour optimiser les biopsies. Son nom, l’Hyperion, un cytomètre de masse.
« Avant sur une biopsie, on était limité à deux ou trois marqueurs, nous explique Patrick Hémon, ingénieur de recherche sur la plateforme Hypérion, désormais, on peut en étudier 50 à la fois »
« Innoveo a été un acteur déterminant pour nous permettre d’acquérir cet appareillage, puisque sans lui, on n’aurait pas pu aménager cette pièce et surtout, il a permis d’atteindre le million d’euros nécessaire à son acquisition », confirme le professeur Jacques-Olivier Pers, directeur de l’Unité mixte de recherche (UBO/Inserm) « Lymphocytes B et Autoimmunité » et porteur du projet Hypérion.
« A terme, ça va nous permettre d’optimiser certainement des immunothérapies dans les cancers, de mieux comprendre les résistances à certains cancers, de mieux comprendre d’autres pathologies. À partir du moment où on a un prélèvement de tissus, on est illimité sur ce type d’appareillage. »
Cette machine, qui va nécessiter deux ans d’expérimentation pour finaliser ses réglages, est d’ores et déjà très sollicitée. Le carnet de commande se remplit avec des demandes qui émanent de toute l’Europe, et même de Hong Kong pour des projets de recherches.
Véritable accélérateur de projets, Innoveo permet ainsi à chacun de devenir acteur de la santé sur son territoire… Pour qu’à Brest, comme ailleurs, chaque patient puisse espérer le meilleur !
Reportage : Nathalie Rossignol, Catherine Bazille, Hélène Notat.